Chapitre 12
Point de vue de Léa
Quelque chose ne va pas avec Matthieu.
Cela fait trois jours depuis l'incident avec Anaïs au restaurant, et il n'est pas le même. Il est distant. Préoccupé. Quand je lui parle, il semble être à des kilomètres de là.
Et le sexe... le sexe est différent. Plus intense, presque désespéré. Comme s'il essayait de prouver quelque chose. Ou de compenser pour quelque chose.
— Tu es sûr que tout va bien ? je demande pour la millième fois alors que nous prenons le petit-déjeuner chez lui.
— Oui, pourquoi ?
— Tu es... ailleurs. Depuis quelques jours.
Il pose sa tasse de café, me regardant avec une expression indéchiffrable.
— C'est juste le restaurant. La pression. Les critiques gastronomiques viennent la semaine prochaine pour réévaluer nos étoiles.
Ça a du sens. Logiquement, ça a du sens. Mais mon instinct me dit qu'il y a autre chose.
— Si quelque chose te tracasse, tu peux m'en parler. Tu le sais, non ?
— Je sais. Et je le ferais. S'il y avait quelque chose.
Il se lève, vient vers moi, m'embrasse le front.
— Je t'aime. Ne l'oublie jamais.
— Je t'aime aussi.
Mais alors qu'il retourne à la cuisine, je ne peux m'empêcher de me demander pourquoi ces mots sonnent comme un au revoir.
Plus tard dans la journée, je reçois un appel de Chloé.
— Déjeuner ? Maintenant ? J'ai besoin de te parler.
Le ton de sa voix me met immédiatement en alerte.
— Qu'est-ce qui se passe ?
— Pas au téléphone. Rejoins-moi au bistrot d'en face de ton bureau. Quinze minutes.
Elle raccroche avant que je puisse protester.
Quinze minutes plus tard, je la trouve déjà installée, deux verres de vin devant elle. En plein milieu de la journée de travail.
— Chloé, qu'est-ce qui...
— Assieds-toi.
Son ton est grave. Trop grave.
Je m'assieds, mon cœur commençant à battre plus vite.
— Tu me fais peur.
— J'ai entendu quelque chose. Une rumeur. Je ne voulais pas te le dire, mais tu es ma meilleure amie et je ne peux pas te laisser dans l'ignorance.
— Quelle rumeur ?
Elle prend une grande respiration.
— Il y a des gens qui disent que Matthieu a été vu avec Anaïs. Il y a trois jours. Le jour où elle a fait cette scène au restaurant.
Mon sang se glace.
— Vu comment ?
— Ils sont entrés ensemble dans son bureau. Et ils y sont restés un moment. Assez longtemps pour que les serveurs commencent à... spéculer.
— Spéculer sur quoi ?
Mais je connais la réponse. Je peux la voir dans les yeux de Chloé.
— Léa...
— Non.
Je secoue la tête, refusant d'entendre ce qu'elle s'apprête à dire.
— Non. Matthieu ne ferait jamais ça. Il m'aime. Il me l'a dit.
— Je sais. Et je veux te croire. Mais j'ai pensé que tu devais savoir. Pour que tu puisses lui demander. L'entendre de sa bouche.
— Qui t'a dit ça ?
— Alexandre. Il connaît quelqu'un qui travaille au Clair de Lune. Apparemment, toute l'équipe parle de ça.
Alexandre. Bien sûr.
— Il essaie juste de nous séparer. Il me voulait, tu te souviens ?
— Peut-être. Ou peut-être qu'il essaie juste de te protéger.
Je me lève brusquement, la chaise raclant le sol.
— Je dois y aller.
— Léa, attends...
Mais je suis déjà partie, marchant rapidement vers la sortie. J'ai besoin d'air. J'ai besoin de réfléchir.
Matthieu ne me tromperait pas. Pas après tout ce que nous avons dit. Tout ce que nous avons partagé.
Mais alors pourquoi était-il si étrange ces derniers jours ? Pourquoi cette culpabilité que je sentais dans ses baisers ?
Non. Arrête. Tu deviens paranoïaque.
Mais je ne peux pas m'arrêter. Les doutes s'insinuent dans mon esprit comme du poison.
Je compose son numéro.
— Léa ? Ça va ? Tu as l'air essoufflée.
— Il faut qu'on parle. Ce soir. C'est important.
Un silence.
— D'accord. Viens au restaurant après le service. Vers vingt-trois heures ?
— D'accord.
Je raccroche, le cœur battant.
Soit Chloé se trompe, et je serai soulagée.
Soit elle a raison, et ma vie parfaite va s'effondrer.
LE POINT DE VUE DE MATHIEU
Je sais.
Dès que Léa a dit "il faut qu'on parle", je sais.
Quelqu'un lui a dit. Pour Anaïs. Pour ce qui s'est passé dans mon bureau. p****n. Je passe le reste de la journée dans un état d'anxiété croissant. Mes mains tremblent en préparant les plats. Je brûle une sauce béchamel quelque chose que je n'ai pas fait depuis mes années d'apprentissage.
Pierre me regarde avec inquiétude.
— Chef, vous êtes sûr que ça va ?
— Oui. Non. Je ne sais pas.
Je m'appuie contre le plan de travail, fermant les yeux.
— J'ai fait quelque chose de terrible, Pierre.
— Quoi ?
— J'ai trompé Léa. Avec Anaïs. Il y a trois jours.
Le silence qui suit est assourdissant.
— Merde, chef.
— Je sais.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Parce que j'étais en colère. Parce que je voulais me débarrasser d'Anaïs définitivement. Parce que je suis un connard.
Pierre secoue la tête.
— Vous allez lui dire ?
— Elle va me poser la question ce soir. Quelqu'un lui a dit.
— Alors vous avez deux choix. Mentir et peut-être sauver votre relation. Ou dire la vérité et la perdre.
— Quel genre d'homme je serais si je lui mentais ?
— Le même genre d'homme qui trompe sa petite amie, apparemment.
Ses mots sont brutaux mais justes.
— Elle mérite la vérité.
— Elle mérite mieux que vous, chef. Pas d'offense.
— Aucune offense prise. Tu as raison.
À vingt-trois heures, Léa arrive. Elle a l'air épuisée, tendue. Ses yeux sont rouges, comme si elle avait pleuré. Mon cœur se brise rien qu'en la regardant.
— Salut, dit-elle doucement.
— Salut. Viens, allons dans mon bureau.
— Ton bureau.
Il y a quelque chose dans la façon dont elle dit ces mots. Un sous-entendu. Nous montons en silence. Chaque marche me semble prendre une éternité.
Dans mon bureau ce p****n de bureau où j'ai tout gâché nous nous faisons face.
— Alors ? demande-t-elle, les bras croisés. Qu'est-ce qui s'est vraiment passé avec Anaïs il y a trois jours ?
Je pourrais mentir. Je pourrais lui dire que nous avons juste parlé. Qu'elle a fait une scène et que je l'ai mise dehors. Mais je ne peux pas. Je ne peux pas lui faire ça.
— Il s'est passé quelque chose.
Je vois le moment exact où son cœur se brise. Ses yeux s'écarquillent, sa bouche s'ouvre légèrement.
— Quoi ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
— On a... j'ai couché avec elle. Ici. Dans ce bureau.
Le silence qui suit est le plus douloureux de ma vie.
— Tu as couché avec elle, répète-t-elle lentement, comme si les mots ne voulaient pas prendre sens. Trois jours après m'avoir dit que tu m'aimais ?
— Oui.
— Pourquoi ?
— Parce que je suis un connard. Parce qu'elle me rendait fou avec ses scènes, ses mensonges, et j'ai voulu... je ne sais pas. La faire taire. Me prouver quelque chose.
— Te prouver quoi ?
— Que je ne ressentais rien pour elle. Que je pouvais la prendre et la jeter sans rien ressentir.
Léa me regarde comme si elle ne me reconnaissait pas.
— Et ça a marché ? Tu n'as rien ressenti ?
— Rien. Absolument rien. Juste... du vide. Et de la culpabilité.
— Alors tu m'as trahie pour rien. Pour un exercice de cruauté stupide.
Les larmes coulent maintenant librement sur ses joues.
— Comment as-tu pu ? Comment as-tu pu me faire l'amour le soir même, me regarder dans les yeux et me dire que tu m'aimais, alors que tu avais couché avec elle quelques heures avant ?
— Je suis désolé. Léa, je suis tellement désolé.
— Désolé ne suffit pas !
Elle crie maintenant, sa voix se brisant.
— Je t'ai fait confiance ! Après Thomas, après tout ce que j'ai traversé, je t'ai laissé entrer. Je me suis ouverte à toi. Et tu as...
Elle ne peut pas finir sa phrase. Les sanglots la secouent.
Je veux la prendre dans mes bras, la réconforter, mais je sais que je n'en ai pas le droit.
— Je t'aime, je dis désespérément. Je t'aime tellement, Léa. C'était une erreur terrible, mais ça ne change rien à ce que je ressens pour toi.
— Ça change tout !
Elle me regarde, et je vois la douleur, la trahison, la colère dans ses yeux.
— Si tu m'aimais vraiment, tu n'aurais jamais pu la toucher. L'amour, le vrai, ça ne fonctionne pas comme ça.
— S'il te plaît. Laisse-moi me rattraper. Laisse-moi te prouver...
— Me prouver quoi ? Que tu peux me mentir mieux la prochaine fois ? Que tu peux être fidèle quand ça t'arrange ?
Elle secoue la tête, s'essuyant les yeux.
— C'est fini, Matthieu. On est fini.
— Non. S'il te plaît. Je ferai n'importe quoi. N'importe quoi pour qu'on reste ensemble.
— Il n'y a rien à faire. Tu as détruit notre confiance. Et sans confiance, il n'y a rien.
Elle se dirige vers la porte, et je panique.
— Léa, attends...
— Ne me suis pas. Ne m'appelle pas. Ne me contacte pas.
Elle s'arrête à la porte, me jetant un dernier regard par-dessus son épaule.
— J'espère qu'elle en valait la peine. Ton cadeau d'adieu.
Et elle part.
Je reste là, dans mon bureau qui sent encore Anaïs, ayant perdu la seule femme qui ait jamais vraiment compté.
Et je n'ai personne à blâmer que moi-même.