Chapitre 4

1487 Mots
4Immédiatement après avoir raccroché le téléphone, Nathalie s’était habillée et avait décidé de rejoindre sa sœur. Depuis toujours, Line s’était toujours trop inquiétée pour son fils, et Nathalie ne s’était jamais privée de lui dire. Pourtant, cette fois c’était différent, elle sentit au son de sa voix que sa sœur était en pleine crise d’angoisse. Son inquiétude pouvait ne pas être fondée, ce n’était pas le plus important. L’important, c’était que Line allait mal, et qu’elle était seule à se morfondre dans sa maison. Adrian était son fils unique et pour ainsi dire son unique raison de vivre. Nathalie savait combien sa sœur avait souffert de la séparation, et cela, malgré les sourires qu’elle avait affichés tous les jours précédant son départ et jusqu’à la dernière seconde. Sous la carapace qu’elle s’était forgée, Line souffrait en silence. Il lui en avait fallu du courage pour le laisser partir si loin ! Et après le départ, il y eut l’absence. Cette longue absence qui creusait jour après jour un fossé de plus en plus large. Elle résistait chaque jour à l’envie d’appeler son gamin pour se plaindre de ses longs silences. Quand le téléphone sonnait, avant de décrocher, elle se regardait dans la glace, se pinçait les joues et s’envoyait un large sourire. Ainsi, ragaillardie, elle pouvait répondre sans que rien dans sa voix ne pût trahir sa tristesse. Un jour que Nathalie avait laissé entendre qu’elle ferait la morale à son neveu, Line s’était interposée vigoureusement. Il n’était pas question de faire culpabiliser son fils. — Je suis capable d’endurer son absence, je peux pleurer tous les jours s’il le faut, mais Adrian n’a pas à souffrir de ma tristesse ! Je ne veux pas qu’il mette sa carrière en péril par pitié pour sa mère. Je ne veux pas non plus qu’il culpabilise un seul jour du prix que sa réussite me coûte. C’est pourquoi je t’interdis, tu m’entends Nat ? Je t’interdis de lui dire autre chose que le beau temps qu’il fait par ici et à quel point sa maman se porte bien ! La vérité, c’était que depuis trois ans, Line n’allait pas bien du tout, la vérité c’était que depuis l’annonce de son retour, elle avait décompté chaque heure, chaque minute qui la séparait encore de ses bras. Et dans ces conditions, le moindre retard devenait insupportable. Il était un peu plus de 22h00 quand, la voix chevrotante, Line l’avait appelée. Les sanglots qu’elle retenait n’avaient pas échappé à Nathalie. Après trois ans d’absence et toute cette attente contenue, Adrian n’avait pas le droit d’arriver en retard ! Même avec une bonne excuse ! Il était son unique neveu, elle l’aimait sûrement autant que ses propres enfants, mais si l’occasion lui était donnée à cet instant, elle lui aurait bien parlé du pays, à ce modèle d’ingratitude ! En attendant qu’il veuille bien arriver celui-là, elle devait absolument être aux côtés de son aînée. Pas pour s’inquiéter en duo, pas pour lui tenir les mains en prenant un air apitoyé et ajouter de l’angoisse à l’inquiétude, gémir, compatir… Compatir à quoi d’ailleurs ? Jusqu’à preuve du contraire il n’y avait pas de drame à déplorer ! Non, si elle faisait le chemin en pleine nuit et sous une pluie battante, ce n’était pas pour ce genre d’attitude lourde. C’était au contraire pour alléger son attente, estomper le temps qui passe en parlant de choses agréables. La forcer à s’occuper d’elle, comme on le fait courtoisement avec les gens qui viennent vous rendre visite. En arrivant à proximité de la petite maison, Nathalie fut déçue de ne pas apercevoir la voiture d’Adrian. Elle allait actionner la sonnette, mais elle se ravisa. Elle imagina la fausse joie qu’elle allait provoquer et le visage dépité qu’elle découvrirait quand la porte s’ouvrirait. Elle prit son portable et prévint Line de sa présence. « Au moins mon nom s’affichera à l’écran, pensa-t-elle. » — Allô Line, c’est moi. Je voulais te dire que j’étais là… — Me dire que tu es là ? Comment ça Nat, « Tu es là » ? Tu es là pourquoi ? Mon Dieu ! Il est arrivé quelque chose à… — Non ! Non, je suis là, chez toi, à ta porte ! (Grosse gourde que je suis, je fais pire que mieux !) — À la porte ? Mais pourquoi ne sonnes-tu pas comme tout le monde ? Entre, la porte n’est pas fermée ! Nathalie entra en s’efforçant de prendre un air naturel. Cependant, à ce moment, elle prit conscience que sa visite nocturne n’avait rien de « naturel ». L’obscurité de la nuit et cette pluie inhabituelle donnait une nuance dramatique à son arrivée. Banni le familier « Je passais dans le coin, alors j’en profite pour te faire un coucou… » Non, elle ne passait par hasard, non, elle ne faisait pas une visite de courtoisie. — Je ne sais pas quoi faire Nat. Crois-tu que je devrais appeler la police ? — Et pourquoi pas les pompiers et le SAMU ? répliqua Nathalie avec conviction. Que vas-tu leur dire à la police. Que ton gamin n’est pas rentré à l’heure ? Il a trente ans le gamin, je te rappelle. Ils ne prendront pas ton appel au sérieux… — Ça fait trois heures que je tourne en rond, je n’en peux plus ! Ce n’est pas normal, j’ai besoin de savoir ! — Que veux-tu savoir ? — Savoir ce qu’ils savent ! C’est tout. Savoir s’il y avait des complications sur son itinéraire, savoir s’il y a une déviation importante, savoir tout ce qui pourrait expliquer trois heures de retard… — Crois-moi, ils ne t’apporteront que de vagues renseignements, des informations que tu connais déjà et auxquelles tu t’attends, rien qui pourrait te tranquilliser, et tu ne seras pas plus avancée. Deux ou trois heures de retard, ce n’est rien sur un si long trajet, surtout en période estivale. — Je comprends le décalage lié à la distance, je sais bien que les autoroutes sont surpeuplées, je ne suis pas idiote, mais je ne comprends pas qu’Adrian ne m’ait pas prévenue. Ce n’est pas dans ses habitudes. Il y a peut-être eu un carambolage sur l’autoroute, oh mon Dieu ! — Calme-toi ! S’il est bloqué sur l’autoroute et que son portable est en panne, il doit se morfondre autant que toi de ne pas pouvoir te prévenir. Si nous étions dans un film de cinéma, ce serait un plan divisé en deux où l’on vous verrait vous ronger les ongles chacun de votre côté. Ça ne sert à rien de s’inquiéter inutilement. — À ma place tu serais comme moi, non ? — Oui, sûrement, avoua Nathalie. C’est pour ça que je peux te comprendre et que je suis là grande sœur. Si tu nous préparais du thé ? Ça le fera arriver. On va l’attendre ensemble en regardant la téloche, tu veux ? — Je l’avais débranchée à cause des éclairs, mais tu peux la rallumer si tu veux, dit Line en se dirigeant vers la cuisine. Après l’avoir rebranchée, Nathalie alluma la télévision et s’installa sur le divan. Elle recroquevilla ses jambes et glissa ses pieds sous ses cuisses. Quand Line la rejoignit, elle prit la même posture à l’autre bout du canapé. Il n’y avait que le plateau déposé entre elles qui séparait ces deux femmes quasiment identiques. Assises en tailleur sur leur coussin, elles étaient le reflet symétrique l’une de l’autre. Le programme insipide diffusé à cette heure tardive n’était pas propice à l’évasion mentale. Néanmoins, Line résista plus d’une demi-heure avant de montrer des signes d’impatience. Nathalie qui n’était pas dupe, la surveillait du coin de l’œil. Elle anticipa et saisit la télécommande. À la recherche d’images plus captivantes, elle tomba par hasard sur le journal de nuit d’une chaîne locale. « Depuis plusieurs jours, il faisait chaud, très chaud sur une bonne moitié du pays. Chaleur caniculaire qui pouvait laisser augurer un épisode orageux. Il a bien eu lieu, dès le début de soirée, entraînant ici et là chutes d’arbres, routes inondées, circulation au ralenti. Pas de chance pour les juilletistes qui se sont retrouvés piégés sur une autoroute déjà saturée par le… » — Ah ! Tu vois ? Qu’est-ce que je te disais ? s’exclama Nathalie. — Chut ! coupa Line en augmentant le son. « …Des orages ont déjà éclaté avec violence sur la b***e littorale, mais aussi sur l’arrière-pays. Arbres arrachés, cours d’eau subitement engorgés, des routes submergées, des bouchons sur les routes et l’autoroute A9, des retards à la SNCF. La circulation des trains a dû être momentanément arrêtée, le trafic a repris doucement, mais la plupart d’entre eux ont pris du retard. Le Languedoc-Roussillon est en alerte orange, éclairs, bourrasques et trombes d’eaux traverseront l’Aude et les Pyrénées Orientales cette nuit et une bonne partie de la matinée. » — Avec cette météo, ça doit être le branle-bas de combat chez les gendarmes, dit Nathalie en bâillant. Leur central doit être, lui aussi, saturé. Ce n’est pas le moment de les appeler. — Je déteste vivre dans l’incertitude ! s’exclama Line en éteignant rageusement le téléviseur. C’est pourtant ce qu’il me reste à faire. Il est presque minuit, et l’orage ne se calme pas. Tu devrais rester ici pour la nuit. — Je n’avais pas l’intention de rentrer de toute façon. — Tu veux prévenir chez toi ? demanda Line en désignant le téléphone. — Il n’y a personne chez moi. Fernand est en déplacement dans le Nord, il ne rentrera pas avant la semaine prochaine. — Ta vie n’est pas si différente de la mienne finalement… — À quelques détails près, on peut dire qu’on a la même, dit Nathalie sans grande conviction. Il y a encore du thé dans la théière ? La nuit va être longue, ajouta-t-elle en se frottant les mains. — Je vais en refaire. Line se leva et emporta le plateau à la cuisine. Lorsqu’elle revint, elle trouva Nathalie endormie, la tête en appui instable sur le dossier du canapé. Elle la fit glisser doucement sur le côté et la recouvrit d’un plaid. Elle s’assit sur le fauteuil qui lui faisait face et se servit silencieusement une tasse de thé fumant.
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