Chapitre 1

883 Mots
1Adrian était au volant de sa voiture depuis plusieurs heures. Accompagné par le bruit monotone du moteur, le pointillé régulier de la ligne blanche qui lui servait de guide devenait peu à peu hypnotique. Sa respiration se faisait de plus en plus lente et ses paupières s’alourdissaient insensiblement. L’éclair aveuglant qui lui vint de derrière le fit sursauter sur son siège. — Waoow ! Éva ! Bon dieu, mais tu pourrais prévenir quand tu fais des photos ! J’ai cru qu’on avait été flashé ! dit-il en jetant un regard exaspéré dans le rétroviseur intérieur. — Ça fait des heures que tu roules sans t’arrêter, tu ne crois pas que tu devrais faire une pause ? Adrian ne répondit pas. S’adressant au reflet du miroir, il se contenta de lui sourire. Il se massa les paupières, puis en ouvrant grand les yeux il se passa vigoureusement la main dans les cheveux. Il s’adressa à nouveau au rétroviseur, mais cette fois le ton fut moins cinglant. — Depuis quand es-tu réveillée ? demanda-t-il affectueusement en fixant le miroir. — Regarde devant toi ! répondit-elle autoritaire. La route est dangereuse et tu me sembles bien fatigué. Je te le répète, tu devrais t’arrêter et faire une pause. — Je suis en forme, ne t’inquiète pas, et je connais cette route comme ma poche. Dans moins de deux heures je serai arrivé, je ne vais sûrement pas m’arrêter si près ! Et maintenant tu vas pouvoir me tenir compagnie. Depuis Paris, Adrian regagnait son pays natal, Estagel, un village situé à la périphérie de Perpignan. Il venait d’avaler sept cents kilomètres. Il ne s’était arrêté qu’une seule fois, à proximité de Bourges, pour faire le plein et soulager un besoin pressant, en avait profité pour boire un café et envoyer un texto à sa mère pour la rassurer. Elle l’attendait avec impatience. Depuis qu’il était monté à la capitale pour son travail, Adrian avait accumulé tous les bons prétextes pour ne pas trouver le temps de descendre. Finalement à court d’arguments, et un peu fatigué aussi, il avait décidé de souffler un peu, de se réserver quelques jours rien que pour lui, retrouver sa maison natale, passer du temps avec sa mère. Il était lui aussi, bien plus qu’il ne voulait se l’avouer, pressé de la revoir. Et à mesure qu’il se rapprochait, son impatience s’intensifiait. Malgré cet empressement légitime, à Bourges, au lieu de prendre la direction de Clermont-Ferrand, il avait bifurqué vers Limoges. Évitant « l’itinéraire des touristes », comme il l’appelait, il préférait passer par Toulouse et Carcassonne. Un parcours assurément plus long de quelques kilomètres, mais tellement plus agréable selon lui. Depuis Carcassonne, délaissant l’autoroute, il avait rejoint « le chemin des écoliers ». Quillan, Axat, la montagne de son enfance. Le paysage qui se déroulait sous ses yeux lui était désormais familier. Cette petite route sinueuse faisait partie de ses souvenirs d’enfance. Le défilé était impressionnant à traverser en voiture. On roulait d’abord au milieu de magnifiques vallons boisés aux reliefs plus ou moins prononcés pour s’encastrer tout à coup entre deux parois rocheuses à pic, à travers lesquelles la route, parfois très étroite, se frayait un passage. La prudence était de mise. Sur un côté, il y avait une falaise calcaire abrupte, dont la hauteur était vertigineuse, de l’autre, le cours de l’Aude dévalait en chaos au milieu des rochers, là où la rivière avait creusé son lit. Adrian se souvint de la petite histoire que lui racontait son grand-père autrefois. « Il y a très longtemps, la montagne barrait le chemin entre Quillan et Saint-Martin, le village que tu vois là, au flanc du massif. Pour désenclaver sa paroisse, le curé de ce village prit alors la décision pure et simple de creuser un tunnel. Plus tard aménagé en départementale, puis en nationale, le tunnel existe toujours. On l’appelle désormais « Le trou du curé ». Poétique, non ? » Adrian clignait des yeux. Soudain, il lui sembla voir un chien sur le bas côté, il fit un écart de justesse. Quand il regarda dans le rétroviseur, le chien n’était plus là. « Ouf ! pensa-t-il, c’était moins une. Cet imbécile de chien a dû me sentir passer. » Un peu plus loin, il vit un âne. Du moins ce qu’il prit pour un âne. Sa vue lui jouait des tours. Il ne voulait pas l’admettre, mais il était vraiment fatigué. Il ne s’en rendait pas compte, son corps et son esprit luttaient contre le sommeil. Un virage passé un peu trop vite, une courbe mal négociée, et les pneus se manifestaient en crissant sur le bitume. Ces signes auraient dû alerter Adrian, mais il conduisait désormais comme un automate. Son cerveau répondait au ralenti. Quand il amorça la descente, la voiture prit peu à peu de la vitesse sans qu’il réagisse. Plus qu’une heure, et il pourra embrasser sa mère. Il ne pensait plus qu’à ça. La voiture accélérait toujours. Au premier virage, elle quitta dangereusement sa trajectoire, au deuxième virage, sorti de sa torpeur, Adrian réagit si brusquement que les deux roues droites se levèrent légèrement. L’auto se stabilisa un moment, mais l’autre virage s’approcha très vite, beaucoup trop vite. Adrian redressa précipitamment. À la vitesse qu’il venait d’atteindre il était difficile, voire impossible, de ne pas se déporter à l’extérieur de la courbe. Quand il côtoya le précipice, Adrian braqua de toutes ses forces à gauche. Dans ce brusque contrebalancement, les roues gauches se détachèrent du bitume, et la voiture devenue totalement incontrôlable fit un tonneau. Dans son élan infernal, elle tournoya avec violence. La voltige aurait pu s’achever sur le bord de la route, mais la puissance du choc la fit rebondir contre le parapet et la propulsa dans le vide.
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