LA VOLEUSE ET LE MAFIEUX

Chapitre 12 : La danse du danger

Selena

Le ciel au-dessus de la ville était d’un gris lourd, comme une toile de fond parfaite pour l’intensité qui bouillonnait sous ma peau. Viktor était absent depuis plusieurs heures, mais sa présence pesait toujours lourdement sur moi. Il m’avait laissée dans cet état de confusion et de doute, exactement comme il l’avait voulu. Je savais que chaque instant passé à réfléchir à ses menaces me rapprochait inexorablement de la folie. Mais il y avait quelque chose d’encore plus perturbant : une part de moi qui commençait à m’interroger sur ce qu’il avait dit.

« Regretteras-tu de m’avoir défié ? » Cette question tournait et retournait dans ma tête, inlassablement. Si je me laissais guider par l’appréhension, Viktor aurait déjà gagné. Mais au fond de moi, je savais que je ne pouvais pas céder à la peur. Pas maintenant. Pas après tout ce que j'avais traversé et sacrifié pour en arriver là. J'avais trop de choses à perdre pour me laisser submerger. Trop de raisons de me battre encore.

L’obscurité de la nuit tombait lentement sur la ville, s’étendant comme une couverture noire, dissimulant tout ce qui pourrait me trahir. La lumière s’amenuisait, mais mes pensées restaient inlassablement lucides, coupantes comme des rasoirs. Chaque minute passée dans cet endroit isolé était une minute de plus où Viktor pouvait surgir. Je savais qu’il finirait par revenir. Il n’était pas du genre à abandonner une partie sans s'assurer qu’il avait remporté la victoire. Et pourtant, malgré cette certitude, je savais que je devais bouger, changer d’endroit. Il fallait que je sois prête, prête à tout. C’était ce que Viktor ne comprenait pas : je n’avais pas peur de ce qui viendrait. Ce qui me terrifiait, c’était de me retrouver piégée dans un jeu où je n’étais plus maîtresse de mes propres choix.

Dans l’ombre d’un bâtiment désaffecté, je restais immobile, surveillant les alentours, les oreilles tendues à chaque bruit. Les informations que j’avais obtenues dans le restaurant étaient plus que précieuses. Elles ne concernaient pas directement Viktor, mais elles s'inscrivaient dans l'ombre de son empire. Elles révélaient les failles de sa hiérarchie, de ses alliés les plus proches, et surtout, elles offraient une brèche inattendue dans sa toute-puissance. Un contrat imminent, si bien orchestré qu'il pouvait renverser l’équilibre du pouvoir qu’il avait patiemment tissé au fil des années. Cette information, aussi fragile qu’elle fût, pourrait être ma clé pour le faire tomber. Mais pour cela, il me faudrait être plus rusée, plus impitoyable que jamais. Et plus déterminée. Je savais que Viktor n’était pas invincible, mais il n’était pas un homme que l’on pouvait abattre sans réfléchir. La moindre erreur serait fatale.

Soudain, le bruit de pas feutrés se fit entendre, interrompant mes pensées. Une silhouette émergea dans l’embrasure de la porte. Un homme grand et mince, aux traits durs et à la démarche déterminée. Il ne faisait pas partie du jeu habituel, et je savais immédiatement qu’il était une pièce importante dans l’échiquier de Viktor.

« Tu es en retard, » dis-je, mes yeux se fixant sur lui avec une précision qui trahissait la vigilance à laquelle j’étais habituée. Je le scrutais, cherchant des signes d’intentions cachées. « Qu’est-ce que tu veux ? »

L’homme sourit légèrement, presque imperceptiblement, comme un serpent qui attend que sa proie fasse un faux mouvement. Il s’approcha lentement, ses pas résonnant doucement sur le sol humide du bâtiment. « Ne sois pas trop impatiente, Selena, » dit-il d’une voix calme, presque douce, mais qui portait une menace sous-jacente. « J’ai quelque chose à te proposer. »

Je ne répondis pas tout de suite. Mon regard restait acéré, mes pensées se bousculant pour analyser chaque geste, chaque mot. Je savais qu'il fallait me méfier des gens comme lui. Des gens qui se croyaient maîtres du jeu. Mais moi, je jouais à un autre niveau.

« Viktor t’envoie ? » demandai-je finalement, après un moment d’hésitation, une pointe de suspicion dans la voix.

L’homme haussait les épaules, un sourire presque amusé dans ses yeux. « Non. Je ne travaille pas directement pour Viktor. Mais disons simplement que je sais des choses qui t’intéresseraient. » Il s’arrêta à quelques pas de moi, son regard fixé sur le mien, comme si de simples mots pouvaient me faire céder. Je le fixai en retour, me disant qu'il cherchait à me piéger, à me manipuler.

Je ne répondis toujours pas. Mon instinct me criait de ne pas lui accorder trop de crédit. Si cet homme avait vraiment des informations utiles, il ne serait pas là avec ce regard suffisant, presque trop sûr de lui. Il savait jouer avec les faiblesses humaines, et je ne comptais pas être l’une de ses victimes.

« Qu'est-ce que tu veux de moi ? » finis-je par lâcher, mes mots devenant plus secs, plus directs. Je n’avais plus de temps à perdre.

L’homme inclina légèrement la tête, l’air satisfait d’avoir enfin suscité une réaction. « Ce que je veux, c’est que tu m’écoutes. » Il posa un dossier sur la table devant moi. « Ce dossier contient des informations qui te permettront de briser Viktor. Mais tout a un prix, tu sais ça. »

Je le scrutai un instant, mes yeux passant de son visage à la pile de documents. Ce qu’il me tendait semblait trop facile, trop simple. Une promesse de pouvoir en échange d’une compromission. Mais je n’étais pas née hier. J’avais vu suffisamment de gens jouer à ce genre de jeu, et je savais que la trahison était souvent dissimulée sous un masque d’opportunités.

L’homme ne me quittait pas des yeux, sa voix devenant plus grave, presque solennelle. « Il y a une faille dans son système, Selena. Une fissure dans son empire. Tu la connais déjà, mais tu n'as pas encore vu tout ce que tu pourrais en tirer. »

Je pris une profonde inspiration. C’était tentant. Cette information pourrait effectivement me donner l’avantage. Peut-être même m’offrir l’opportunité de renverser la situation. Mais quelque chose en moi me disait de ne pas foncer tête baissée. La prudence était essentielle. J’étais sur le point de franchir une ligne, et je savais que tout ne serait plus jamais pareil après cela.

« Pourquoi me donner ça ? Pourquoi maintenant ? » demandai-je finalement, mes yeux perçant les siens.

Le sourire de l’homme s’élargit. « Parce que je crois que tu as plus de valeur pour moi vivante que morte. Et parce que je crois que, au fond, tu as besoin de ce genre d’informations pour t’en sortir. »

Le ton de sa voix, direct et presque trop sincère, me déstabilisa un instant. Une pointe de vulnérabilité traversa mon esprit, mais je la balayai rapidement. Je ne pouvais pas me laisser déstabiliser par de simples mots. Je savais ce que je devais faire.

Je fermai le dossier d’un geste décidé, le posant sur la table avec soin. Je levai à nouveau les yeux vers lui, mon regard plus dur, plus déterminé que jamais. « Tu penses que j’ai besoin de toi, mais tu te trompes. »

L’homme sourit, mais il n’insista pas. « Comme tu voudras. » Il se tourna alors, se dirigeant vers la porte. Avant de disparaître dans l’obscurité, il se tourna une dernière fois vers moi, un éclat calculateur dans les yeux.

« Mais souviens-toi de ce que je t’ai dit, Selena. Même une voleuse comme toi ne peut pas fuir ce qui est inévitable. »

Et avec ces derniers mots, il disparut dans la nuit, laissant une lourde impression derrière lui.

Je restai là, immobile, les yeux fixés sur la porte qui se refermait derrière lui. Mon cœur battait la chamade, une tension sourde m’envahissant. Cet homme, tout comme Viktor, n’avait pas menti. Il avait vu à travers mes doutes, il savait exactement où appuyer pour que je m’interroge sur mes choix. Mais il faisait partie du même jeu, et je n’allais pas tomber dans ses pièges.

Je n’avais aucune illusion. Ce dossier pouvait être la clé, mais à quel prix ? Il n’était plus question de douter. L’heure n’était plus aux hésitations. Je devais avancer, coûte que coûte. Mais chaque pas me rapprochait un peu plus de l’inévitable confrontation avec Viktor. Et cette fois, je savais que la danse du danger ne laisserait aucune place à l’erreur.