Élise
Je rentrai chez moi ce soir-là, l’esprit embrumé, le livre toujours dans mes mains comme un talisman étrange. Je n'avais pas réussi à me défaire du souvenir de Damien, de son regard perçant et de ses paroles lourdes de sens. "Les ombres finissent toujours par nous rattraper." Ces mots résonnaient en moi d’une manière que je n’arrivais pas à comprendre. Quelles ombres ? Et pourquoi moi, pourquoi maintenant ?
Je m’assis sur le canapé de mon petit appartement, mes jambes repliées sous moi. L’atmosphère de la pièce, habituellement réconfortante, me semblait soudainement oppressante. Le bruit de la pluie battant contre la fenêtre amplifiait le silence qui régnait autour de moi. Mes yeux se posèrent sur le livre. Le titre – Ombres sur le passé – semblait encore plus énigmatique. Je tournai la couverture dans mes mains, comme si j’attendais que les pages me révèlent quelque chose de plus.
Je m’apprêtais à rouvrir le livre lorsque mon téléphone vibra sur la table basse. Un message. Je laissai passer un instant d'hésitation avant de le lire, un pressentiment naissant dans mon ventre. C’était de Damien.
"La galerie. 21 heures. Ne soyez pas en retard. Il est temps d’explorer les ombres."
Je fixai l’écran, mon cœur battant plus fort dans ma poitrine. Pourquoi m’avait-il envoyé ce message ? Comment savait-il que j’allais venir ? Cela faisait moins de 24 heures que je l’avais rencontré. Ce n’était pas normal. Mais en même temps, quelque chose en moi l’appelait, une force que je n’arrivais pas à ignorer.
Je me levai brusquement, la décision prise. Peu importe pourquoi il m’avait contactée, je ne pouvais pas refuser. Ce n’était pas seulement une invitation à une galerie d’art. C’était une invitation à quelque chose de plus grand, plus sombre, quelque chose que je ne pouvais encore comprendre.
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La pluie tombait plus fort alors que je me dirigeais vers la galerie. Le vent faisait danser les ombres des réverbères sur les murs de la rue, créant des formes mouvantes qui semblaient presque vivantes. Je n'avais pas peur, mais un léger frisson parcourait mon dos à chaque coin de rue que je franchissais. Chaque pas me menait plus loin dans une atmosphère d’incertitude, comme si la ville elle-même me murmurait des avertissements que je refusais d’entendre.
J’arrivai devant la galerie à 20h55. Le bâtiment semblait plus imposant la nuit, les lumières tamisées de l’intérieur diffusant une lueur chaleureuse qui contrastait avec le froid extérieur. La porte était entrouverte, comme une invitation silencieuse à entrer. Étrangement, je n’avais pas besoin de frapper. Je poussai doucement la porte et entrai.
L’intérieur de la galerie était aussi sombre et mystérieux que je l'avais imaginé. Les murs étaient décorés de toiles gigantesques, chacune plus déstabilisante que la précédente. Des peintures abstraites aux couleurs profondes, des portraits qui semblaient bouger sous mes yeux, et des paysages noirs où la lumière semblait engloutie à jamais. L’odeur du bois et de l’huile de peinture flottait dans l’air.
"Bienvenue, Élise." La voix de Damien me fit sursauter. Je me retournai pour le voir apparaître de l’ombre, un léger sourire sur ses lèvres. Son regard était plus intense que jamais, comme s’il cherchait à sonder mon âme à travers mes yeux. "Je suis heureux que vous soyez venue."
Je n'osai rien dire pendant un instant, mon cœur battant à tout rompre. "Je... je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre," murmurai-je. "Pourquoi m’avoir invitée ici ?"
Damien s’approcha lentement, ses pas résonnant dans l’espace silencieux. "Parce que vous avez quelque chose de spécial, Élise. Une sensibilité que peu de gens possèdent." Il s’arrêta devant un tableau particulièrement frappant, une grande toile noire avec des éclats de lumière blanche qui semblaient sortir du centre. "Ce que vous voyez ici, ce n’est pas seulement de l’art. C’est une quête. Une exploration de l’âme humaine, des ténèbres que nous cachons tous à l’intérieur."
Je m’approchai du tableau, le regardant de plus près. Une étrange sensation d’inquiétude me saisit, mais je ne pouvais détacher mes yeux de la toile. "Mais… pourquoi me montrer tout cela ?"
Damien sourit de nouveau, un sourire froid, calculé. "Parce que vous êtes prête à voir. Les ombres ne disparaissent jamais, Élise. Elles attendent, patientes, dans chaque recoin de notre existence. Mais parfois, nous devons les affronter. Nous devons les regarder droit dans les yeux, sans peur, pour comprendre qui nous sommes vraiment."
Je me détournai du tableau, mes pensées en tourmente. Ce qu’il disait résonnait en moi d’une manière dérangeante. Était-ce cela qu’il attendait de moi ? Qu’à un moment donné, je fasse face à mes propres démons ? Mais quels démons ? Je ne savais pas encore, mais il y avait quelque chose d’irrésistible, de presque magnétique, dans ce qu’il me proposait. Comme si Damien détenait les clés d’un monde que j’avais toujours cherché à comprendre.
"Je vous ai invitée ici pour vous montrer ce que l'art peut vraiment révéler," poursuivit-il, sa voix plus douce, mais toujours pleine de cette même autorité. "Il ne s'agit pas simplement de couleurs et de formes. Chaque œuvre ici raconte une histoire. Une histoire qui attend d’être lue."
Il s’éloigna vers une autre toile, me laissant seule dans le silence lourd de la galerie. Je ne savais pas quoi faire de mes pensées. Tout semblait trop… lourd. Pourtant, une partie de moi savait que je ne pouvais pas partir maintenant. Que je devais comprendre, qu’il fallait que je voie jusqu’où cette histoire nous mènerait.
Je m’approchai à mon tour du tableau suivant. Une scène chaotique, déformée, des ombres humaines se tordant dans une danse macabre. Des figures indistinctes semblaient se fondre et se défaire, comme si le temps lui-même se dérobait sous leurs pieds. Le nom de l’artiste était inscrit en bas à droite, un nom qui ne me disait rien. Mais quelque chose dans la peinture m’attira, comme si elle me murmurait des secrets que je n’étais pas prête à entendre.
"Cette œuvre représente ce que vous ressentez, n’est-ce pas ?" demanda Damien, s’étant approché sans que je ne le remarque. "Un monde en ruines. Des souvenirs brisés. Des regrets enfouis."
Je me tournai brusquement vers lui, mes yeux cherchant une réponse. Comment savait-il cela ? Il n’avait même pas besoin de poser la question, il savait déjà.
"Oui," répondis-je, à voix basse. "C’est exactement ça. Je me sens… perdue. Égarée, comme si tout autour de moi était en morceaux."
Damien me regarda intensément, un éclat dans ses yeux. "Nous sommes tous un peu brisés, Élise. Et parfois, il faut s’aventurer dans l’obscurité pour comprendre qui nous sommes vraiment. Vous n’êtes pas seule dans votre douleur. Mais parfois, il faut accepter cette souffrance pour avancer."
Je sentis une vague de tristesse m’envahir. Un poids lourd, presque insupportable, s’installa dans ma poitrine. Mais en même temps, il y avait quelque chose de réconfortant dans ses mots. Quelque chose qui semblait me promettre que, dans ce monde de ténèbres, il y avait encore de l’espoir à trouver.
"Alors, que dois-je faire ?" demandai-je enfin, le regard fixé sur Damien, une détermination nouvelle dans ma voix.
"Suivez-moi," répondit-il simplement, avant de s'éloigner dans l’ombre de la galerie. "Il est temps de voir jusqu’où vont les ombres."