Chapitre 3 : Les Ombres de la Vérité

1077 Mots
Élise La galerie semblait se transformer à mesure que Damien me guidait plus loin, dans une section que je n’avais pas remarquée lors de ma première visite. Les murs étaient recouverts de peintures plus sombres, plus personnelles, des toiles qui semblaient être des fenêtres sur un monde que la lumière avait oublié. Les formes se tordaient et se contorsionnaient, des visages mutilés par la douleur, des paysages en ruines, des silhouettes emprisonnées dans l’ombre. Chaque œuvre respirait la souffrance, la solitude, mais aussi une sorte de beauté morbide. Damien s’arrêta devant une toile en particulier. Elle était immense, presque oppressante. Une scène nocturne, un paysage dévasté où la lune était éclipsée par des nuages noirs, et au centre de la toile, une silhouette féminine, seule, se tenant sur un pont fragile au-dessus d’un gouffre. Ses bras étaient tendus vers l’abîme, comme si elle tentait de saisir quelque chose d’invisible, quelque chose d’inaltérable. "Regardez cette toile," dit Damien d’une voix grave. "Elle représente une âme perdue, tout comme vous l’êtes. Elle cherche quelque chose, mais elle ignore encore ce qu'elle doit trouver." Je m’approchai lentement de la peinture, attirée par la solitude qu’elle dégageait. Cette femme, cette silhouette fragile, je la comprenais. Je me sentais comme elle, suspendue entre deux mondes, cherchant quelque chose qui m’échappait. "Je… je ne suis pas sûre de comprendre," murmurais-je, ma voix hésitante. "Qu’est-ce que vous voulez dire ?" Damien tourna son regard vers moi, une lueur de compréhension dans ses yeux. "Elle cherche la vérité, mais elle a peur de la découvrir. Elle se sent vulnérable, comme vous vous sentez en ce moment. Il y a des vérités qui sont trop sombres pour être acceptées. Mais parfois, c’est la seule chose qui peut nous libérer." Je déglutis difficilement, les mots de Damien me frappant comme un coup de poing dans le ventre. La vérité. Quelle vérité ? Et pourquoi avais-je l’impression que cette vérité me concernait plus que n’importe quelle autre personne dans cette galerie ? Damien s’avança à son tour, ses pas silencieux sur le sol en bois. Il s’arrêta près de moi, et pendant un instant, nous restâmes là, ensemble, devant la toile, plongés dans un silence lourd. "Vous avez des secrets, Élise," dit-il enfin, sa voix plus douce, presque un murmure. "Je peux le voir dans vos yeux. Vous fuyez quelque chose. Quelque chose du passé." Je me tendis. Comment osait-il ? Je ne l’avais jamais autorisé à pénétrer aussi profondément dans mes pensées. Pourtant, il avait raison. Il y avait des choses, des bribes d’un passé que j’avais enfoui au fond de moi-même, des souvenirs que je n’osais affronter. "Je n’ai rien à vous dire," dis-je, presque avec défi, mais ma voix trahissait une certaine fragilité. "Je ne veux pas parler de mon passé." Damien me regarda sans répondre, un éclat étrange dans ses yeux sombres. "Je ne veux pas vous forcer à parler. Mais le temps viendra où vous devrez faire face à vos démons, Élise. C’est inévitable." Il s’éloigna doucement de la toile, me laissant seule face à l’œuvre. "Vous voyez, l’art a cette capacité étrange de révéler ce que nous cachons à nous-mêmes. Et parfois, ce n’est pas ce que nous attendions." Je restai là un moment, les yeux rivés sur la silhouette de la femme peinte sur la toile. Son corps était tendu, figé dans un instant de suspens, comme si elle hésitait à sauter dans l’obscurité. Je me demandais si, moi aussi, j’étais à ce point suspendue entre deux mondes, incapable de prendre une décision, prise au piège de mes propres peurs. "Damien," dis-je enfin, ma voix brisée par une émotion que je ne savais pas identifier. "Pourquoi cette galerie ? Pourquoi toutes ces œuvres… sombres ?" Il tourna légèrement la tête vers moi, un sourire en coin. "Parce que la beauté réside parfois dans l’obscurité. Et parce que, tout comme moi, vous êtes à la recherche de quelque chose que vous ne comprenez pas encore. Ces œuvres ne sont pas seulement des peintures. Ce sont des reflets. Des reflets de ce que vous êtes, de ce que vous avez été, et de ce que vous pouvez devenir." Je déglutis, mon cœur battant plus fort. Il y avait quelque chose dans la façon dont il parlait, quelque chose de profond et de menaçant à la fois. Mais il y avait aussi, au fond, une lueur d’espoir qui m'attirait, une promesse que la souffrance avait un sens, que la douleur pouvait mener à quelque chose de plus grand. "Alors, que dois-je faire ?" demandai-je, ma voix à peine audible. "Que dois-je chercher ici ?" Damien s’approcha de nouveau, cette fois-ci avec une lenteur calculée. Il se pencha vers moi, comme pour s’assurer que j’écoutais attentivement. "Vous devez plonger dans l’obscurité. Vous devez accepter de faire face à ce que vous fuyez. C’est seulement ainsi que vous pourrez avancer, seulement ainsi que vous pourrez comprendre ce qui vous hante." Il s’arrêta juste à côté de moi, et pour la première fois, son regard sembla plus humain, presque vulnérable. "Parce que vous ne pourrez jamais échapper aux ombres, Élise. Elles font partie de vous. Et si vous ne les acceptez pas, elles vous dévoreront." Un frisson parcourut ma colonne vertébrale. Je n’étais pas sûre de ce qu’il voulait dire. Mais en même temps, quelque chose en moi savait qu’il avait raison. Je ne pouvais pas continuer à fuir éternellement. Mes démons me suivaient, toujours là, toujours prêts à surgir à la moindre ouverture. "Je vais… je vais essayer," dis-je finalement, ma voix douce mais pleine de résolution. "Je vais essayer de comprendre." Damien me regarda un instant sans dire un mot, puis il se tourna vers l’une des autres toiles, comme s’il avait anticipé ma réponse. "Bonne décision. Mais rappelez-vous ceci : comprendre n’est pas la même chose que guérir. Parfois, une vérité doit être acceptée avant d’être guérison. Et parfois, cela fait plus de mal que de bien." Je suivis son regard et fixai la toile qu’il me montrait. Une œuvre encore plus dérangeante que la précédente, où des visages déformés semblaient s’arracher de la toile, se tendant vers l’extérieur comme s’ils voulaient s’échapper. L’un d’eux semblait me regarder droit dans les yeux. Je fermai les yeux un instant, mon esprit tourbillonnant. Je savais que je venais de faire un pas que je ne pourrais plus reculer. Les ombres qui m’entouraient étaient plus proches, plus tangibles, mais je n’avais plus le choix. Je devais avancer.
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