Les jours suivants passèrent dans un flou étrange, comme si le temps lui-même était devenu plus lent, plus lourd. Je me rendais régulièrement à la galerie, obsédée par les toiles de Damien. Chaque exposition, chaque peinture, semblait m’attirer davantage dans mon propre abîme. Les couleurs sombres, les formes déformées, et surtout les regards pénétrants des personnages peints m’envahissaient, comme si ces œuvres avaient un pouvoir sur moi, un pouvoir de révéler des parties de moi-même que je n’étais pas prête à voir.
Le silence qui régnait dans la galerie, cet endroit étrange et presque sacré, devenait une sorte de refuge pour moi. Il y avait quelque chose de rassurant dans cette absence de bruit, cette atmosphère feutrée où les seuls sons étaient les pas discrets de Damien, ou le léger froissement des toiles accrochées aux murs. Mais ce silence, au lieu de m’apaiser, semblait m’enfoncer encore plus dans mes réflexions. Mes pensées tournaient en boucle, cherchant à comprendre ce qui se passait en moi, pourquoi Damien avait raison de dire que je devais affronter mes démons.
J’avais pris l’habitude de rester seule dans la galerie après la fermeture, errant parmi les œuvres. Damien m’avait laissé cette liberté, comme si quelque chose en lui comprenait mon besoin de solitude. Mais, au fond, je savais que ce n’était pas une véritable liberté. J’étais prisonnière de cet endroit, comme ces personnages figés dans leurs toiles.
Un soir, alors que je m’attardais près d’une peinture en particulier, une silhouette dans l’ombre s’approcha de moi. Un frisson me parcourut. Je n’avais pas entendu les pas, mais je sentais la présence derrière moi comme une pression douce mais constante.
"Élise," dit la voix de Damien, brisant le silence pesant.
Je me tournai lentement, rencontrant son regard intense, presque hypnotique. Il n’était pas comme les autres hommes. Il n’avait pas besoin de gestes ou de paroles pour captiver quelqu’un. Son simple regard suffisait à susciter l’envie, la peur et une étrange attirance.
"J’ai remarqué que vous passiez beaucoup de temps ici," dit-il doucement. "Ces œuvres, elles vous touchent, n’est-ce pas ?"
Je hochai la tête, les mots me manquaient. "Oui. Elles... elles me parlent d’une manière que je ne comprends pas. Chaque tableau est comme un cri silencieux, un appel. C’est comme si... chaque peinture était une partie de moi que je n’avais pas encore vue."
Damien sourit légèrement, mais il y avait une tristesse dans son regard. "C’est parce que vous cherchez des réponses dans le mauvais endroit, Élise. Vous cherchez à comprendre ce qui est enfoui en vous, mais l’art ne peut pas vous le donner. L’art, tout comme l’obscurité, peut seulement vous montrer ce que vous refusez de voir."
Je frissonnai, mes pensées se bousculant. J'avais peur d’aller trop loin, de découvrir des choses sur moi-même que je n’étais pas prête à affronter.
"Que dois-je faire ?" demandai-je, une détresse palpable dans ma voix. "Je suis perdue, Damien. Je ne sais plus qui je suis, ni ce que je cherche."
Damien me fixa un moment, puis se rapprocha lentement, ses yeux ne quittant pas les miens. "Il est temps que vous commenciez à affronter ce que vous avez laissé derrière vous. Vous ne pouvez pas avancer tant que vous vivez dans l’ombre de votre passé."
Je le regardai, les lèvres tremblantes. "Et comment puis-je faire cela ?"
Il s’approcha encore davantage, si proche que je pouvais sentir son souffle contre ma peau. "Je vais vous montrer," dit-il d’une voix basse, presque envoûtante. "Je vais vous guider à travers l’obscurité. Mais il y a un prix à payer. Chaque vérité que vous découvrirez, chaque secret qui resurgira, aura un coût. Et peut-être que ce coût sera trop élevé pour vous."
Je n’eus pas le temps de répondre. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, Damien se tourna et m’invita à le suivre. Nous sortîmes de la galerie et empruntâmes un chemin désert à travers la ville, un endroit que je n’avais jamais remarqué auparavant, caché entre les rues sombres et les bâtiments abandonnés.
Il me conduisit jusqu’à une vieille porte en bois, à l’apparence usée par le temps. Damien s’arrêta un instant devant, puis, d’un geste calme, il ouvrit la porte. Elle menait à un sous-sol, un espace lugubre où l’air était épais et moisi.
"Voici l’endroit où les secrets reposent," dit-il, sa voix résonnant dans l’espace clos. "Vous devez entrer. C’est là que vous trouverez ce que vous cherchez."
Je me figeai un instant, l’angoisse montant dans ma gorge. Je n’étais pas prête pour ça. Je le savais. Mais je n’avais pas le choix. J’étais attirée par cette promesse, cette illusion de réponses qui brillait devant moi, comme un feu follet qui m’attirait au fond du gouffre.
Je entrai dans le sous-sol, mon cœur battant la chamade. L’obscurité m’enveloppait lentement, et je sentis l’air lourd autour de moi, comme si les murs eux-mêmes cherchaient à m’étouffer.
Damien me suivit, refermant la porte derrière nous. "Vous êtes prête, Élise ?" demanda-t-il, son ton un peu plus dur, comme s’il sentait l’hésitation en moi.
Je hochai la tête, même si je n’en étais pas certaine. "Je suis prête."
"Alors, regardez," dit-il simplement, pointant du doigt une vieille boîte posée sur une table poussiéreuse.
Je m’approchai lentement de la boîte, une sensation d’effroi montant en moi. Que pouvait-il bien y avoir dedans ? Quels secrets Damien voulait-il que je découvre ?
Je ouvris la boîte, et en un instant, mon monde bascula. À l’intérieur, des papiers, des lettres, des photographies… des fragments d’une vie que j’avais oubliée. Des lettres que je n’avais jamais voulu lire, des visages.