Chapitre 10

1433 Mots
Chapitre 10 LE POINT DE VUE LÉO Isabella Romano. Elle s’était avancée parmi la foule, entourée d’hommes en costume et de femmes qui semblaient toutes vouloir lui ressembler sans jamais y parvenir. Sa robe rouge sang épousait chaque mouvement, chaque respiration. Ses boucles brunes tombaient sur ses épaules, et son regard… ce regard insolent, presque joueur, dévorait l’espace autour d’elle comme si le monde lui appartenait. Quand nos yeux se croisèrent, le temps se suspendit un instant. Elle ne détourna pas les yeux. Moi non plus. C’était un duel silencieux, un échange de territoires le genre de tension qu’on ne crée qu’entre deux êtres qui savent exactement le pouvoir qu’ils dégagent. Je m’approchai. Matteo, en retrait, marmonna quelque chose que j’ignorai délibérément. La foule s’ouvrit d’elle-même, comme si elle avait compris que la collision était inévitable. Elle se tenait près du bar, un verre de champagne à la main, ses doigts jouant distraitement avec la tige de cristal. Quand j’arrivai à sa hauteur, elle esquissa un sourire en coin, celui des femmes qui savent qu’elles ont déjà gagné avant même que la partie ne commence. — Leonardo De Luca, dit-elle, sans même feindre la surprise. Sa voix était douce et acérée à la fois. — Le fils du grand Alessandro. Le revenant de Rome. Je la détaillai de haut en bas, calmement, avant de répondre : — Isabella Romano. La fille du diable en personne. Elle rit, un rire clair, insolent. — Vous avez hérité de la poésie de votre père, à ce que je vois. — Non, dis-je en m’approchant. De sa mémoire. Et je me souviens très bien de ce que votre famille a fait à la mienne quand j'étais encore gosse . Ses yeux s’illuminèrent d’une lueur presque amusée. — Oh, vous parlez comme un homme en quête de vengeance. C’est dangereux, Leonardo. Les gens qui vivent dans le passé finissent souvent ensevelis avec lui. Je pris une gorgée de vin, sans la quitter du regard. — Et les gens qui vivent dans l’arrogance finissent souvent par tomber de haut. Elle inclina légèrement la tête, un sourire provocateur dessinant ses lèvres. — Vous croyez pouvoir me faire tomber, De Luca ? Je m’avançai d’un pas. Nos visages n’étaient plus qu’à quelques centimètres. Je pouvais sentir son parfum — un mélange de vanille et de feu. — Non. Mais je crois que je pourrais vous faire trembler. Elle rit de nouveau, plus doucement cette fois. Un rire qui n’appartenait ni à la peur, ni au mépris… mais à une sorte de reconnaissance dangereuse. — Vous êtes sûr de vous. Trop, peut-être. — J’ai grandi dans un monde où le doute se paye en sang, répondis-je. Elle leva son verre et le fit tinter contre le mien. — Intéressant. Moi, j’ai grandi dans un monde où le sang s’achète. Nos verres s’entrechoquèrent doucement. Le cristal vibra. Un silence s’installa épais, presque sensuel. Je ne savais pas si je la méprisais ou si je la désirais. Peut-être les deux. Elle reprit, son ton faussement léger : — Alors, dites-moi, Leonardo… Vous comptez diriger Rome avec ce regard de prédateur ? Ou avec la colère d’un fils blessé ? Je penchai la tête, lentement. — Avec les deux. Parce qu’on ne reconstruit pas un empire en pardonnant. Elle se rapprocha à son tour, un éclat de défi dans les yeux. — Et si je faisais partie de cet empire que vous rêvez de reconstruire ? Je souris, glacial. — Alors je le détruirais pierre par pierre. Elle arqua un sourcil, visiblement ravie de ma réponse. — Parfait. J’aime les hommes qui savent ce qu’ils veulent. Même quand ce qu’ils veulent, c’est ma perte. Elle posa son verre, me frôla l’épaule en passant et murmura à mon oreille : — Faites attention, Leonardo. La haine, parfois, ressemble trop à la passion. Je la regardai s’éloigner, la robe écarlate ondulant dans la lumière dorée du palais. Chaque pas qu’elle faisait semblait un ordre. Chaque regard qu’elle lançait, une provocation. Matteo s’approcha, les mains dans les poches. — Elle va te détruire, Léo. Je fixai la silhouette d’Isabella disparaissant dans la foule. — Non, Matteo. Un sourire sans joie effleura mes lèvres. — C’est moi qui vais la brûler. Je vis Isabella s’éloigner, sa robe rouge coupant à travers la marée humaine comme une traînée de feu. Je ne réfléchis pas. Je la suivis. Elle allait atteindre la sortie du hall quand ma main se referma sur son poignet. Sa peau était chaude, douce, et le choc la fit se retourner brusquement, les yeux chargés de ce mélange de surprise et d’agacement qui m’amusait presque. — Vous avez un problème, De Luca ? lança-t-elle, la voix tranchante. Je ne répondis pas. La musique monta un air de violon, langoureux et feutré. Je tirai légèrement sur son poignet, la ramenant vers moi, et, avant qu’elle ne proteste davantage, je posai une main sur sa taille. — Dansez avec moi, dis-je simplement. Elle resta immobile une seconde, interdite. Puis, à contrecœur, elle céda. Peut-être par orgueil. Peut-être par curiosité. Nos corps se mirent à bouger, lentement, en rythme avec la musique. Autour de nous, les regards chuchotant. Deux ennemis héréditaires, unis sur une piste de danse. La Rome mafieuse entière devait retenir son souffle. — Vous êtes audacieux, murmura-t-elle sans lever les yeux. — On m’a souvent dit ça, répondis-je calmement. Elle leva enfin la tête, plantant ses yeux dans les miens. — Qu’est-ce que vous voulez, De Luca ? Je souris légèrement. — Juste parler. Vous et moi. Après tout ça. Elle rit, un rire clair, provocateur, presque cruel. — Parler ? Avec la fille de votre ennemi juré ? Vous espérez quoi, Leonardo ? Que je vous serve d’appât pour piéger mon père ? Si c’est le cas, vous vous trompez lourdement. Je la fis pivoter doucement, ma main toujours sur sa taille. — Non. Loin de là. Ma vengeance ne vous concerne pas, Isabella. — Vraiment ? fit-elle, incrédule. — Oui. Les De Luca et les Romano ne s’entendront probablement jamais. Mais cela n’empêche pas… que nous, on se voie. Elle eut un petit rire ironique. — Et de quoi voulez-vous qu’on parle, Leonardo ? De business ? De politique ? Ou du goût de la trahison ? Je la ramenai contre moi, nos pas s’accordant à la perfection. — Peut-être de tout ça. Ou de rien du tout. Parfois, le silence dit plus de choses que les mots. Elle baissa les yeux, un sourire malicieux au coin des lèvres. — Vous savez que le simple fait de danser avec moi, ici, c’est déjà dangereux ? Je penchai la tête, mon souffle effleurant son oreille. — Oui. Et c’est justement pour ça que j’aime ça. Les choses dangereuses m’excitent. Elle s’écarta légèrement pour me regarder. Ses yeux pétillaient d’un éclat moqueur. — Vous êtes cinglé, De Luca. Complètement cinglé. Je ris doucement, sans la lâcher. — Peut-être. Mais si je n’avais pas reçu une bonne éducation, je vous aurais déjà prouvé le contraire. Ma mère m’a appris à respecter les femmes. Je baissai un peu la voix. — Sinon, quelqu’un qui m’appelle “cinglé” serait déjà six pieds sous terre. Elle arqua un sourcil, provocante. — Vous me menacez, maintenant ? Nos pas ralentirent, nos visages à quelques centimètres l’un de l’autre. — Non, répondis-je, ma voix à peine un murmure. — Je vous préviens. Je ne suis pas une femme qu’on intimide. — Je sais. C’est justement pour ça que vous m’intéressez. Elle resta silencieuse un instant, cherchant quelque chose dans mon regard. Peut-être une faille. Peut-être un mensonge. Mais je n’en avais pas. Les notes de violon s’éteignirent lentement. Je lâchai sa main, doucement, sans rompre le contact visuel. — Un jour, Isabella, dis-je, vous réaliserez qu’on ne peut pas toujours choisir de qui on se rapproche. Même quand c’est la mauvaise personne. Elle eut un sourire énigmatique, recula d’un pas, puis répondit simplement : — Et un jour, Leonardo, vous comprendrez qu’approcher une flamme ne fait pas de vous un homme courageux. Juste un homme prêt à brûler. Elle se détourna, sa robe rouge ondulant dans la lumière. Je la suivis du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans la foule. Matteo s’approcha, lentement, son expression indéchiffrable. — Alors ? Je haussai les épaules, un sourire glacé sur les lèvres. — Elle danse bien. Et elle ment encore mieux. Mais dans le fond, je savais que cette danse n’était pas un jeu. C’était une déclaration de guerre. Et qu’entre Isabella et moi… la frontière entre la haine et le désir venait de s’effondrer.
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