Chapitre 14 : Le Message du Loup
Du point de vue d’Isabella Romano
Je claquai la porte de ma chambre si fort que les tableaux sur le mur en frémirent.
L’air vibrait encore des cris de mon père, des regards outrés de ma mère, et du visage calme du prince Marco.
Ce visage, si doux, si patient, qui me donnait envie de hurler davantage.
A
Je fis quelques pas, les mains tremblantes. Mon reflet dans le miroir me renvoya une image qui me surprit :
je n’étais pas en colère.
J’étais… fatiguée.
Je me laissai tomber sur le lit, mes cheveux s’étalant sur les draps.
J’avais la tête lourde, le cœur encore plus.
Tout semblait déjà écrit : ma robe de mariée, mon avenir, mon rôle dans une cage dorée.
Et moi, je refusais d’en lire la fin.
Je pris mon téléphone pour m’évader.
Réseaux, messages, banalités.
Puis, une notification apparut.
Un numéro inconnu.
Pas d’image. Pas de nom.
Juste un message.
“Tu danses toujours aussi bien, Isabella Romano.”
Je restai figée.
Mon souffle se coupa net.
Je savais cette voix sans la voir.
Je pouvais l’entendre dans ma tête, grave, calme, provocante.
Leonardo De Luca.
Je relus le message une seconde fois. Puis une troisième. Mon cœur battait fort, contre ma volonté.
Je tapai une réponse rapide, cinglante :
“Les fantômes devraient rester dans les tombes, De Luca.”
Le message partit.
Je me redressai, persuadée qu’il ne répondrait pas. Mais il le fit.
“Je ne suis pas un fantôme. Je suis ce que ton père redoute le plus : un souvenir vivant.”
Je soufflai, un mélange d’agacement et de curiosité.
Toujours aussi théâtral.
Toujours aussi sûr de lui.
Je tapai encore :
“Et que veut un souvenir vivant de moi ? Un rappel de ce que vous ne pouvez pas avoir ?”
Cette fois, la réponse vint presque immédiatement.
“Juste une conversation. Ce soir. 22h. Café Lungo, Via dei Condotti. Disons… entre ennemis civilisés.”
Je laissai tomber le téléphone sur le lit, les doigts crispés.
— Il est fou, murmurai-je.
Complètement fou.
Je me levai, fis les cent pas.
Une part de moi voulait rire de son audace. L’autre… voulait accepter.
Une conversation.
Comme si c’était anodin.
Comme si ce n’était pas un pas vers le gouffre.
Je me regardai dans le miroir.
Mes yeux brillaient d’un éclat que je n’avais pas vu depuis longtemps : celui du danger. Celui de la liberté.
Je pris mon téléphone, hésitai quelques secondes, puis tapai :
“Vous ne manquez pas de culot, De Luca.”
Réponse instantanée.
“Je prends ça pour un oui.”
Je souris malgré moi, un sourire que je tentai d’effacer aussitôt.
— Arrogant jusqu’au bout, soufflai-je.
Je laissai tomber le téléphone sur le lit, mais je savais déjà que j’irais.
Pas parce que j’en avais envie.
Mais parce qu’il était le seul à m’avoir parlé sans me dicter ce que je devais être. Et d'un côté, je savais que mon père serait fou de rage lorsqu'il saura que j'ai été invité par Léo.
Je m’approchai de ma coiffeuse, effleurai les flacons de parfum, les bijoux alignés.
J’en choisis un, simple, noir, élégant. Pas pour lui. Pour moi.
En enfilant ma robe, je chuchotai, comme un serment à mon propre reflet :
— Ce n’est qu’un café. Pas une déclaration de guerre.
Mais une voix dans ma tête me répondit, glaciale et lucide :
Non, Isabella. C’est le début d’une alliance impossible.
Et tandis que je glissai mon téléphone dans mon sac, mon cœur battait trop fort pour mentir.
LE POINT DE VUE DE LEONARDO
La porte s’ouvrit.
Un léger tintement de cloche, presque cérémoniel.
Et elle entra.
Sans escorte.
Sans garde du corps.
Sans peur apparente.
Ses talons claquèrent sur le sol de marbre avec une insolence étudiée.
Elle portait une robe noire, simple mais coupée à la perfection, et un manteau long qu’elle laissa glisser sur sa chaise en s’asseyant face à moi.
Je souris, lentement.
— Je commençais à croire que vous ne viendriez pas.
Elle haussa un sourcil, un demi-sourire effleurant ses lèvres.
— Et rater le spectacle du fils maudit des De Luca ? Jamais.
Je ris doucement.
— Toujours aussi piquante. Vous devriez faire attention, Isabella. Dans certaines bouches, l’arrogance peut être fatale.
— Et dans la vôtre ? demanda-t-elle en croisant les jambes.
— Dans la mienne, elle est un compliment.
Elle fit mine de s’amuser, mais je voyais dans son regard la méfiance.
Elle était sur ses gardes, prête à frapper au moindre mot.
Je pris une gorgée de vin.
— Vous êtes sortie sans vos gardes. Audacieux. Votre père sait que vous êtes ici ?
Elle planta ses yeux dans les miens, un éclat de défi dans le regard.
— Si je devais demander la permission à chaque fois que je respire, je serais déjà morte d’asphyxie.
Je me penchai légèrement vers elle.
— Alors vous aimez désobéir.
— Non. J’aime choisir.
Silence.
Un long silence où nos regards se jaugèrent, se cherchèrent, se provoquèrent.
Deux prédateurs dans une cage de velours.
Je posai le verre, mes doigts glissant lentement sur la surface lisse de la table.
— Vous savez pourquoi je vous ai invitée, Isabella ?
— Pour me manipuler ? répondit-elle sans hésiter.
— Pour me charmer, peut-être ? Ou pour voir si la fille de votre ennemi est aussi naïve que belle ?
Je souris, amusé par sa vivacité.
— Vous êtes bien plus dangereuse que je ne l’imaginais.
— Et vous, bien plus prévisible.
Je laissai échapper un léger rire.
— Touché.
Elle se pencha à son tour, ses coudes sur la table, sa voix plus basse, presque caressante.
— Alors, dites-moi, Leonardo De Luca… qu’est-ce que vous espérez trouver ici ? Une alliance ? Un jeu ? Une distraction ?
Je pris un instant avant de répondre.
— Je cherche la vérité.
Elle haussa un sourcil.
— Et vous croyez qu’elle est ici, dans un café, entre un verre de vin et une femme que vous ne devriez même pas regarder ?
Je la fixai.
— Peut-être. Parce que parfois, Isabella, la vérité se cache derrière ce qu’on nous interdit.
Ses yeux s’adoucirent un instant. Juste un instant.
Puis elle détourna le regard, jouant avec la cuillère de son café.
— Vous êtes étrange, dit-elle doucement. On dirait que vous portez tout un monde sur les épaules, mais que vous refusez de plier.
— Peut-être parce que plier, c’est mourir.
Elle releva la tête, et pour la première fois, je la vis réellement m’observer.
Pas comme un ennemi. Pas comme le fils du diable.
Mais comme un homme.
— Et moi, Leonardo ? demanda-t-elle. Qu’est-ce que vous voyez, quand vous me regardez ?
Je pris une longue inspiration, mes yeux ancrés aux siens.
— Je vois une femme qui se bat pour respirer dans une cage dorée.
Une femme qui hait son père, mais qui lui ressemble plus qu’elle ne veut l’admettre.
Et je vois…
Je marquai une pause.
— …quelqu’un qui, sans le vouloir, commence à m’intriguer.
Un léger silence tomba.
Ses doigts cessèrent de jouer avec la cuillère.
Ses lèvres s’entrouvrirent, mais aucun mot ne sortit.
Elle finit par souffler, plus bas :
— Vous jouez avec le feu, De Luca.
— Et vous, vous aimez le regarder brûler.
Elle se leva soudainement, reprenant son manteau.
— Vous savez quoi ? Cette conversation est une erreur.
Je me levai à mon tour, calmement.
— Non, Isabella. Ce qui serait une erreur, c’est de prétendre qu’elle n’a pas compté.
Elle s’arrêta, dos à moi.
— Je n’ai pas peur de vous, Leonardo.
— Je sais. C’est pour ça que vous m’intéressez.
Elle se retourna, un regard noir, mêlé de trouble.
— Je ne suis pas votre distraction.
— Et moi, je ne suis pas votre ennemi. Pas encore.
Elle resta immobile une seconde, puis se détourna sans un mot, quittant le café d’un pas rapide.
Je la suivis du regard jusqu’à ce que la porte se referme derrière elle.
Elle allait partir.
Je le voyais dans la tension de ses épaules, dans la façon dont ses doigts se refermaient sur son manteau.
Elle voulait fuir non pas par peur, mais parce qu’elle sentait ce qu’il se passait entre nous.
Je fis un pas vers elle.
— Attends.
Elle s’arrêta, sans se retourner.
Je pouvais voir, dans le reflet du miroir derrière le comptoir, la ligne de sa mâchoire crispée, son regard brûlant.
— Quoi encore, De Luca ? Vous n’en avez pas eu assez ?
Je m’approchai davantage, lentement, jusqu’à sentir la chaleur de sa peau à travers le tissu fin de sa robe.
— Non, dis-je calmement.
— Pas encore.
Elle se retourna brusquement, nos visages presque collés.
— Vous jouez à quoi, exactement ? murmura-t-elle.
Je la fixai, sans détourner le regard.
— À rien. Je te dis juste la vérité.
Elle haussa les sourcils, un demi-sourire ironique aux lèvres.
— La vérité ? Et quelle est-elle, selon toi ?
Je pris une inspiration lente, mes yeux ancrés aux siens.
— Que tu es belle. Et que je t’apprécie énormément.
Elle resta immobile, figée un instant.
Son sourire s’effaça, remplacé par une expression plus indéchiffrable un mélange de surprise et de méfiance.
— Vous plaisantez, j’espère.
— Non, répondis-je simplement.
Elle secoua la tête, un petit rire nerveux lui échappant.
— Léo De Luca, qui trouve belle la fille de son pire ennemi.
— La vie est pleine d’ironie, répondis-je doucement.
Elle s’éloigna d’un pas, les bras croisés.
— Et donc quoi ? Vous voulez… sortir avec moi ?
— Oui.
Un silence. Elle éclata d’un rire incrédule.
— Vous êtes fou.
— Peut-être. Mais je ne mens pas.
Elle me fixa longuement, ses yeux cherchant une faille.
— Ce n’est pas une blague, hein ? Vous pensez vraiment pouvoir me charmer comme toutes les autres, juste pour atteindre mon père ?
Je fronçai légèrement les sourcils.
— Quoi ?
— Allons, Leonardo. Vous croyez que je ne vois pas clair dans votre jeu ?
Sa voix monta d’un ton, plus dure.
— Vous voulez toucher mon père en me brisant, c’est ça ? Faire de moi une faiblesse, un levier, un trophée ?
Je ne répondis pas tout de suite.
Je la laissai vider sa colère, ses soupçons, ses blessures héritées d’un père manipulateur.
Puis je dis simplement, ma voix basse, posée :
— Si je voulais atteindre ton père par toi , Isabella, crois-moi, je l’aurais déjà fait.
Elle sembla surprise par la douceur de ma voix. Je repris, calmement, sans la lâcher du regard.
— Ce qu’il y a entre ton père et moi… c’est une guerre vieille de vingt ans.
— Mais elle n’a rien à voir avec toi.
Je m’approchai d’un pas, assez pour sentir son parfum, cette odeur de vanille mêlée à la tempête.
— Les affaires de Romano et moi ne te concernent pas.