Lorsque je rouvre les yeux, ce qui me semble être des heures plus tard, la nausée me monte intensément à la gorge. Mes muscles endoloris me rappellent que rien n’est normal. Je me redresse brusquement, reprenant conscience de la situation, ignorant le martèlement dangereux qui résonne dans mon crâne. Le raffut dans la maison, les tirs, les hommes, mon enlèvement et la mort de mon père.
J’ai un hoquet d’horreur quand le dernier élément me revient en mémoire. Paniquée, je jette des regards frénétiques autour de moi espérant éclaircir mes pensées brouillonnes, je me sens soudainement fébrile, ma poitrine se serre dans un étau. Depuis combien de temps est-ce arrivé ?
Le soleil perce à travers des volets à battants, je suis étendue sur le lit d’une immense chambre. Face à moi, une grande cheminée habille le mur, encadrée de tableaux et de boiseries, un ventilateur pend du plafond. D’épais rideaux encadrent les grandes portes fenêtres sur la gauche, une porte ouverte sur la droite du lit donne sur une salle de bain attenante. La pièce est décorée avec goût, luxe et modernité, ce que je reconnais bien.
Je jauge rapidement mon état et constate que je porte toujours et uniquement la nuisette bleue dans laquelle je m’étais couchée
Précautionneusement et aux aguets, je me redresse et tente de reprendre appui sur mes jambes. Elles tremblent alors que je me hisse tant bien que mal, cherchant un équilibre incertain. Je m’approche d’abord des fenêtres et en tourne les poignées. Constatant qu’elles sont scellées, je me dirige vers la salle de bain en tâtonnant. Elle est éclatante et spacieuse, une baignoire sur pied trône au centre de la pièce entièrement carrelée de blanc. Il y a tout le nécessaire de toilette, des sels de bains, des serviettes moelleuses en passant par des crèmes, shampoings et autres produits.
Je profite de ma visite pour utiliser les toilettes séparées par un petit muret derrière la baignoire avant de retourner dans la chambre. Je tente à tout hasard d’ouvrir la porte qui est verrouillée évidemment au même titre que les fenêtres.
J’entreprends alors de fouiller discrètement la pièce, ouvrant les tiroirs de la commode reposant près de la porte, du dressing à côté de la cheminée dont je fais glisser les lourdes portes, tout est vide. J’examine les tableaux d’arts abstraits accrochés aux murs cherchant le moindre indice qui pourrait m’indiquer l’endroit où je me trouve. Mais rien de suffisamment précis ne me vient en tête. Je pourrais tout aussi bien être dans une chambre d’hôtel, tout ayant volontairement un caractère impersonnel.
Je retourne m’allonger sur le lit, prise de nausées, épuisée par les quelques pas que j’ai fait. Je tente de réfléchir à toute vitesse, mais la substance injectée plus tôt dans mes veines me maintient dans un état second même si j’essaye de toutes mes forces de reprendre mes esprits.
Maintes fois au cours de ses visites, mon père m’a fait de longs discours sur le comportement que je devrais adopter en cas d’enlèvement, je l’avais toujours écouté attentivement, sans jamais vraiment croire que la situation pourrait se produire un jour. J’ai vécu dix-neuf ans dans une sécurité relative, en Italie d’abord puis sur l’île, j’ai partagé la vie des locaux, j’ai voyagé de nombreuses fois, sans jamais avoir à me défendre de quoi que ce soit, même durant les missions que j’avais déjà effectuées. J'ai toujours fait partie du danger.
Il m’a préparé de nombreuses années à reprendre sa place et m’emmenait régulièrement à ses rendez-vous, j’aime vraiment me fondre avec les équipiers chargés de la sécurité. J’aime être harnachée de tenues de camouflage, de gilets pare-balles et j’adore mon Beretta dont je prends le plus grand soin et que je n’ai pas eu le temps de sortir de mon armoire.
Ainsi, j’ai donc pu connaître anonymement les affaires les plus délicates de mon père, les rouages de son organisation, les visages importants de ses collaborations et je sais parfaitement ce qui est prévu en cas de rapt à mon encontre.
Pourtant, malgré mes recherches les plus approfondies dans mes souvenirs, je n’ai jamais vu l’homme qui m’a enlevée, n’ai jamais entendu parler d’un Devon quel qu’il soit et pire encore, il n’a jamais été question que mon père puisse mourir et ne pas me venir en aide. Je n’ai plus qu’à espérer que le plan sera tout de même mis en marche et que les Ortega viendront à ma rescousse.
Des larmes de désespoir coulent le long de mes joues, je ne sais pas quoi faire, je me sens démunie, je viens de perdre le seul parent proche qu’il me restait, je ne sais pas exactement pour quelle raison nous avons été attaqués, ni même si cela a un lien avec la conversation que nous avons eu à propos de la saisie. Mais mis à part l’inquiétude de mon père, rien dans la soirée n’avait déclenché de signaux d’alertes dans mon esprit.
Tout a basculé plus tard dans la nuit sans que personne ne s’y attende. Je sais que mon père était un homme prévoyant et extrêmement avisé en affaires. Il a rarement commis d’erreurs et elles ont rarement été fatales jusqu’à présent, excluant le jour où ma mère a perdu la vie, des années plus tôt. Comment le système de sécurité a-t-il pu être déjoué ? Comment dix-huit hommes surveillants une maison au beau milieu de nulle part ont-ils pu se laisser surprendre aussi aisément ? Mon cœur se serre douloureusement à la pensée des nombreux amis que j’ai perdus, et de Giovanni...
Alors que je tombe dans un sommeil instable, je sens un poids affaissant le matelas derrière moi. Je me retourne brusquement pour découvrir avec horreur mon ravisseur, Devon, l'homme qui m'a examiné sur la plage, s’approchant de moi dans la pénombre, il se couche dans le lit et s’apprête à me toucher.
- Che lavoro fai ? Qu’est-ce que vous faites ? M’alarmé-je en tentant de le repousser plaquant mes mains sur son torse incroyablement dur.
Il ne comprend pas l’italien et ne s’embarrasse pas à essayer de communiquer avec moi, sans prendre la peine de me répondre, il attrape mes poignets et les remonte derrière ma tête.
- Basta ! No ! Lasciatemi ! Non ! Laissez-moi ! Arrêtez ! M’écrié-je en essayant de me défendre avec véhémence.
Il a un bref mouvement de recul, ce qui me soulage légèrement.
- Non ?
Il a compris le “non” universel et je lui lance un regard venimeux en lui répondant, tentant de le repousser avec force, qu’il comprenne que je ne veux pas de lui.
- è quello che ho detto ! C’est bien ce que j’ai dit !
Je me débats avec davantage de vigueur. Il a un éclat de rire sauvage et terrifiant qui me glace le sang alors même qu’il ne sait pas ce que j’ai répondu, mais mon attitude lui a probablement communiqué mes sentiments. Il se relève brusquement, enfile un jogging qu’il a dû abandonner au sol à son arrivée et agrippe violemment mon poignet pour m’extirper du lit.
- Mi fai male…Vous me faites mal, crié-je suppliante conservant mon italien.
Poursuivant sa route, il ouvre la porte de la chambre à la volée et me traîne avec force derrière lui. Il me fait traverser un dédale de couloirs, tous plus beaux les uns que les autres, ainsi que plusieurs pièces et salons avant d’arriver dans une cuisine gigantesque puis dans une arrière-cuisine. Il ouvre une autre porte avec fureur et commence à descendre les escaliers. Je tente de résister, toutefois mes efforts paraissent bien maigres face à la puissance dégagée par cet homme.
- Dove mi stai portando ? Où est-ce que vous m’emmenez ? Questionné-je perdant totalement contenance enquise d’une panique galopante, me mettant à suffoquer les poumons pris en étau.
Il tire plus fort et m'entraîne malgré moi. Je me résigne à le suivre afin d’éviter de tomber dans les escaliers en pierres brutes.
Arrivés en bas, il traverse la grande pièce voûtée remplie de rangées de bouteilles en tous genres, il me fait passer une porte en bois épaisse et m’entraîne plus profondément dans les ténèbres. Il finit par ouvrir une petite porte lourde et me projette violemment à l’intérieur du petit espace qu’il renferme, alors que je m’écroule sur le sol.
- Una cella… Un cachot, haleté-je les yeux écarquillés, Non mi lasci qui, per favore ? Vous n’allez pas me laisser ici, s’il vous plaît.
Devon referme la porte sur moi et la verrouille. Il m’observe avec une froideur glaçante derrière une petite trappe ouverte dans la porte puis prend le temps de détacher chaque mot de son anglais pour tenter de se faire comprendre.
- Tu es ici chez moi. Tu fais ce que je dis quand je le dis. Sinon il y aura des conséquences. J’espère que tu sauras te montrer plus conciliante la prochaine fois.
Et tandis qu’il part, je me mets à hurler, totalement démunie.
- Non lasciarmi qui ! Ne me laissez pas ici !
Je suis encore trop terrorisée pour dire autre chose, le suppliant inlassablement. Il referme la trappe minuscule de la porte me plongeant dans le noir opaque et terrifiant de la cave.
Je continue de crier de longues heures, martelant la porte de coups sourds, me griffant les bras contre le bois, appelant, suppliant prise par la fièvre de l’hystérie. Mes yeux n’arrivent pas à s’habituer à l’opacité étouffante du lieu pour me permettre de distinguer quoi que ce soit.
Tâtonnant à genoux, je sens la terre battue sous mes paumes, j’évalue la taille de la pièce en me laissant uniquement guider par mes mains, complètement aveugle.
Le cachot est minuscule, humide, tout ne semble qu’être terre froide sous mes doigts. Ma voix est étouffée par l’épaisseur de l’atmosphère, comme si j’étais enfermée dans une capsule sensorielle. Je bute contre quelque chose dans un coin de la pièce et après l’avoir touché sous tous les angles, je reconnais un seau entre mes mains.
Il semble que des heures entières passent. La faim me tenaille l’estomac à m’en donner la nausée, je n’ai aucune notion du temps qui passe, tout me semble interminable. La soif s’installe à son tour, m’affaiblissant un peu plus, mais personne ne vient. Je n’ai que les méandres tortueux de mon esprit pour me tenir compagnie, tous mes autres sens annihilés par la captivité. Je pleure de longues heures, anéantie par les évènements des derniers jours. Je n’ai aucune idée de ce que cet homme peut bien me vouloir, il ne paraît pas pressé de me soutirer des informations, mais il a l’air en tout cas déterminé à obtenir gain de cause.
Commençant à grelotter après un temps qui me semble infini, je me recroqueville sur le sol tentant de recouvrir mon corps de la mince chemise de nuit qui me fait toujours office de vêtement. Le temps passe, encore et encore puis comme tout le reste, je perds aussi le fil de mes pensées, je me sens de plus en plus faible. Ma gorge est si sèche que j’ai l’impression d’avoir mangé la terre de la cave dont l’odeur se mêle au goût sur mon palais desséché et craquelé. Je somnole par vagues, épuisée par ma lutte, mes grelottements et spasmes.
Je ne sors de mon inconscience que lorsqu’un lointain cliquètement parvient à mes oreilles et que de puissants bras me saisissent avec brutalité.
Je me laisse traîner dans les couloirs, aveuglée par les lumières artificielles des pièces éclairées dans la maison, mes pieds frottent des tapis sur leur passage, maintenue par quatre mains puissantes et je me retrouve à nouveau dans la vaste chambre où je me suis réveillée à mon arrivée.
Je suis lâchée brutalement au milieu de la pièce et reste prostrée au sol, trop faible pour me relever immédiatement. La porte de la chambre claque derrière moi et alors que je me redresse précautionneusement, le corps endolori par la dureté du lieu où j’étais abandonnée, j’aperçois une bouteille d’eau sur la table où une lampe de chevet est allumée. Je parviens à la saisir en me traînant avant d’en vider le contenu dans ma gorge desséchée.
Quelques instants plus tard, la porte s’ouvre à nouveau et Devon entre dans la chambre. J’ai un mouvement de recul, mon corps réagit immédiatement à la présence de cet homme et le premier réflexe qu’il a est de conserver une distance entre nous. Ma réaction ne le fait pas sourciller une seconde. Pour la première fois, je le vois distinctement alors qu’il me toise de toute sa hauteur.
C’est un homme indéniablement impressionnant. Grand, taillé dans la pierre tout en lui dégage puissance et intransigeance, son visage est parfaitement ciselé comme s’il avait été modelé par un sculpteur et la noirceur de ses prunelles transpercent mon regard. Tout dans sa posture indique qu’il est dangereux. J’ai le cœur qui bat la chamade, je parviens difficilement à contrôler mes émotions, emportée par la crainte que m’inspire cet homme sombre.
- Il y a une salle de bain juste là, va te laver.
Sa voix est aussi grave et inquisitrice que dans mes souvenirs embrumés de la plage. Après ce qui ressemble à plusieurs jours passés dans la cave, je suis couverte de terre, ma nuisette est sale et poussiéreuse comme l’ensemble de ma peau marbrée de terre.
Tétanisée, je ne lui réponds pas et reste figée au sol, feignant de ne pas comprendre ce qu’il dit. Il s’avance alors vers moi d’un pas menaçant, me dominant de toute sa hauteur tandis que je me recroqueville à mesure qu’il s’approche.
- Stai lontano da me ! Ne vous approchez pas de moi ! M’écrié-je dans une supplique italienne pour le dissuader.
- Fais ce que je te dis maintenant !
- Non ! Lui craché-je comme du venin.
Je me mords brusquement la lèvre, j’ai répondu trop vite et il s’en est immédiatement rendu compte, car un éclair d’amusement traverse ses yeux noirs.
- Donc tu comprends notre langue. Voilà qui va simplifier les choses…
Il se penche alors vers moi éliminant en un clin d’œil la distance que j’ai vainement tenté de conserver entre nous et attrape une fois de plus mon poignet qu’il enserre avec force, me coupant presque la circulation sanguine, avant de m’attirer hors de la pièce. Je crie, je me débats comme une diablesse et refuse catégoriquement de retourner dans la cave. J’essaye de lui faire lâcher prise, me servant des techniques de défenses que j’ai apprises, utilisant mon contrepoids pour rester clouée au sol, mais je suis cruellement affaiblie et parviens tout juste à le ralentir un peu alors que je cherche une prise pour m’accrocher à n’importe quoi, pourvu qu’il ne me ramène pas au sous-sol. L’indicible terreur que je ressens à cet instant balaye toutes les autres urgences, seul compte le fait que je ne peux pas remettre les pieds dans ce néant infernal.
Perdant patience, Devon me saisit par la taille et me projette sur son épaule, me coupant la respiration avant de continuer son chemin à grandes enjambées. Les efforts thaumaturgiques que j’ai fournis en tentant de lui échapper m’ont vidée des dernières forces qu’il me restait et je me laisse pendre mollement en essayant de reprendre le contrôle de ma respiration.
Cependant, il ne prend pas la direction de la cuisine et emprunte la porte principale de la maison à doubles battants. Dehors, l’air est frais, le soleil à presque disparu laissant dans le ciel quelques traces orangées parmi le bleu foncé. Perchée sur son épaule, je regarde rapidement l’extérieur en plissant les yeux, je sors d’une immense demeure, ressemblant à un chalet de montagne en beaucoup plus grand, avec des colonnes en pierre et des poutres en bois, je suis dans une sorte de ranch, l’odeur distinctive des chevaux emplit mes narines. Le sol sablonneux rougeâtre se mêle aux buissons et les touffes d’herbes m’indiquent que je ne suis pas dans une région boisée et tropicale comme celle d’où je viens, le sable là-bas y est blanc clair et fin.
La température fraîche me mord la peau déjà gelée du temps passé au cachot. La brise remonte sous le mince tissu de satin de ma nuisette, je n’ai plus suffisamment de forces pour me débattre et me contente d’observer les lieux du mieux que je peux tentant d’en mémoriser la configuration.
Devon me pose sur un sol de béton dur et humide, il passe habilement une longe pour les chevaux entre mes poignets dans un nœud compliqué qu’il attache à un anneau solidement fixé au mur. Alors que j’essaye faiblement de me débattre et tire avec le peu de forces qu’il me reste sur le nœud, ne le serrant que davantage, me coupant la circulation des poignets, il allume un jet d’eau avant de le propulser directement sur moi.
Hurlant de froid, suppliant Devon d’arrêter, je tente de tirer sur mes liens du mieux que je puisse dans l’espoir d’échapper au supplice glaçant qu’il m’inflige. L’eau froide m’électrise et me donne un regain d’énergie m’obligeant à me débattre autant que je peux pour me soustraire à lui.
Après de longues minutes de torture, je m’affaisse sur le sol les poignets maintenus en l’air, ayant atteint un état catatonique. Il décide alors de couper le jet puis s’en va, me laissant à moitié consciente, grelottante et sanglotant. Mes mains sont engourdies par les liens serrés autour de mes poignets douloureux. Mes bras maintenus en l’air m’élancent de battements sourds, le béton dur sur lequel je suis assise presque nue ankylose mes fesses et mes cuisses. J’ai froid, ma position est inconfortable et la nuit qui tombe m’enveloppe d’une opacité glaçante.
Il revient plus tard alors que le noir m’enveloppe complètement. Je suis gelée et trempée, je tremble violemment trop épuisée pour garder les yeux ouverts alors qu’il se penche vers moi.
- Je n’ai pas encore décidé ce que j’allais faire de toi. En attendant, je fais ce que je veux. Si tu protestes et n’es pas obéissante tu souffriras. C'est comme ça.
Il s’accroupit lentement devant moi, sa proximité directe me hérisse les poils sur la nuque et les bras, mettant tous mes sens en alerte maximum, il transpire la domination par tous les pores de sa peau.
- J’ai les moyens de te briser, souffle-t-il encore plus menaçant, j’espère que le message est clair.
Je déglutis difficilement, transie de froid et de fatigue, je n’ai aucun autre choix que d’acquiescer cédant à mon bourreau si je veux éviter l’escalade de la violence.
- Parfait, dit-il l’air satisfait, enfin nous nous comprenons.
Il me détache rapidement avant de me soulever avec aisance pour me ramener dans la chambre. Je me laisse aller contre son épaule, l’esprit totalement disloqué par les derniers jours, l’odeur de sa peau aurait pu me sembler réconfortante, s’il n’était pas un tortionnaire. Ses bras puissants me maintiennent fermement contre lui et je ne peux m’empêcher d’être soulagée par la chaleur qu’il dégage.
Un feu ronfle dans la cheminée de la chambre et un grand plateau chargé de nourriture a été déposé sur la table lui faisant face.
Devon m’emmène directement dans la salle de bain où les vapeurs d’un bain fraîchement coulé ont empli la pièce. Il ôte la chemise de nuit que je porte sans cérémonie et m’installe dans le bain avec une facilité déconcertante. Je me laisse faire mollement, n’ayant plus la force de lui tenir tête.
Le contraste de l’eau brûlante sur ma peau froide mord mes chairs et je continue de grelotter un long moment dans l’eau chaude tandis qu’il attend dans la chambre. Lorsqu’enfin je reprends quelque peu mes esprits, je me lave soigneusement le corps et les cheveux, mes mains tremblent encore lorsque je sors précautionneusement de la baignoire et alors que je m’enroule dans un peignoir moelleux, je remarque un fin strippe scotché derrière mon bras et passe machinalement les doigts sur l’entaille minuscule qu'il referme pour sentir une petite rugosité sous ma peau, comme un tube en plastique. Un implant GPS ? Sans avoir le temps de me poser davantage de questions, je prends la brosse qui est posée sur le bord du lavabo et démêle consciencieusement mes longs cheveux bruns puis je me brosse les dents, la tête remplie de questions avant de retourner faiblement jusqu’à la chambre m'asseoir maladroitement dans le fauteuil.
Devon est debout près de la fenêtre, les mains dans les poches, il regarde à l’extérieur sans me prêter attention.
- Mange, ordonne-t-il après un instant sans prendre la peine de se retourner.
Je grappille sur le plateau, mais malgré plusieurs jours sans nourriture, je n’ai pas d'appétit. La chaleur de la cheminée chauffe ma peau, me soulage du mordant du froid que j’ai ressenti jusque dans mes os et seule ma fatigue demande à présent à être étanchée.
Il reste planté devant la fenêtre tandis que je porte faiblement les aliments à ma bouche en lui lançant des regards furtifs et inquiets et bois de longues gorgées d’eau. Quand après quelques bouchées je sens mon estomac trop plein, je me pelotonne dans le fauteuil, les genoux rassemblés contre ma poitrine, ajoutant une source de chaleur réconfortante à mon corps affaibli.