2. Souvenirs-1

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2 Souvenirs Le siège basculé au maximum, presque à l’horizontale, j’avais dormi comme un bébé dans mon appareil accidenté. Par chance, le mécanisme de verrouillage de la verrière avait été préservé et celle-ci restait étanche, protégeant l’ensemble du cockpit. Un atout réconfortant, faute d’avoir pu analyser en une seule passe nocturne l’ensemble de la faune locale et en premier lieu, son niveau d’agressivité. Si les deux pods ailaires étaient froissés, les cartouches d’enregistrement m’avaient quant à elles semblé intactes, la veille au soir, même si les caméras devaient être aussi inutilisables que le Manta lui-même, incapable de revoler sans réparations lourdes c’est-à-dire, en tout premier lieu, incapable de s’extirper seul de ce bourbier infâme. La veille, j’avais eu une longue conversation avec Max sur les procédures d’approche et en particulier, sur la contrainte ridicule de survoler la jungle à une altitude aussi basse, sous le seul prétexte d’alimenter, dès la première passe, la base de données chimiques. Voilà des prélèvements qui nous avaient coûté cher, bon sang ! D’autant plus cher que, dans l’affaire, le barillet d’échantillons avec ses valves et son mécanisme avait été écrabouillé par le choc frontal, et qu’il avait donc perdu irrémédiablement tous ses précieux gaz. – Le problème est qu’ils n’ont pas compris que les commandes de vol ne font pas tout. Un Manta pèse quand même vingt-huit tonnes en charge avec ses équipements et son carburant, et la bête ne vire pas comme une hirondelle qui chasse le moustique. Le Manta numéro 2, celui de Max, était posé sur ses roues, à deux cents mètres de là, patins sortis. Intact quant à lui, apte à reprendre la voie des airs dès sa mission accomplie sur IF 837. On percevait au premier coup d’œil la logique qui avait prévalu pour choisir le nom de Manta, face à cette aile volante aux angles adoucis et à l’envergure impressionnante, idéale pour y emporter une charge ailaire multiple : pods, caméras orientables, sondes biochimiques et diverses charges largables, rappelant son rôle initial de chasseur-bombardier spécialisé dans l’attaque au sol. Ses deux ailerons arrière semblables à ceux d’un requin et sa robe mate à basse visibilité, tachetée sur les flancs et d’un gris-bleu pâle en dessous, accentuaient encore cette impression organique, animale, de squale, ou plutôt, de raie manta. – La reconnaissance à très basse altitude est la pire des contraintes techniques qui soit pour concevoir un engin volant, admit Max ; bien plus que la vitesse maximale, dans les faits. Sélectionner un modèle militaire, puis le modifier au strict minimum pour en faire un Manta, avec un Panda aux commandes, pour couronner le tout ? Voilà un compromis douteux, sur le plan de l’efficacité. Encore une affaire de limitation de crédits. Je soupirai. – Tu oublies que le Manta est censé assurer par ses propres moyens la descente depuis une orbite haute, en portance nulle. Un appareil trop lent, optimisé pour les basses altitudes, poserait d’autres problèmes, dans d’autres configurations de vol. – Je n’oublie rien, Joan. Si je ne m’a***e, c’est quand même toi qui as trouvé le moyen de te payer à l’atterrissage un rocher plus gros que ton Manta. Il avait raison, hélas, sur ce point précis. Sauf qu’un radar d’approche, même couplé à une opto-caméra interactive, n’aurait jamais pu discerner ce rocher compact en forme de dalle au ras du sol, formant une marche vicieuse, où s’était brisé net mon train principal. L’incident était critique : le Manta Reco était dérivé d’un chasseur monoplace et, de ce fait, ni Lisa ni Max ne pouvaient m’emporter à leur bord, à moins de vider de tout son appareillage de reconnaissance la cellule en arrière du poste de pilotage. Une opération longue et délicate, qu’il était hors de question d’entreprendre ici, les pieds dans la boue, sans un impératif vital. Par chance, nous avions pu contacter le Charles Darwin et convenir qu’ils viennent chercher l’un d’entre nous – disons moi, puisque j’étais le fautif – avec leur propre navette. Les Koalas constitueraient la seconde vague « d’assaut » scientifique sur IF 837, et ils y stationneraient en orbite basse dans moins de deux jours. Un délai juste suffisant pour que, dans l’intervalle, nous puissions faire plus ample connaissance avec la planète et avec ses habitants ; ce qui, avant toute autre chose, consisterait à y déposer nos mines acoustiques. Mon immobilisation forcée posait quand même certains problèmes. Si mon Manta embourbé pouvait encore servir de port d’attache pour une excursion à faible distance – de même que de couchette, si l’escale devait se prolonger – son indisponibilité pour le vol annulait de facto tout projet de campagne plus lointaine, même pour Lisa et Max, qui ne souhaitaient pas m’abandonner seul sur une planète non reconnue, c’est-à-dire potentiellement dangereuse, comme l’est par défaut toute planète étrangère, avant que sa classification n’ait démontré le contraire le cas échéant. Dans les faits, ce handicap de déplacement était moins pénalisant qu’il aurait pu l’être. Sauf que c’était un pur hasard qu’une colonie d’andromorphes vive à deux kilomètres de là. La reconnaissance planétaire proprement dite (géologie d’ensemble, cartographie 3D, analyses biochimiques, etc.) était dévolue à d’autres équipes que la nôtre et s’effectuait en général depuis l’orbite, plus ou moins haute selon les thèmes de recherche. Dans le cas présent, cette étape préliminaire globale avait déjà eu lieu, un mois plus tôt. Nous, Pandas, étions la seconde vague d’investigation et disposions déjà, à ce titre, de cartes raisonnablement précises, en plus d’une masse de renseignements plus ou moins utiles concernant celle-ci, baptisée IF 837. Y compris sur le sujet principal, celui qui motivait à lui seul notre présence : les andromorphes. Les andromorphes avaient été difficiles à détecter, du fait qu’ils vivaient en colonies de petite taille – en tribus, disions-nous sur la Terre, lorsque ce concept ethnique existait encore, au vingtième siècle. Leur niveau d’interaction sur l’environnement était très faible, de l’ordre de 5 sur l’échelle de Morton. Ce qui signifiait que, sur un plan statistique, un individu ne modifiait qu’une portion minime de la surface de sa planète : moins de six mètres carrés cumulés, donc à peine supérieure à celle d’animaux plus ou moins « sociaux » ou sociabilisés. Bien que la définition et le niveau associé sur l’échelle de Morton soient pondérés de leur envergure et de leur masse, c’était quand même assez peu, et il avait fallu un heureux hasard de traitement vidéo pour que l’une de leurs constructions de branchages soit identifiée sur un cliché orbital, après analyse infographique. Nous savions donc d’ores et déjà, aujourd’hui, qu’il s’agissait pour nous d’évaluer une espèce andromorphe qui n’en était qu’au stade pré-technologique, l’un des cas de figure les moins complexes a priori. En contrepartie, il fallait considérer cette action comme un investissement à long terme, du strict point de vue d’investisseurs qui était celui du KOALA. Le dispositif habituel avait été mis en branle en vue de statuer sur leur sort : PANDA, puis KOALA. Dans la galaxie, on ne plaisantait pas avec le recensement de formes nouvelles d’intelligence et le lourd processus associé. L’administration toute puissante devrait trancher, décider s’il s’agissait d’animaux (au sens de Morton) ou, à l’opposé, d’êtres de potentiel élevé, aptes à revendiquer un jour, s’ils le souhaitaient ainsi, les droits inaliénables et applicables aux êtres humains : immunité, statut légal (voire politique ?), droits commerciaux (moyennant la définition d’une base d’échanges ou de troc), assistance médicale et toutes les autres garanties que nous pourrions leur offrir, comportant globalement plus de droits que de contreparties – du moins dans un premier temps. Je m’étais imaginé le métier de Panda assez proche de celui des grands explorateurs d’avant le vingtième siècle : Livingstone, etc., qui avaient découvert, une à une, des peuplades africaines ou sudaméricaines puis, en final, quelques peuples oubliés des archipels d’Asie du Sud-est, les ultimes paradis perdus sur Terre. Hormis nos moyens techniques à la hauteur de la tâche – et de la distance – la principale différence entre nous et tous ces valeureux pionniers des origines, était d’ordre statutaire : nous étions mandatés par le KOALA et opérions dans un cadre légal et éthique très strict. Pour cette raison, les armes étaient bannies, à l’exception de repousseurs à onde acoustique si besoin, exclusivement destinés aux animaux. Sans oublier, bien entendu, quelques équipements de défense de grand secours, en soute scellée. Max sortit de sa poche de poitrine les rares photographies des êtres avec lesquels nous devions ouvrir le contact en ce jour. Cette rencontre serait cruciale à divers titres : elle aurait valeur de premier test de sociabilité, qui serait versé à leur dossier. Nous en profiterions aussi pour implanter à leur insu nos balises acoustiques à proximité de leurs lieux de vie. Les photos montraient des silhouettes très similaires à un andromorphe « standard » de ce côté de la nébuleuse, tant par leurs proportions que par l’aspect dynamique de leur mode de déplacement (leur « biomécanique », disaiton), décelable sur quelques séquences vidéo trop pixellisées hélas pour beaucoup en apprendre. Il nous manquait pour l’heure tout détail de leur visage, en partie pour le défaut, inhérent aux vues aériennes à haute altitude, de ne montrer que des êtres vus d’en haut, cas de figure assez précis pour suggérer la topologie d’un crâne mais bien trop vague, sur d’autres aspects bien plus significatifs d’un être vivant – qui plus est d’un bipède. Cependant, nos propres prises de vues, si elles étaient rares, remédiaient à cette lacune. Quand on a vu un ET, on les connaît tous, avait pontifié un jour, je ne sais plus quel éminent andromorphologiste, résumant par cette formule provocante le fait que, sous des contraintes et dans un environnement voisins, la nature reproduisait a priori le même schéma andromorphe, quasiment à l’identique. Celui-là trichait évidemment – et sciemment – avec son propre point de vue faussé et perverti, du fait même que toute pré-classification andromorphe était un début de sélection arbitraire sur des critères qui, dès lors, ne pouvaient guère que conduire à une certaine « uniformité » d’apparence physique, par lissage ou formatage en amont. – Ceux-là aussi ont des yeux, constata Max avec sa bonne humeur habituelle. Même s’ils sont plus ronds, et sacrément plus grands que les miens. Je crois que par son caractère, Max représentait l’ambassadeur et le Panda idéal, en plus d’être un compagnon agréable et un redoutable boute-en-train. Il venait à l’instant de faire cracher à l’imprimante du Manta ses clichés (issus de ses propres caméras de bord), et nous découvrions, enfin, un détail plus précis de la physionomie de nos hôtes. Ils n’étaient pas humains, cela au moins était indéniable ; mais simplement andromorphes. Cela dit, on pouvait malgré tout leur attribuer une notation sur la classification hautement subjective et inventée par Max des « faciès agréables » : sept à huit points au jugé, sur une échelle très officieuse de dix, exclusivement réservée à l’usage des Pandas, et contrôlée par Max. – Sept points seulement, pour l’absence de nez, fis-je en retour, devançant son propre vote. – Ils en ont forcément un, décréta Lisa, qui venait de nous rejoindre et se pencha à son tour sur l’image. Et puis, la photo manque de contraste, fit-elle d’un ton critique à l’excès, ce qui n’était qu’un jeu entre eux deux. Une notation plus objective exige de pouvoir juger sur pièce. Objective ? L’adjectif me fit sourire. Le Manta numéro 3 s’était posé un peu plus loin. Lisa venait de faire une promenade, disons une reconnaissance matinale pour tenter de repérer quel était le « village » le plus proche, présumant que ces andromorphes connaissaient le feu et se chauffaient quelques aliments pour leur « petit déjeuner ». Le feu : un indice en même temps qu’un moyen infaillible de découvrir une agglomération andromorphe, à la condition que leur niveau sur l’échelle de l’intelligence – et sur celle de Morton – soit suffisant pour qu’ils aiment manger chaud et, comme nous, qu’ils apprécient ce confort-là. En revanche, il était hautement hypothétique de la part de Lisa de présager des horaires des repas chez des inconnus, qui plus est sur une planète dont nous connaissions à peine le cycle des saisons. Que dire, alors, des rythmes circadiens de ses habitants ? – Alors, Lisa. Et cette fumée ? – Chou blanc… admit-elle, avec une grimace à la hauteur de son demi-échec. Ils mangeaient donc froid ? En réalité, sa sortie avait sans doute été le prétexte pour admirer le lever de soleil sur ce coin du monde. Mais c’était un prétexte plutôt agréable, qu’elle avait peut-être filmé à notre intention. Lisa Sternweg était un pilote hors pair, et un sacré brin de fille, comme on disait dans les Panda, aussi bourrée d’énergie que n’importe lequel d’entre nous, et assez folle pour se lever aux aurores pour le seul plaisir d’esthète de courir après de la fumée ! Ses cheveux blonds coupés court et la finesse de sa taille lui donnaient l’allure d’un adolescent androgyne, en vue arrière, mais l’autre face levait vite toute ambiguïté, livrant au regard une poitrine qui possédait de sacrés arguments, pour un Panda, et même dans l’absolu. Lisa était la nouvelle Mae West des pilotes et méritait largement ses neuf points virgule huit, sur l’échelle des « faciès agréables » de Massimo Caldari. Nous n’avions pas eu de chance, la veille ; à moins que mes compagnons me laissent me morfondre sur place ou que ce soit moi qui emprunte l’un des deux Mantas disponibles, nous n’avions qu’un seul village à nous mettre sous la dent pour initier l’opération IF 837 sans trop nous éloigner des avions. Pas vraiment le moyen idéal de se faire une opinion objective de leurs mœurs ou de leur langage, d’un point de vue statistique. – Comment procédons-nous ? Dans le même temps, je m’efforçais de décrypter la gamme potentielle de sentiments à notre égard, sur le visage étranger saisissant que livrait la photographie trop peu contrastée. – « Couverture aérienne or not couverture aérienne » ; là est la question, répondit Max du tac au tac. Je vote la confiance, je vote non : pas de couverture aérienne. Pas nécessaire. Je jugeai sa proposition téméraire, comme toujours avec lui. La plus proche patrouille du KOALA était à pas mal de jours d’ici, retardée par une autre affaire qui traînait en longueur. Nous n’avions donc que nos propres ressources pour nous défendre, en cas d’attitude agressive de la part de nos futurs hôtes. Les Mantas étaient équipés d’artifices pyrotechniques et d’accessoires divers, largables ou non, allant des sirènes aux fumigènes, ce qui nous permettait, le cas échéant, de mettre en fuite une population mal disposée à notre égard, sans autres dégâts qu’un peu de bruit… et beaucoup de fumée. Mais pour ça, il fallait que l’un de nous prenne les commandes d’un Manta et assure ladite couverture aérienne, réduisant d’autant nos forces vives à terre. Je scrutai Lisa. – Je veux les voir face à face ; je crois qu’ils le méritent. Une impression, rien de plus, mais je le sens assez bien ; ils m’ont l’air cool. – Très bien. Moi aussi, je vote pour une promenade à trois. IF 837 entrait dans la catégorie des planètes luxuriantes ou planètes-jungles, les plus difficiles à percer à jour et à appréhender, même par les moyens lourds de sondage orbital dont nous disposions. Sans parler de la difficulté d’y progresser à pied, avec ou sans indications cartographiques. Jungle omniprésente, saturante. Pour ce motif à lui seul, aucune carte des concentrations d’habitats andromorphes ou des indices de « culture » n’avait pu être établie à notre intention pour le moment. Conclusion : il nous fallait faire totale confiance à nos propres équipements et, en ce jour de galère, à nos jambes, dans un premier temps. À l’image du Manta qui, en secours de son train d’atterrissage classique, avait des patins rétractables adaptés aux terrains instables ou herbeux, nous étions équipés de bottes à vari-semelles. L’empreinte au sol pouvait s’adapter instantanément à la portance du terrain, à l’instar d’une voilure à géométrie variable. Des petits malins clamaient que la répulsion magnétique adaptative serait bientôt au point, mais je voyais mal comment on pourrait s’arranger pour faire interagir un flux magnétique avec de la boue liquide… Nous emportions aussi nos repousseurs à ondes acoustiques et nos lunettes à large spectre, ne serait-ce que pour repérer à l’infrarouge tout animal à sang chaud à travers le feuillage compact. Et, bien sûr, la précieuse caméra-boule universelle que Max portait sur l’épaule gauche, griffée sur la sangle de son sac à dos. Selon un schéma immémorial, il était logique que les andromorphes se soient installés ici. Nous étions en effet à moins de trois cents mètres d’un large fleuve boueux, aux berges incertaines à l’allure de mangrove. L’homme, sur la Terre – comme d’autres espèces, ailleurs – avaient toujours privilégié la mer ou le bord des fleuves pour s’installer, pour toutes les raisons imaginables. La première d’entre elles étant de boire à sa soif, tout en limitant au maximum la corvée d’eau. Pouvait-on pour autant présumer que ces êtres-là pêchaient, qu’ils chassaient, et qu’ils avaient développé des outils à cet usage, outils qu’ils auraient su façonner de leurs mains ? Nous n’avions rien distingué de tel chez ceux-là sur la foi des premières images, mais nous en saurions un peu plus tout à l’heure. Quitter la clairière et l’abri de nos Mantas à la robe olivâtre me laissait, sur le principe, un vague sentiment d’insécurité résiduel. Une jungle était toujours un nid à surprises – ou parfois un nid de scorpions – et l’inattendu n’y était pas nécessairement bienveillant, malgré notre rôle et notre tempérament de découvreurs, et malgré notre combi réputée indéchirable, à l’épreuve des appareils de t*****e variés d’un laboratoire d’essais. Cela étant, y avait-il le moindre point commun entre un laboratoire et une jungle ? Brandissant sa machette – l’un de nos rares outils non dopés par l’électronique ! – Max commença à se frayer un chemin, après avoir enfilé ses lunettes à infrarouge. Selon les consignes habituelles, nous les enlèverions de notre visage dès le contact acquis, afin d’éviter de biaiser la première rencontre c’est-à-dire, avant tout, la fameuse et très cruciale « première impression » qui en découlait. Un visage masqué risquait en effet de les effrayer par son aspect anormalement, et inutilement étranger. Cette jungle-là, mais c’est souvent le cas, avait quelque chose de vierge, d’immémorial et de connu à la fois, pareille à une reconstitution botanique d’un paysage typique de l’ère tertiaire terrestre, conforme tout au moins à l’image mentale que l’on pouvait s’en faire, faute d’y avoir vécu. Une sorte d’invariant topologique, de structure quasi-fractale, recopiée à l’infinie à travers l’univers du vivant. N’y manquaient que les lézards antédiluviens. Mais il ne semblait pas qu’il y en eût ou tout au moins, pas du calibre le plus dangereux, que nos repousseurs à ondes acoustiques n’auraient pas forcément suffi à maintenir à distance – surtout s’ils étaient aussi sourds et obtus que le sont nos reptiles terrestres ! Je marchais sur un sol spongieux, à la limite de l’impraticable, et ne tardai pas à ôter mes lunettes. S’ajoutant au bruit agaçant de succion des vari-semelles à chacun de mes pas, la vision des éclaboussures, en fausses couleurs rouge sombre, avait un aspect par trop évocateur de massacres et de mort. Après tout, il suffisait que l’un de nous assure la veille optique sur le canal infrarouge. Je m’en tins quant à moi à la vision directe du terrain en couleurs réelles, plus froides et plus chlorophylliennes de tonalité, mais un tant soit peu moins suggestives. La végétation ne gênait pas exagérément la progression, du fait de l’absence de lianes et autres entraves végétales à structure fibreuse ou ligneuse. Les tiges des ombellifères locales pliaient gracieusement sous le poids de nos bottes, libérant au passage une pluie de spores d’un jaune-orange, qui finirent par maculer nos combis jusqu’aux épaules. Il aurait mieux valu garder nos casques, ne serait-ce que pour éviter de salir nos cheveux et d’en prendre plein les narines. Mais l’atmosphère avait été garantie « respirable sans restrictions », selon le premier dossier technique IF 837, et les sensations olfactives en direct étaient par ailleurs le truc de métier le plus efficace qui soit pour jauger le milieu ambiant. « Objectivement », comme dirait Lisa.
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