Je rentrais chez moi en bus, comme toujours. Sauf qu'il passait à midi, donc trente minutes d'attente à l'arrêt. Je manipulais mon Rubiks Cube, songeur. Au moins, je n'étais pas seul, au collège. Cependant, je n'avais pas très envie de tenir la chandelle à longueur d'année. Ça se voyait clairement, qu'Ethan aimait Nina bien plus qu'une meilleure amie. Je n'arrivais pas à déterminer si c'était réciproque ou pas. Nina était assez compliquée à comprendre. Elle ne montrait pas facilement ses sentiments. J'en ai déduit qu'elle ne savait pas elle-même, car elle n'y avait jamais songé.
J'avais remarqué bien des choses, aujourd'hui. Lucy, la nouvelle élève, ne perturbait pas seulement moi. J'avais déduit de ses yeux qu'elle avait potentiellement une mutation génétique perturbant la couleur de ses yeux. Elle ne portait pas de lentilles, car sinon j'aurais remarqué la présence de lentilles sur ses yeux. Sauf si elle venait d'une autre planète, qu'elle avait subi des injections étranges, ou bien...elle n'était pas humaine ? Il fallait que je lui parle, pour en être sûr, or elle n'avait pas l'air facile à aborder. Elle était naturellement une personne solitaire.
J'observais les autres personnes, à l'arrêt du bus. Il y avait une vieille femme, assise sur le banc métallique, sans doute âgée de soixante douze ans. Elle fixait le paysage d'un air perplexe. À côté d'elle était assis un homme, d'une vingtaine dannées. Sans aucun doute un homme d'affaires. Et il y avait moi, debout, appuyé contre la publicité Carrefour.
Je me mis à contempler le paysage, les montagnes. Rien avait changé, depuis l'année dernière. L'homme remarqua mon agitation, car il regarda d'un air mauvais mon Rubik's Cube. Je ne pouvais m'empêcher de le manipuler constamment, par stress. J'avais un problème d'anxiété. Assis, ma jambe tremblait. J'avais constamment besoin de faire quelque chose avec mes mains. J'avais déjà eu plusieurs fois des crises d'angoisse, et devais prendre des médicaments contre le stress, notamment pour dormir.
Le bus arriva. Je montais derrière la vieille femme et l'homme d'affaires, pour m'installer au milieu du bus, assis, seul. Je regardais le paysage défiler à travers la vitre, ma jambe tremblant, mes mains s'exécutant automatiquement, mes pensées divagantes. Plus les arrêts passaient, plus le bus se vidait. Je finis enfin par descendre à mon arrêt. Ce fut là que je la vis. À croire qu'elle me suivait, partout où j'allais. Lucy. Elle marchait, mains dans les poches, capuche abattue sur sa tête, les écouteurs aux oreilles, sur le trottoir de l'autre côté de la route.
Elle tourna la tête vers moi à ce moment-là. Je croisai son regard vert vif, perçant. Elle détourna les yeux et poursuivit son chemin, comme si de rien était, ce que je finis par faire également. Je rentrais chez moi l'esprit confus. Ma mère m'attendait déjà.
– Salut, Su. Est-ce que ta rentrée s'est bien passée ?
– Coucou. Oui ça va.
Je me déchaussai en tâchant de ranger parfaitement toutes les chaussures et posai ma veste sur le porte-manteau.
– Je t'ai préparé des nems, avec des nouilles. Je vais devoir aller chercher ton frère à l'école, d'accord ? Tu peux commencer à manger, si tu en as envie, dit ma mère en m'embrassant sur le front et en enfilant ses bottines.
– Merci maman ! je glissai juste avant qu'elle ne ferme la porte derrière elle.
Mon ventre gargouillait. Je décidai de m'installer à table et me servis des nouilles chinoises à la sauce soja. Un régal. Je pris quelques nems et savourai le tout. Ma mère finit par rentrer, avec mon petit frère, Seon, de six ans.
– On est de retour ! s'écria ma mère.
Je dessinais sur mon bloc notes depuis trente minutes, quand on toqua à la porte de ma chambre.
– Oui ?
– Il y a quelqu'un à la porte qui dit vouloir te voir, répondit la voix de ma mère.
Je fronçai les sourcils, dans l'incompréhension, avant de me lever pour ouvrir la porte de la chambre.
– C'est qui ? demandai-je.
– Aucune idée...Une fille de ton âge...
Je descendis les escaliers de ma maison, puis allais à la porte d'entrée. Lucy se tenait là, toujours équipée de son sweat, écouteurs,...Je restais dans l'incompréhension totale.
– Oui ?
La question était : Qu'est-ce que tu fais chez moi et comment tu peux savoir où j'habite ? Je n'eus aucune réponse. Lucy me tira par la manche pour m'amener dehors et ferma la porte d'entrée de ma maison.
– C'est quoi le problème, à la fin ?! m'énervai-je.
– Calme-toi, déjà.
Entendre sa voix me surprit, comme si elle était muette, jusque là. Elle me regardait droit dans les yeux, d'un air agacé.
– Qu'est-ce que tu veux, alors ? Déjà je ne sais même pas comment tu sais où j'habite !
– Je t'ai suivi, tout à l'heure. Bref, ce n'est pas le sujet. Je viens en urgence, parce que tu es parti trop vite, au collège, et ce n'est pas un endroit...sûr.
– Comment ça ? Je ne te suis vraiment pas, là.
– Tu as remarqué la particularité de mes yeux, n'est-ce pas ?
– Oui ? Je ne suis pas le seul d'ailleurs ! Tout le monde a vu !
– Pas tout le monde, non. Personne ne peut le voir, sauf toi, et ta b***e d'amis bizarres.
– Qu'est-ce que tu insinues ?
– Tu vas me prendre pour une folle, mais on n'est pas comme les autres. Je veux dire, dans le sens où on a des particularités, comme voler, lire dans les pensées, des choses comme ça, tu vois ?
Ça dépassait ma limite du réalisme. Elle débarquait, comme ça, chez moi, avec ses yeux verts bizarres, pour me dire qu'en fait j'ai des pouvoirs magiques ?
– Pardon ? Tu as dû rêver d'un film de science-fiction.
– Su, crois moi ! Ou ne me crois pas, tant pis ! Tu ne t'es pas demandé comment ça se fait qu'Astrée, meilleure amie d'Ethan et Nina, parte du jour au lendemain retrouver une b***e de pestes ? Ni pourquoi vous n'arrivez pas à vous faire des amis ? Pourquoi tu es si différent des personnes normales ?
– Il n'y a aucune preuve concrète.
– J'en ai une, de preuve, mais je ne peux pas la montrer là, tu vois ?
– Lucy, je ne te connais pas, je ne sais pas d'où tu viens, tu débarques chez moi en balançant ça, mais comment veux-tu que je te croie ?
– Tu finiras par me croire, un jour.
Elle n'attendit pas que je réponde pour tourner les talons et s'en aller.