Chapitre I : l’enlèvement-2

2000 Mots
— Hé, l’elfe ! c’est toi qui as fait tuer le roi ? — Misérable vermisseau humain, oui j’ai fait tuer ton roi. Pour être venu jusqu’ici et avoir porté la main sur moi, tu vas mourir beaucoup plus lentement que lui, espèce de bouse infâme ! — Non, toi tu vas mourir et je vais tuer tes copains aussi, sale prétentieux ! » Joignant le geste à la parole, le duc maléfique transperça de sa longue épée noire le corps du général. La particularité du geste tenait à la façon dont il embrocha le dignitaire : il enfonça son épée en bas du ventre, sous l’armure en forme de plastron qui décorait le buste du guerrier d’opérette et remonta la lame en découpant l’abdomen de sa proie : les entrailles du général tombèrent au sol et il mourut dans un hoquet, alors que la pointe de l’épée coupait son cœur en deux. Les témoins de la scène ne réagirent pas tout de suite, car ils n’en croyaient pas leurs yeux. Mais ils finirent par bouger en constatant que l’humain, qui était plus grand d’une tête que le plus grand d’entre eux et qui était aussi puissant qu’un g*****e, avait entrepris de les tuer tous un par un. Méthodiquement il tapait à la tête un grand coup d’épée, puis passait au suivant. Il y avait beaucoup de monde sous la tente et il devait faire vite pour qu’aucun ne réchappe, tout au moins c’est ce qu’il pensait, car il traitait les dignitaires elfes comme un renard traite les poules dans un poulailler. C’est cette hâte qui expliqua que certaines de ses victimes échappèrent à la mort, car il les avait tapés trop vite et il avait négligé de leur couper la tête comme il faisait habituellement avec ses adversaires, histoire d’être sûr qu’ils ne reviendraient pas lui causer des ennuis pas derrière ou par surprise. Quelques-uns parvinrent à s’enfuir de la tente et quand Kold vit qu’il n’y avait plus que lui debout dans la pièce de toile, il songea à partir, car il était conscient de ne pas pouvoir tuer toute l’armée elfe à lui tout seul. Alors il jeta au milieu de la tente une statuette maudite sortie de sa besace et psalmodia des paroles étranges, qui constituaient un sort de magie noire. Il invoqua ainsi un démon d’un autre monde, une espèce d’ours g*****e avec des ailes membraneuses et une faim de sang d’elfe dévorante. Puis il découpa l’arrière de la tente et s’éclipsa au moment même où une troupe courageuse de gardes entrait pour sauver son général. Kold était loin quand le démon fut enfin vaincu, non sans avoir égorgé une centaine de ces délicieux petits êtres graciles qu’on nomme des elfes de haute lignée. Kold fit savoir aux survivants qu’il allait bientôt revenir avec ses propres troupes aidées par des amis des enfers et quelques morts-vivants. Dans sa grande bonté, il laissait une journée complète à l’expédition pour rassembler ses affaires, enterrer ses morts et foutre le camp de son pays, après il commencerait une extermination qui ne laisserait que quelques rescapés, qu’il daignerait conserver en son castel pour ses expériences de magie noire. Inutile de dire que l’expédition fit demi-tour, sous le prétexte officiel de demander des nouveaux ordres à l’empereur. Kold tint sa promesse de ne pas les tuer s’ils partaient et il rentra chez lui, considérant que l’oncle d’Altonius II avait été correctement vengé. Il passa par Djhone rendre visite à Altonius II et plier le genou devant lui, le reconnaissant comme son légitime souverain. Altonius II décida de faire fi de la sale bobine de brute de son féal et le releva de la main en lui assurant sa considération et en le remerciant d’avoir vengé son tonton. Il nomma Kold protecteur du royaume et lui décerna une médaille. Quelques nobles grognèrent et protestèrent devant autant d’honneur accordé à un aventurier, qui n’était même pas natif du pays, mais Altonius II fit remarquer publiquement que Kold était le seul à avoir réagi au meurtre de son oncle et que si quelqu’un devait dire quelque chose, il devrait s’adresser directement à l’intéressé. Un noble ouvrit la bouche pour clamer son indignation, mais Kold avait tourné la tête vers lui et le bonhomme lut sa mort prochaine dans le regard du duc sanglant. Le noble eut l’intelligence de refermer sa bouche illico et de baisser la tête humblement, ce qui lui sauva la vie. Kold était comme un loup lâché parmi les hommes et il ne fallait pas lui marcher sur les orteils, tout au moins sans avoir une bonne centaine de compagnons prêts à mourir pour vous dans une querelle stupide avec une brute sans scrupule. Par la suite, une rumeur courut sur le fait que l’âme du général elfe et de tous ceux qui étaient morts cette fois-là avait été absorbée par l’épée maléfique de Kold et envoyée distraire ses copains démons en enfer. Ce type de rumeur, qui était fausse naturellement, renforça l’aura de peur qui entourait Kold et personne ne s’amusa plus à lui chercher noise. La mère de Versofi, qui se nommait Héléna, raconta toute l’histoire à sa fille, à la fois pour lui faire peur et l’empêcher de partir un jour à l’aventure au loin, mais également pour lui faire prendre conscience que les elfes, aussi intelligents, rapides et adroits qu’ils soient, n’étaient pas à l’abri de tout danger dans le vaste monde. Versofi était donc vive, forte pour une elfe de son âge, assez sage et intelligente pour être la fierté de ses parents, mais elle était destinée à rester dans l’ombre de son frère aîné, qui était l’héritier véritable de son père et serait un jour le chef du clan Vertebranche. Elle le sentait parfois dans les conversations qu’elle surprenait entre son père et Fredoli, qui évoquaient ensemble les différentes familles de haute noblesse, les luttes de pouvoir à la cour impériale, les rapports que faisaient les espions sur tout ce qui se passait dans les îles lointaines à l’est, et ainsi de suite, les vrais sujets importants quoi ! Héléna essayait désespérément d’apprendre la couture, le chant, la calligraphie et les arcanes de la poésie à sa fille, mais elle leur préférait les exercices physiques, les courses d’orientation en forêt, la chasse et la dégustation de viande à peine cuite. Encore que Versofi ne soit pas tellement carnassière et préférait observer les animaux plutôt que les tuer et les dévorer, c’était un côté très proche de la forêt qui lui venait d’un de ses grands-parents, qui avait été grand garde-chasse de l’empire et dont elle avait beaucoup entendu parler. Il n’était pas rare que Versofi traîne encore dans les jardins ou dans les bois proches de leur maison alors que Fredoli était rentré depuis longtemps et si sa mère ne veillait pas à ce qu’elle aille se coucher, elle aurait pu passer toute la nuit dehors. Il n’y avait bien entendu aucun danger et la créature la plus sauvage à proximité était un gros écureuil noir, dont on se demandait d’ailleurs ce qu’il faisait aussi loin à l’ouest, car cette race est d’ordinaire issue des jungles du sud-est de Gash, il devait s’être perdu ou avoir été ramené par un voyageur. En fait ce qu’on prenait pour un écureuil était le familier d’une sorcière elfe noire, qui avait été payée par l’empereur des elfes, l’usurpateur Lémarius, pour espionner la famille de Versofi et rapporter tous les événements intéressants qui se déroulaient dans l’enclave. C’est ainsi que Lémarius recevait des rapports fréquents sur la situation dans l’ouest et il sut de cette manière avant tout le monde que le père de Versofi préparait une révolte des esclaves humains dans les îles au sud de l’empire. Une telle révolte aurait affaibli le pouvoir de Lémarius et aurait été un premier pas en direction du retour au pouvoir de la famille Vertebranche, il était donc crucial pour Lémarius que cela n’arrive pas. Ce complot était fomenté en collaboration avec Altonius II, qui souhaitait libérer les humains orientaux du joug elfique et avec un mystérieux magicien qui n’avait pas encore été identifié par les espions de la sorcière, mais elle y travaillait. Lémarius ne pouvait tolérer un tel risque et il décida d’agir : il envoya son plus sombre sbire à l’ouest pour régler le problème. Il ne pouvait pas organiser une attaque avec une nouvelle armée, car le royaume d’Aquilur lui aurait déclaré la guerre et il avait un peu peur des réactions de cette immonde grosse brute de Kold, qui pouvait décider de ne pas rester civilisé et de s’en prendre aux gens de qualité. Ce n’est pas comme si Lémarius avait peur du duc méridional d’Aquilur, mais euh… en fait si, quand on évoquait Kold devant lui il en pétait de trouille, ce qui est très mauvais pour l’image de marque d’un empereur, si bien que Lémarius avait interdit qu’on prononce le nom de Kold devant lui. Le sbire de Lémarius était un bon espion, un bon assassin et un grand bandit, mais il n’était pas d’une intelligence fulgurante et parfois faisait des erreurs de jugement qui mettaient Lémarius en rage, mais comme il était aussi d’une fidélité à toute épreuve, l’empereur lui pardonnait la plupart du temps. Cet espion se nommait Arturius Vertebranche et était un cousin éloigné de Versofi, mais cette partie de la famille avait accepté la domination de Lémarius et lui avait prêté serment d’allégeance, à la fois par conviction, mais aussi en partie pour profiter de certains avantages et ne pas avoir l’obligation de fuir les îles. Ils avaient choisi le confort de la soumission plutôt que la rébellion comme les parents de Versofi et ceux-ci les méprisaient un peu, mais ça n’avait pas d’importance puisqu’ils ne se voyaient jamais. Le rapport d’Arturius à son retour dans l’empire mentionnait la famille de Versofi comme étant le principal obstacle à une soumission de l’enclave occidentale. Si cette famille dissidente disparaissait complètement, non seulement les prétendants au trône impérial seraient matés, mais l’enclave pourrait basculer sous contrôle impérial, ce qui garantirait une route commerciale sûre entre l’empire et Gash, avec un accès à l’océan occidental. Pris entre deux feux, Aquilur devrait rabattre ses prétentions douanières et serait affaibli et l’empire pourrait se targuer de la possession d’une colonie supplémentaire, étape obligatoire pour les caravanes et nœud routier et maritime des plus importants. Lémarius décida donc d’agir au plus vite. Un soir de printemps Versofi traînait comme à son habitude dans les jardins, il était déjà très tard et elle aurait dû rentrer se coucher depuis longtemps. Elle n’était revenue voir sa famille que pour le repas du soir et était repartie jouer à l’extérieur avec une amie, la fille de ses plus proches voisins, qui s’appelait Latifa et qui avait le même âge qu’elle. Latifa était rentrée dans la maison pour aller dire bonsoir aux parents de Versofi avant de rentrer chez elle, car elle était fatiguée et elle était arrivée au terme de son autorisation de sortie. Les parents de Latifa étaient moins tolérants que ceux de Versofi et tenaient à ce que leur fille rentre assez tôt, mais Versofi quant à elle souhaitait rester encore un peu dehors. Versofi avait emporté avec elle son couteau favori, un cadeau récent de son père qui avait toujours été très généreux avec elle. Il était de tradition, quand on offrait un objet pointu ou tranchant, de recevoir en retour une pièce de monnaie sous peine de malheur. Versofi avait oublié de donner une pièce à son père, qui lui avait pourtant rappelé la bonne pratique, mais la jeune elfe avait dédaigné de se conformer à la tradition. Elle y pensait néanmoins en caressant le fil de la lame de son poignard, qu’elle avait sorti de son fourreau de cuir tressé, teint de multiples couleurs vives, que son père avait fait fabriquer tout exprès pour elle. Il ne s’était pas moqué d’elle et ce n’était pas un jouet, mais un véritable poignard elfe, la lame était en acier trempé et il était d’une solidité à toute épreuve. Aiguisé par magie et enchanté pour rester toujours affûté, c’était un objet qui avait une grande valeur en dehors du monde des elfes, car il faut savoir que les elfes ne vendent pas souvent leur production et ne fabriquent des choses que pour leur usage, contrairement aux nains et aux humains. Nous ne parlerons pas des gobelins ou des orques, car s’ils produisent énormément de choses, personne ne souhaite leur acheter eu égard à la faible qualité de leur fabrication. Versofi traînait donc au-dehors et rêvait sous la lune, s’ennuyant un peu et prévoyant de rentrer sous peu, quand elle remarqua un bruit d’ailes qui s’approchait, comme si un gigantesque oiseau lui rendait visite. Et c’était exactement ce qui se passait : deux énormes griffons se posèrent non loin d’elle sur la pelouse du parc.
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