1. Arrivée à Dakar
Pdv Aïcha
Je sortis mes clés et ouvris la porte de l'appartement. J'entrai avec mes valises vides que j'étais aller récupérer dans la cave et refermai la porte derrière moi. Il était 11h, je n'avais donc que 1h ou 2 pour ranger mes bagages. Je me rendis directement dans ma chambre et mis tout ce que je pouvais dans les valises, laissant délibérément la grande boîte à bijoux qui trônait sur la coiffeuse. J'avais choisi d'amener les choses nécessaires et celles qui me tenaient à cœur comme mes habits, mon ordinateur, la lettre que m'avait donnée ma mère, il y a quelques mois. Je n’avais rien pris de luxueux : ni ma collection d'escarpins, ni mes sacs de marque. Je sortis la bague que j'avais toujours précieusement gardée au doigt depuis un an et la posai au-dessus de la boîte pour qu'il la remarque à son retour. Je me rendis dans "sa" chambre et pris son doudou comme souvenir. Je ne pus empêcher mes larmes de couler. Je faisais tout cela pour qu'elle soit fière de moi. J'appelai une agence de taxi et demandai un taxi. Il arriva 20 mn après. Je sortis à la hâte de l'appartement avec mes deux valises. Il était sensé ne rentrer qu'à 17 h, mais je ne voulais pas m'attarder dans cet appartement qui avait été ma cage dorée. Un bel appartement bourgeois du 16ème où je n'avais connu le réel bonheur que pendant 3 mois en 2 ans. De l'extérieur, j'avais une vie que pourraient m'envier tant de femmes, mais de l'intérieur, tout cela n'avait été qu'un long cauchemar. Je sortis de l'immeuble et le chauffeur rangea mes valises dans le coffre. Le taxi me déposa à la gare du nord et je pris à 14h un train pour Bruxelles. J'arrivai 1h plus tard et je pris un taxi de la gare du Midi vers l'aéroport. J'avais fait tout ce détour pour brouiller les pistes. Je savais que partir c'était signer mon arrêt de mort, mais je préférai mourir en partant que de mourir en restant.
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Je regardais de nouveau à travers le hublot, la ville était magnifiquement éclairée. L'avion vola encore quelques minutes et se posa sur la piste de l'AIBD. Après les démarches douanières, je sortis de l'aéroport avec mes deux valises et sourit en reconnaissant la jeune femme qui m'attendait dehors.
Nafi : Aïcha !
Elle sauta sur moi en criant.
Moi : Nafi, fais doucement !
Je la serrai fortement dans mes bras.
Nafi : Je suis si heureuse. As-tu fait un bon voyage ?
Moi : Oui ! Très beau voyage.
Elle quitta mes bras et se tourna vers un homme que je venais de remarquer. Il était beau, portait un tee-shirt noir, un jean bleu et des baskets noirs.
Nafi : Permets-moi de te présenter mon époux, Abdou. Abdou, voilà Aïcha.
Moi : Bonsoir Abdou, enchantée de te rencontrer enfin.
Abdou : Bonsoir Aïcha, enfin je te vois de face.
On se donna la main.
Abdou : Le voyage s'est-il bien passé ?
Moi : Très bien, je ne pouvais faire meilleur voyage.
Nafi : Je suis si contente que tu sois enfin là.
On se jeta de nouveau dans les bras.
Abdou : Je ne veux pas être rabat-joie, les filles, mais Dakar n'est pas à côté, on devrait partir.
Nafi : Oui, tu as raison, allons-y.
Abdou prit mes deux valises pendant que je marchais main dans la main avec Nafi. On se dirigea vers le parking. Abdou rangea mes valises dans le coffre de son gros 4x4 noir et s'installa devant avec sa femme pendant que je m'engouffrai à l'arrière de la voiture. Le trajet dura presque une heure. Nafi demandait des nouvelles de Paris. J'essayais tant bien que mal de répondre à toutes ses questions avec légèreté pour que son mari et elle ne soupçonne pas le chaos infernal que j'avais laissé à Paris.
La voiture s'arrêta devant un bel immeuble à quatre étages. On descendit. Je voyais bien que ma meilleure amie avait bien réussi sa vie. L'immeuble était moderne et très luxueux. Abdou et elle devaient très bien gagner leurs vies. Elle travaille dans une grande agence de publicité d'après ce qu'elle m'a dite. Abdou sortit mes valises et le gardien nous ouvrit la porte de l'immeuble.
Nafi : Notre appartement est au deuxième étage.
Abdou : Montez ! Doudou va m'aider à faire monter les valises.
Nafi : Viens ma chérie.
Elle me tira vers les escaliers que nous gravîmes en laissant Abdou se débrouiller avec le gardien.
Arrivées devant une porte, Nafi sortit ses clés et ouvrit. Elle me laissa entrer d'abord, puis me suivit.
Nafi : Satou. On est là.
Une jeune fille nous rejoignit dans le couloir
Nafi : Satou, voilà notre invitée, Aïcha. Aïcha, je te présente Satou
Satou : Bonsoir, Mme Aïcha, avez-vous fait un bon voyage ?
Moi : J'ai fait un excellent voyage. Merci.
Abdou et Doudou entrèrent avec les valises.
Nafi : Viens, je te montre ta chambre.
Je la suivis. La chambre était magnifique. Un beau lit avec un grand dossier mural, une armoire à deux battants de la même couleur.
Nafi : Et là, c'est la salle de bain.
Elle ouvrit une porte adjacente. Je jetai un coup d'œil dans la salle de bain très belle et très propre. Abdou entra, déposa les deux valises et nous laissa.
Nafi : J'espère que ta chambre te plaît.
Moi : Oui, t'inquiète. C'est parfait. Mais dis-moi qui est Satou, la jeune fille que tu m'as présentée.
Nafi : C'est mon employée de maison. Elle s'occupe de la cuisine et du ménage.
Moi : Bin, dis donc Madame est une bourgeoise !
Elle rit.
Nafi : Ne dis pas cela. Mais c'est vrai que je vis dans d'excellentes conditions.
Moi : La vie d'étudiante à Paris est bien loin.
Nafi : Oui, c'est vrai, je ne suis pas du tout nostalgique de ma vie parisienne.
On rit toutes les deux.
Nafi : Bon, je te laisse te reposer un peu. Je viens te chercher dans quelques minutes pour le dîner.
Je sortis de la douche, apaisée. L'eau fait toujours du bien. Je regardais l'heure sur mon smartphone. Il faisait une heure du matin à Paris et 23h ici. J'avais réglé mon portable pour que les deux horloges s'affichent comme si je voulais garder le regard sur la ville de mon passé et celle où j'aurai dorénavant ma nouvelle vie.
Vous vous demandez qui je suis ? Ce que je fais à Dakar ? Qui sont Nafi et Abdou. Je vais y répondre.
Je m'appelle Aïcha Melissa Gueye. Quand on entend mon nom, on pense que je viens d'un autre pays, d'une autre culture. Pourtant, je suis française et je me suis toujours sentie gauloise. J'ai toujours été élevée dans la culture française. Ma mère est une blonde aux yeux bleus qui m'a élevée seule. Je suis née à Melun, il y a 26 ans. De ce que je sais, ma mère avait 18 ans, quand elle a rencontré un bel étudiant sénégalais. Ils sont restés ensemble 5 ans et avaient même vécu ensemble pendant 2 ans. Quand elle est tombée enceinte, mon père était aux anges, même si ce n'était pas prévu. 3 mois après ma naissance, il avait annoncé à ma mère qu'il retournait dans son pays d'origine. Ma mère ne voulait pas quitter son pays et mes grands-parents. La séparation était inévitable. Voilà pourquoi j’avais grandi sans père. Un père si absent et pourtant si présent dans ma vie malgré moi. J'avais hérité de lui, un prénom et un nom de famille si exotiques, une peau plus bronzée que celle lactée de ma mère et des cheveux crépus que je passais mon temps à lisser. Je n'avais aucun lien avec le Sénégal quand j'ai rencontré par hasard Nafissatou Thiam, mon premier jour à la fac. Elle était venue spontanément vers moi pour me demander si je pouvais lui indiquer l'amphithéâtre où elle avait cours. Je me rendis compte qu'on cherchait le même amphithéâtre. On avait donc décidé de le chercher ensemble et on s'assit côte à côte quand on le trouva. A la fin du cours, on se présenta. Elle était toute joyeuse en me faisant remarquer que je venais de son pays. Je lui précisai sans entrer dans les détails que si mon nom de famille était sénégalais, j'avais grandi en France et que je ne connaissais rien du Sénégal. Elle m'avait dit "ce n'est pas grave. Tu restes quand même ma compatriote et je t'apprendrai beaucoup de choses sur le Sénégal" C'est ainsi que naquit ma plus belle amitié. A la fin de notre première année de communication, on s'installa en colocation et on ne se sépara qu'à la fin de notre master. Nafi était rentée à Dakar, mais on avait gardé le contact. Il y a un an, elle s'était mariée avec le bel Abdou Diop avec qui elle sortait depuis un an. C'est la première fois qu'on se voyait aujourd'hui. Je n'avais pas pu venir au mariage. Abdou et moi, on se connaissait que par w******p. Mon amie semblait vraiment heureuse avec lui. Elle est plus chanceuse en amour que moi. Moi, je pense que je n'ouvrirai plus mon cœur à un homme.
A cette phrase, une image me revint : le sang, la douleur, mes cris. Je frissonnai d'effroi. Non, il faut que j'oublie. J'étais à Dakar pour oublier tous ces événements douloureux, mais surtout j'étais ici pour sauver ma peau. J'aurais fini un de ces jours par me retrouver six pieds sous terre si j'étais restée à Paris. Il y a quelques mois, j'ai frôlé la mort, j'ai de la chance de m'en être sortie sans trop de séquelles physiques, mais je sais que je n'aurai pas deux fois cette chance.
Sortant de mes pensées, je mis mon pyjama, allumai la climatisation et me couchai après avoir éteint la lampe. Fatiguée, je m'endormis aussitôt.
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Pdv Djibril
Le lendemain
J'ouvris les yeux avec difficulté. J'étais encore fatigué. J'avais travaillé hier jusqu'à 18h et cette nuit, j'avais pris un vol de plus de 3h pour arriver dans cette ville nigériane qui m'était totalement inconnue. J'avais voyagé avec le DG et notre conseillère juridique. Un des hauts dirigeants de notre société partenaire nigériane était venu nous chercher pour nous amener au Radisson Blu Anchorage Hotel,situé sur Victoria Island. Il était déjà près de 4h du matin, heure locale, on était directement allé nous coucher. Je pris mon portable posé sur la table de chevet, il était 09h. Je pris une douche et m'habillai d'une chemise blanche, d’un pantalon noir et de sandales en cuir. Je descendis dans le restaurant pour mettre quelque chose dans mon ventre. J'y trouvais Maître Simone Diatta qui buvait sa tasse en admirant la lagune. La vue était magnifique. Je la rejoignis et on prit ensemble le premier repas de la journée. J'étais le plus jeune du voyage. Maître Diatta devait avoir la quarantaine et le DG avait dépassé la cinquantaine. J’aurai dû ne pas être du voyage, mais Mr Fall, mon supérieur hiérarchique direct avait eu il y a 3 jours, un grave accident de la route. Je n'avais pas eu d'autres choix que de le remplacer. Ce contrat qu'on était venu négocier était trop important et le DG voulait avoir toutes les cartes en main pour défendre les intérêts de notre société. Si nous réussissons à signer ce contrat, on pourra implanter nos activités dans le pays le plus riche de l'Afrique de l'Ouest. Après le déjeuner, Maître Diatta me proposa d'aller visiter la ville avec elle et un ami nigérian qui allait bientôt arriver. J'acceptai et lui demandai si le DG était convié, elle m'expliqua que le DG à qui elle avait proposé hier la sortie, avait décliné l’offre, parce qu'il devait déjeuner avec le DG de notre société partenaire. Je retournai dans ma chambre pour chercher mon petit sac au dos et de l'argent pour d'éventuels achats. J’avais amené ma carte Visa, mais je ne savais pas si dans toutes les boutiques de Lagos on pouvait payer par carte.
Je rejoignis Maître Diatta dans le hall de l'hôtel et 10mn plus tard, un homme de sa tranche d'âge en polo et pantalon jean noir avec des baskets blanches s'approcha de nous. Il était accompagné d'une très belle femme habillée d'une longue robe en wax. Ils nous saluèrent chaleureusement en anglais et Maître Diatta fit les présentations. C'étaient Mr et Mme Ekubo. Elle avait connu Mr John Ekubo lors de ses études de droit en Angleterre.
On a d'abord fait un tour de Victoria Island en visitant notamment le centre commercial Mega Plaza où Maître Diatta a fait quelques achats pour ses enfants et son mari. J'y ai acheté aussi de belles chaussures pour ma petite sœur. Puis direction la Péninsule de Lekki où nous avons pu aller au Lekki Conservation Center. On a même eu des sueurs froides en participant à la canopy qui est un pont suspendu de près de 22.5 mètres. Après ces sensations fortes on a été au Lekki Market, un marché d'art, de sculptures et de bijoux où j'ai trouvé des merveilles pour ma mère et ma deuxième sœur. Après tout ce périple, nous avions faim et Mr et Mme Ekubo nous ont invité à manger chez eux. C’était une magnifique maison dans un nouveau quartier de Lekki et on a pu rencontrer leurs deux enfants Adanna et Femi. Ils me firent découvrir autour d'une table joliment dressé le riz "jollof" qui est un plat mijoté avec des tomates, des piments, des épices, de la viande et des légumes. J’ai beaucoup apprécié ce plat. Nous eûmes comme dessert du "chinchin" (beignet à base de beurre, farine, sucre, levure et œufs frits). Après ce repas, très copieux, ils nous raccompagnèrent à l'hôtel, nous promettant de venir nous chercher un autre jour pour nous faire visiter Ikeja, la capitale de l'état de Lagos.
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Le soir
Je descendis dans le restaurant pour le dîner. Maître Diatta m'avait annoncé après notre retour de notre escapade dans la ville qu'elle dînerait ce soir dans sa chambre. Je savais que je serais seul sur ma table pour ce soir. Une serveuse prit ma commande et j'admirai la lagune. Il ne faisait ni trop chaud, ni trop froid.
- Bonsoir !
Je levai ma tête vers celle qui m'avait salué. C’était une très belle femme noire, taille fine, habillée d'une robe en dentelle noire qui s'arrêtait sur le genou. Elle avait de longs cheveux afro. Je ne la connaissais pas et elle avait un fort accent américain que je reconnaissais.
Moi : Bonsoir !
La femme : Puis-je m’asseoir ?
Moi : Allez-y.
J'essayai avec beaucoup d'efforts de me souvenir où j'avais pu connaître plus tôt cette femme.
La femme : Miss Chioma Ukeje.
Moi : Djibril Thiam. Excusez-moi, mais je ne me rappelle pas d'où on se connaît.
Chioma : En fait, on ne s’est jamais vu. Je vous ai vu en entrant dans le restaurant et j'allai dîner seule, je me suis dite qu'on pouvait mutuellement se tenir compagnie.
Je souris, amusée par l'excès de zèle de cette femme.
Moi : Désolé, mais je suis marié.
Elle rit.
Chioma : Je ne vous ai fait aucune proposition déplacée, mais je ne sens pas offusquée même si je sais que vous n'êtes pas marié et que vous avez dit cela pour me décourager.
Moi : Qu'est-ce qui vous fait croire que je ne suis pas marié ?
Chioma : Vous n'avez pas d'alliance.
Moi : J'avoue que vous avez raison. Mais je me considère déjà comme tel. Je me marie la semaine prochaine.
Chioma : C'est dommage, je vous trouve très beau.
Moi : Merci pour le compliment.
La serveuse s'approcha et déposa mon cocktail, puis prit la commande Chioma.
Chioma : Même si vous n'êtes pas disponible, je peux quand même dîner avec vous ?
Moi : Oui.
Chioma : Je suis une américaine d'origine nigériane et je viens de New-York où je travaille pour un grand groupe pharmaceutique. Je suis ici pour un colloque sur les médicaments génériques. Et vous ?
Moi : Je viens de Dakar, je travaille dans le monde des affaires, suis ici pour une réunion avec d'éventuels partenaires.
En fermant la porte de ma chambre, je souris en repensant à Chioma, elle a tenté pendant tout le dîner de me séduire, mais je n'avais pas répondu favorablement à ses avances. C'était vrai que j'avais menti sur le fait que j'allais me marier, mais je n'oubliais pas que j'étais à Lagos pour des raisons strictement professionnelles. De plus, je n'étais pas vraiment intéressé par une relation amoureuse, encore moins une aventure. Sans oublier que je me méfiais des américaines. J’en avais déjà eu une dans ma vie qui m'a laissé de très mauvais souvenirs, je n'ose pas retenter l'expérience, même si c'est vrai que ce n'est pas parce qu'une américaine n'a pas été une bonne partenaire que toutes les américaines ne le sont pas forcément. Aujourd'hui, je préférerais avoir une petite amie sénégalaise qui comme moi pratique sa religion, aime sa culture et aspire à une vie sobre et tranquille.
Après ce long monologue intérieur, je me débarrassai de mes habits et plongeai en caleçon dans mon lit pour un doux sommeil.