3.
Le lièvre, ou Comment on récupéra le soleilCela se passait ainsi. Un jour, les esprits mauvais tungak dérobèrent le soleil aux habitants de la toundra. Bêtes et oiseaux vécurent alors dans l’obscurité. Ils cherchaient leur pitance à tâtons comme des aveugles. Pas drôle ! ils décidèrent de réunir une grande assemblée. Des députés arrivèrent, venant de tous les peuples, de la gent volatile, et des bêtes à poil. Un vieux corbeau, considéré par tous comme un sage, prit la parole :
– Frères ailés et frères poilus, jusqu’à quand allons-nous vivre dans l’ombre ? De la bouche d’un des vieux qui habitent non loin de notre terre, j’ai entendu dire que des esprits malins vivant sous terre nous ont volé le soleil, cette boule qui nous éclaire. Je vous propose d’envoyer à la recherche du soleil le plus grand et fort d’entre nous, l’ours brun.
– Ours ! ours ! crièrent oiseaux et bêtes.
À ce moment, une vieille chouette sourde, qui réparait un traîneau, demanda au bruant des neiges :
– Qu’est-ce qu’ils disent ?
– Ils veulent envoyer l’ours chercher le soleil !
– C’est en vain ! dit la chouette. Dès que l’ours, ce goinfre, verra quelque chose de bon à manger, il oubliera tout ! Nous ne récupérerons pas le soleil.
Entendant l’avis de la chouette, les députés de l’assemblée en tombèrent d’accord. Le vieux corbeau reprit la parole :
– Envoyons le loup, qui est le plus fort après l’ours.
La chouette demanda au bruant :
– Que disent-ils ?
– Ils veulent envoyer le loup en ambassade.
– Inutile ! le loup, en chemin, verra un renne, lui sautera dessus, se gobergera et adieu le soleil !
– C’est fort vrai. Alors, qui allons-nous envoyer ?
Une petite souris dit :
– Envoyons le lièvre. Il fait des sauts plus hauts que nous tous, et peut attraper le soleil en route.
Tous crièrent :
– Lièvre, lièvre !
La chouette, dure d’oreille, interrogea le bruant :
– Que disent-ils ?
Le bruant lui hurla dans le creux de l’oreille :
– Ils veulent envoyer le lièvre ! Car c’est celui qui bondit le mieux !
La vieille chouette réfléchit, dit :
– En effet, il bondit haut. Fiable ! on peut compter sur lui. Personne ne l’arrêtera.
C’est ainsi que le lièvre fut consacré ravisseur de soleil. Sans réfléchir davantage, le lièvre se mit en route sur le chemin indiqué par le corbeau.
Il marcha longtemps, des jours et des jours. Enfin, de loin, il distingua une tache lumineuse. Il s’approcha. Des rayons s’échappaient d’une étroite fente souterraine. Il épia. Une boule de feu gisait dans un grand vase de pierre blanche. Ses rayons éclairaient la caverne. « Voilà le soleil ! » pensa le lièvre. À l’autre coin de la caverne gisaient sur des peaux de renne des esprits mauvais. Le lièvre descendit par la faille dans le souterrain, sauta sur la boule de feu, l’extirpa du vase de pierre, prit son élan sur ses pattes arrière, et sauta hors de la caverne.
Les esprits mauvais se réveillèrent, se lancèrent à la poursuite du lièvre. Celui-ci courait de toutes ses forces. Les esprits mauvais le suivaient de près. Alors, le lièvre donna un coup de patte à la boule de feu, laquelle se brisa en deux. Une petite partie donna la lune. La partie la plus grosse devint le soleil, que le lièvre mit en place en lui donnant une ruade. Et soudain, il se mit à faire jour sur terre.
Les esprits mauvais tungak, aveuglés, allèrent se cacher dans le souterrain, et depuis lors, n’apparaissent plus sur terre. Bêtes à poil et à plume glorifièrent le hardi lièvre, ravisseur du soleil.