Et si on se perdait ?

Chapitre 6

Je n’ai pas réfléchi. J’ai simplement répondu, les dents serrées :

— C’est la femme que je vais épouser. Ça te va maintenant ? Mayah, monte dans la voiture.

Sans un mot, elle obéit. Je me suis alors retrouvé seul face à Sonia, rempli d’une haine que je n’aurais pas cru ressentir un jour.

— C’est la dernière fois, Sonia. Plus jamais tu te mêles de mes affaires.

Sans lui laisser le temps de répondre, je suis monté dans la voiture. Le silence s’installa aussitôt. Je n’avais aucune envie de parler. Ma vie partait dans tous les sens. Et j’étais à bout.

Arrivés devant chez elle, au lieu de descendre, Mayah me prend doucement la main.

— Je comprends ce que tu traverses, bae... C’est dingue.

Je ne dis rien. Je suis à bout. Tout ça me fatigue. Pourtant, avec elle, c’est différent. Elle dégage une énergie rassurante, apaisante.

— Tu l’amènes quand, la dot ? — dit-elle en souriant.

Je lâche un petit rire. Son humour, même léger, arrive à me décrocher un sourire malgré ma colère.

Puis, elle me prend doucement le menton pour que je la regarde. Nos regards s’accrochent, en silence. Sa douceur me désarme.

— Réponds-moi, — murmure-t-elle.

— Allez, oublie cette histoire...

— Non, qu’est-ce que tu comptes faire, Yannick ?

— Je vais rien faire du tout. Si Neslihan veut se donner la mort, qu’elle le fasse !

— Yannick ! Ne dis pas ça... C’est ta mère, quand même.

— Tu vois pas à quel point elle me manipule ? C’est une mère toxique !

Les mots sont sortis, bruts. Je n’ai pas pu les retenir. Cette colère, je la porte depuis trop longtemps. Elle veut tout contrôler, même ma vie sentimentale.

Mayah soupire.

— Elle a juste très peur. Essaie de la comprendre, s’il te plaît.

— Tu te rends compte de ce qu’elle me demande, au moins ?

Elle hoche doucement la tête.

— Je sais que tu n’as pas le choix. Mais je sais aussi que tu t’en voudras si tu ne fais pas ce qu’elle demande. Regarde... Tu souffres encore de ne pas avoir pu dire au revoir à ton père. Ne t’inflige pas une nouvelle souffrance. Fais ce qu’elle veut. Épouse une autre femme. Et si ça ne marche pas, au moins, tu ne pourras pas t’en vouloir. Elle non plus.

Je suis profondément touché par les paroles de Mayah. Elle a raison. Je n’ai pas vraiment le choix. Je ne veux pas blesser ma mère, ni vivre avec le regret de ne pas avoir respecté sa volonté.

— Tu as toujours...

— Je te connais mieux que personne, Kaan Yannick. Fais-le. Tu n’as rien à perdre, de toute façon.

Je souris doucement.

— Je vois que tu es très sérieuse... Tu ne m’appelles comme ça que quand c’est important.

— Oui, je le suis. Alors ?

— D’accord. Écoute, je dois prendre mon billet. On se parle plus tard.

— Tu comptes voyager ?

— Oui. Il faut que je me vide la tête quelques jours.

— D’accord.

Elle m’embrasse tendrement sur la joue avant de descendre de la voiture. Je la regarde s’éloigner, le cœur un peu plus léger. Je suis tellement reconnaissant d’avoir pu parler avec elle. Mayah est une femme exceptionnelle. Chaque homme mérite d’avoir une femme comme elle à ses côtés.

Je me rends ensuite dans une agence de voyage pour acheter mon billet d’avion. J’ai besoin de partir. De m’éloigner un instant pour me retrouver. Accepter d’épouser une autre femme que Jasmine… cette idée me ronge. Mais je dois y réfléchir avec lucidité. C’est une grande décision.

•|•

Point de vue de Mayah

Tard dans la soirée, allongée sur mon lit, mes pensées reviennent vers Yannick. Je le connais trop bien. Il déteste qu’on le pousse à bout. Je ne sais pas ce qu’il fait en ce moment, alors je lui envoie un message. Il me répond rapidement : il a réservé son vol pour demain soir.

Je comprends. Il a besoin de prendre du recul pour réfléchir. Il ne veut blesser personne dans cette histoire, et c’est pour ça que je l’aime autant.

Mais malgré tout, je ressens un malaise. Une peine profonde. Quand lui ne va pas bien… moi non plus.

Pour me changer les idées, j’appelle Khalis. Il m’avoue qu’ils se sont disputés, toujours à cause de cette même histoire.

— Mayah, tu peux aller à la pharmacie ? Je sais qu’il est tard, mais le chauffeur t’accompagnera, — m’appelle ma mère depuis le salon.

— D’accord, — je réponds.

Elle me tend une ordonnance.

— C’est pour ton père.

Je la prends en silence. La maladie de mon père commence sérieusement à m’inquiéter. Il prend beaucoup trop de médicaments.

— Qu’est-ce qu’il a, maman ? Qu’est-ce qu’il a exactement ?

— Rien de grave. Tu le vois bien, il est en forme, non ?

C’est vrai que physiquement, il a l’air en bonne santé. Mais cette dépendance aux médicaments me fait peur.

— Mais alors, pourquoi tous ces traitements ?

— Mayah, arrête avec tes questions. Vas-y, s’il te plaît.

— D’accord… — je réponds, frustrée.

Je n’arrive pas à la cerner. Ma mère a toujours été comme ça. Mystérieuse, distante, silencieuse sur les sujets importants. Elle me parle encore comme si j’étais une petite fille.

Mais je sens bien qu’il y a quelque chose qu’on me cache. Et cette fois, je compte bien découvrir la vérité.

Le lendemain

Je me suis réveillée tardivement. Après m’être préparée, je suis allée à la cuisine. Naelle m’avait envoyé un message : « J’arrive. » Je lui ai demandé de m’accompagner à l’aéroport pour dire au revoir à Yannick. Il voyage ce soir, et je veux être là.

Quelques minutes plus tard, pendant que je m’habillais, elle, fidèle à elle-même, faisait ses snaps depuis le salon.

— Et si on partait en vacances nous aussi ? me lance-t-elle.

— Si tu dis ça à cause de Yannick, oublie tout de suite. Il n’est pas d’humeur.

— Ah bon ? Qu’est-ce qu’il a ? demande-t-elle en se redressant, intéressée.

— Sa mère veut à tout prix qu’il épouse une autre femme. Ça crée des tensions entre eux. Il a besoin de souffler, alors il s’éloigne.

— Mais pourquoi elle veut le forcer, la vieille ?

— Tu connais les mamans... Apparemment, elle refuse de mourir sans avoir vu ses petits-enfants.

— Ah non, les mères toxiques comme ça, je peux pas ! lâche-t-elle, agacée.

Je souris en coin. Elle est soudainement contrariée, alors que ce n’est même pas son histoire.

— Tu vois... Même moi je l’évite. Elle est problématique, mère Neslihan.

— Mais attends, Jasmine, c’est pas sa copine ? Qu’il l’épouse alors, c’est logique !

— Justement non, c’est elle que sa mère refuse. Elle ne veut pas d’elle.

Je remarque le sourire qui s’étire sur le visage de Naelle. Typique. Elle profite toujours de la moindre occasion pour ramener son obsession pour Yannick. Cette situation la réjouit presque.

— N’y pense même pas ! dis-je en la fusillant du regard.

— Mais c’est une opportunité, non ? Si sa mère ne veut pas de Jasmine, il n’a qu’à en épouser une autre.

— Et qui, selon toi ? je lui demande, blasée.

— Moi, par exemple. J’suis célibataire, ma belle, — réplique-t-elle en haussant les sourcils.

Je n’en crois pas mes oreilles. Elle est sérieuse. Profiter du désespoir de quelqu’un pour se trouver une place… C’est tellement égoïste. Elle ne pense pas à Yannick, elle pense à ce qu’elle pourrait gagner.

Et pourtant, je repense aux paroles de Yannick, à son hésitation. Naelle est peut-être un bon choix. Elle aussi, quelque part, est folle de lui. Mais je préfère ne rien dire. Si je la lance là-dessus, elle va vite s’emballer. Et je ne veux pas qu’elle soit blessée si ça ne se passe pas comme elle l’espère.

Je termine enfin de m’habiller.

— Voilà, je suis prête. On y va, — dis-je.

— Mayah, dis-le lui s’il te plaît, — insiste-t-elle encore.

— N’insiste pas, Naelle. C’est non !

Elle fait des grimaces pour me bouder, mais je ne cède pas. C’est pour son bien.

— T’es belle, mais méchante, — marmonne-t-elle.

— Merci.

Je la regarde du coin de l’œil. Elle n’a pas l’air très en colère… et ça m’inquiète un peu. D’habitude, elle fait tout un drame et ne me parle pas pendant une semaine. Là, elle garde son calme. Trop calme. J’espère qu’elle ne prépare rien derrière mon dos.

Nous sortons de la maison. Je prends ma voiture, et avant de nous rendre à l’aéroport, on s’arrête dans une boutique. J’y achète une petite peluche adorable pour Yannick. Un souvenir doux. Un rappel de ma présence, même en son absence.

À suivre...