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1604 Mots
J’amortis ma chute tant bien que mal. Je me redresse sur un coude les oreilles sifflantes. Aikon s’agenouille face à moi, une main sur mon épaule. Son regard inquiet s’ancre au mien. — Est-ce que ça va ? demande-t-il. J’acquiesce. Un soupir soulagé lui échappe tandis qu’il se relève et m’offre sa main pour m’aider à en faire de même. — Ce n’est pas bien d’écouter aux portes, me réprimande-t-il. — Techniquement, je n’écoutais pas aux portes puisque nous… (Le regard réprobateur qu’il me lance suffit à me faire taire. Je lève discrètement les yeux au ciel et reprends :) D’accord, Anaëlle et moi n’avions rien à faire là, je m’en excuse. — Qu’as-tu entendu de la discussion ? — Pas grand-chose, je mens. Annaëlle n’arrêtait pas de me faire des remontrances. Un rire furtif lui échappe. Il attrape mon visage et m’embrasse le front. Un drôle de frisson me parcourt le corps au contact de ses lèvres contre ma peau. La tête me tourne quelques secondes. — Eden ! Annaëlle se précipite vers moi. Elle me scrute de la tête aux pieds comme si elle cherchait une quelconque égratignure. — Je vais bien, je la rassure sourire aux lèvres. Elle fronce les sourcils, son regard concentré sondant le mien. Je fais tout mon possible pour lui cacher le trouble que les paroles d’Aikon, encore claires comme de l’eau de roche, ont éveillé en moi. Sa mère est une princesse de Tir Nan Elves. Je le ferai une fois que son meurtrier de père ne sera plus en cavale. — Vous feriez bien d’aller vous préparez pour les festivités de ce soir, suggère Aikon me sortant de mes pensées. — Bonne idée ! acquiesce ma cousine. — Chacune de votre côté. L’enthousiasme d’Annaëlle s’estompe instantanément. D’un signe de tête Aikon donne l’ordre aux gardes de nous escorter jusqu’à nos appartements. Nous lui adressons une révérence avant de suivre ses hommes à l’intérieur du palais. Nous regagnons le premier étage, jusqu’à l’aile ouest où se trouvent les appartements des membres princiers de familles royales étrangères. En dix ans passé à Tir Nam Madah-allaidh, je n’ai jamais connu d’autres appartements que ceux qui m’ont été attribués par Aikon et sa mère. Je sens mes lèvres s’étirer en un sourire en repensant à tous les souvenirs que nous avons en commun. Des repas solennels, aux soirées plus chaleureuses, en passant par les nuits d’orage où, sans le dire à personne, il empruntait le passage secret qui relie nos appartements séparés d’un étage, pour garder un œil sur moi et me permettre de dormir tranquillement. Arrivée devant ma chambre, je remercie les gardes qui m’adressent un signe de tête. Annaëlle tente vainement de s’échapper, mais est vite arrêtée par l’un d’eux. — Les festivités du soir commenceront dans deux heures, m’informe l’autre en se retirant. Je les regarde s’éloigner en direction des appartements de ma cousine à quelques mètres de là. La porte à peine refermée derrière moi, Fiona me tombe dessus. Un cri horrifié lui échappe en voyant l’état de ma robe encore neuve il y a quelques heures. Sans attendre, elle m’attrape par le bras et me tire jusqu’à la salle de bain où elle allume les robinets de la baignoire, pendant que je me déshabille. Ce n’est qu’une fois la robe retirée que je remarque une forme ovale, là où la boule d’énergie m’a atteinte. Fionna m’aide à m’installer dans la baignoire, une lueur suspicieuse dans le regard. — Avec qui vous êtes-vous bagarrée encore ? — Personne. C’était juste un accident. — Princesse… Elle secoue la tête et se redresse. Fermant les yeux, je me glisse un peu plus dans l’eau. Les senteurs sucrées mêlées au doux bruit du pas de ma servante contre le carrelage m’aident à m’apaiser. Mes muscles se relâchent, mon corps se détend. Mon esprit se laisse entraîner dans les paisbles brumes du sommeil. Je pédale le long de la route, un grand sourire au coin des lèvres. Arrivé au carrefour, je bifurque sur la gauche direction le chemin qui mène à la forêt. La voix de ma mère résonne quelque part derrière moi : — Ne t’aventure pas seule trop loin, mo chroi ! — Non mère, je réponds d’une voix fluette. Arrivée au début du chemin sauvage, je freine et saute à terre. Un sentiment d’exaltation s’empare de moi La voix de ma mère résonne une fois de plus, étouffée par les arbres. J’avance en sifflotant, guillerette à l’idée de passer quelques heures loin de la Cour et de tout le protocole, comme une personne normale. Une enfant normale. Crac… Je tressaute. Un rire m’échappe tandis que je lève les yeux au ciel. — Mère, ce n’est pas… Crac. Je me retourne, sourcils froncés et muscles tendus. Mes mains se resserrent sur les poignées de mon vélo. Mes yeux sondent l’environnement autour de moi. — Mère ? Crac…Je tourne la tête. Mon regard se pose sur un homme à quelques mètres de moi. La lueur de ses yeux me donne la chair de poule. Je peux sentir mon cœur battre contre mes tempes, mes sens en alerte. Il avance dans ma direction. — Bonjour, princesse, dit-il d’une voix mauvaise. Votre père… Avant qu’il ne puisse finir sa phrase, un loup surgit de nulle part et se jette sur lui. Un autre bondit par-dessus ma tête. Je me jette instinctivement au sol et roule sur moi-même. Le temps que je me relève, le premier loup a disparu avec l’inconnu. Le second avance lentement dans ma direction. J’ouvre la bouche, mais aucun son n’en sort. Loin de s’en prendre à moi, l’animal s’incline, une patte avant repliée sur elle-même. D’abord hésitante, je me relève et, la main tendue, avance lentement vers lui. A ma plus grande surprise, il ne bronche pas au contact de ma paume contre son museau. Je m’agenouille et sans peur rapproche mon visage du sien. — Où est ma fille ? ** J’ouvre subitement les yeux, tirée de mon étrange rêve par la voix de ma mère. L’esprit encore ensommeillé, je sors de la baignoire et revêts un peignoir avant de regagner ma chambre. Son regard bienveillant se pose instantanément sur moi. Je cours jusqu’à elle et la prend dans mes bras. — Ceci n’est pas très protocolaire, remarque-t-elle d’une voix faussement réprobatrice. — Ne vous en faîtes pas, Fionna sait garder un secret. (Elle rit.) Et puis cela fait bien trop longtemps que je ne vous ai pas vue, j’ajoute. Je me détache d’elle. Nous nous asseyons sur l’un des canapés, face à la cheminée. Fiona nous apporte deux tasses de thé pleines ainsi qu’une assiette de petits gâteaux. — Je ne sais pas si mon oncle Clayton vous a appris la grande nouvelle, mais mes fiançailles vont être annoncées ce soir. — J’ai en effet appris la grande nouvelle, mais de la bouche de la Reine. Comme tu le sais, ton oncle et moi n’avons pas de contact particulier. Ton beau-père est certes un bon époux, mais il n’en reste pas moins quelque peu ermite. Nous passons plus de temps dans notre maison de campagne qu’ailleurs. Je n’ai donc que très peu de contact avec les membres de la Cour et encore moins ton oncle. Il est vrai qu’elle marque un point. En dix ans passés au sein du cercle proche des différentes Cours, je n’ai eu l’occasion de la voir que quatre fois par an : pour l’anniversaire de la Reine, pour mon anniversaire, pour l’anniversaire d’Aikon et pour les fêtes de Nollaig. Je peux donc m’estimer heureuse qu’elle soit ici pour le Solstice d’été. Je suis prête à parier que mon oncle a quelque chose à voir là-dedans. Malgré les différends entre eux, il sait prendre sur lui et faire en sorte qu’elle soit présente pour les événements les plus importants, comme l’annonce de mes fiançailles. — Avez-vous une idée de qui il s’agit ? je la questionne. (Une étrange lueur parcourt son regard. Mon cœur bondit dans ma poitrine.) Mère ? Nous sommes interrompues par des coups frappés à la porte. Fiona s’empresse d’aller ouvrir. Isobel et Louison entrent dans la pièce les bras chargés de boîte. — De la part du prince, annoncent-elles en cœur. Du coin de l’œil, je vois ma mère esquisser un sourire. Je me lève et m’approche du lit sur lequel les deux servantes ont posé le tout. — Merci, je dis à leur attention. Elles m’adressent une révérence et sortent de la pièce. J’attrape la plus grande des boîtes et en sors une magnifique robe de bal bleu nuit, aux manches courtes et évasées qui laissent apparaître les épaules. Le tissu est recouvert de fines broderies argentées et de petits diamants qui rappellent les étoiles. Je la pose soigneusement et ouvre les deux boîtes restantes. L’une d’elle contient une paire de ballerines plates assorties. L’autre, des bijoux probablement empruntés à la couronne. Je m’assois quelques instants. Ma mère s’approche de moi. — Il faut croire que le prince Aikon ne prend pas à la légère les fiançailles de sa petite protégée. Je ris nerveusement. Elle attrape mes mains qu’elle sert fermement entre les siennes. — Ne t’en fais pas, tout va bien se passer. — N’y a-t-il vraiment rien que vous puissiez me dire au sujet de ce soir ? je m’enquiers en levant les yeux vers elle. La même lueur qu’il y a quelques minutes parcourt une fois de plus ses yeux. — Une chose. Tes fiançailles ne datent pas d’hier. (Elle inspire profondément :) Ton futur époux et toi êtes promis l’un à l’autre depuis ta naissance. ** ** ** ** **
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