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2495 Mots
À peine habillée, Fiona m’invite à m’asseoir devant la coiffeuse. — Rien de trop extravagant, je lui dis une pointe de nervosité dans la voix. Son regard bienveillant croise le mien à travers le grand miroir. J’inspire et m’humecte les lèvres tandis que ses mains s’activent dans mes longs cheveux ondulés qu’elle attache en halo autour de ma tête, avant d’appliquer du fard argenté et de l’eye-liner sur mes paupières. Pour finir, elle ajoute un peu de brillant à lèvres sur ma bouche. Lorsque j’ouvre les yeux, j’ai l’impression d’avoir été métamorphosée. Ainsi parée, je ne ressemble plus à une simple princesse. Je ressemble à une future reine. — Ma chérie ? Je tressaute. Ma mère se tient à mes côtés, sourire aux lèvres. — Prête à rencontrer ton fiancé ? Non. — Oui. Prenant une inspiration, j’attrape la main qu’elle m’offre. Mon cœur cogne entre mes côtes tandis que nous sortons de ma chambre. — Beannachd leat Banna-phrionnsa, me souhaite Fiona en refermant la porte derrière nous. Le claquement retentit à travers le couloir. Ma mère me conduit jusqu’à l’entrée d’une petite roseraie entièrement privée à laquelle seule la famille Gwynfor et les valeurs ajoutées ont accès. — Ton fiancé t’attend là. Sur ce, elle m’embrasse le front et, sans un mot de plus, se retire. Je sens le rouge me monter aux joues. Mon cœur bat de plus belle. — Votre Altesse ? L’un des gardes m’ouvrent la porte. — Merci, je dis en descendant les quelques marches qui mènent au petit sentier. Comme à mon habitude, je suis les flèches qui mènent au centre. Le contact de la brise de cette dernière soirée de printemps sur ma peau aide à détendre mes nerfs et mes muscles en pelote. J’essuie mes mains moites sur mes jupons tout en me concentrant sur ma respiration. Mon regard se pose sur un jeune homme vêtu d’un costume identique à ma robe, dos à moi. Il se retourne avant même que mon cerveau n’a le temps d’analyser l’information. Je fronce les sourcils, confuse. — Aikon ? Qu’est-ce… — Nous n’avons pas beaucoup de temps, m’interrompt-il. (Il avance jusqu’à moi, saisit l’une de mes mains et entrelacent nos doigts.) Au départ, il était prévu que nous ne nous voyions pas avant le bal, mais j’ai pu jouer sur le fait que, d’ordinaire, la tradition permet aux deux jeunes gens concernés de disposer d’un instant seul à seul avant la grande annonce. — Enfin Aikon, de quoi est-ce que tu parles ? — N’as-tu pas une petite idée ? (Je ne réponds rien. L’ombre d’un sourire espiègle effleure ses lèvres.) Dans ce cas… Son regard ancré au mien, il pose un genou à terre et extirpe un écrin noir ébène de sa poche. Il l’ouvre. Les derniers rayons du soleil se reflètent sur une magnifique bague marguerite, sertie d’un saphir orné de petits diamants. Les événements de ces dernières heures se mélangent dans mon esprit. L’annonce des fiançailles, la promesse d’un bon parti, les retrouvailles, la fontaine, la robe qui me donne l’apparence d’une future reine. Promis l’un à l’autre depuis ta naissance. Ton fiancé t’attend là. Aikon. — Princesse Eden Melwyn Shelley Cranham me feriez-vous l’honneur de devenir ma femme ? L’excitation et la nervosité m’envahissent. Malgré toute ma bonne volonté, je ne réussis pas à réprimer le léger tremblement qu’elles éveillent en moi. — Oui, j’articule tant bien que mal. Il se relève. Ma main toujours dans la sienne, il me passe la bague au doigt. Mon cœur bat si fort que j’ai l’impression que mon être entier pourrait exploser. Glissant un bras autour de ma taille, Aikon me tire à lui et scelle ses lèvres aux miennes avec tendresse. Un frisson intense me traverse tandis que je passe mes mains derrière sa nuque. Il me soulève dans les airs et nous fait tourner sur place sans interrompre notre b****r qui s’intensifie. Notre premier b****r. Le son des cors retentit au loin nous rappelant à la réalité. Nous nous détachons l’un de l’autre, à bout de souffle. L’esprit quelque peu brumeux, j'attrape le bras qu’il m’offre. Les gardes nous ouvrent les portes de la roseraie. Mon pouce ne cesse de caresser le bijou à mon annulaire gauche. Nous regagnons l’estrade, au centre de la salle de bal, sur laquelle nous attendent sa mère, Audran, quelques membres de la famille royale, Eva et Terrence. Ce dernier m’adresse un clin d’œil auquel je réponds d’un sourire discret. Aikon et moi nous plaçons face aux convives. — Merci à tous et toutes d’être à nouveau parmi nous pour le Solstice d’été qui, une fois de plus, semble avoir bien commencé, déclame sobrement mon fiancé. — Même plus que bien ! s’exclame quelqu’un. Il esquisse un sourire et en profite pour prendre une petite inspiration. — En effet. D’autant plus que j’ai demandé à la princesse Eden, ici présente, si elle me ferait l’honneur de devenir ma femme, ce à quoi elle a répondu oui ! Contre toute attente, un rugissement de stupeur parcourt la foule. — Vous ne pouvez pas épouser une demi-humaine ! s’indigne un homme. — Qui plus est la Nighean an Namhaid, renchérit sa cavalière. Quelques bruits d’approbation retentissent aux quatre coins de la salle. — Taisez-vous ! ordonne Aikon d’une voix forte. Un silence pesant, presque solennel, s’abat sur l’assemblée réunie devant nous. — La princesse Eden et moi-même sommes fiancés depuis son plus jeune âge. Elle est votre future Reine légitime et ma future Luna. Nos mères et le Destin en ont décidé ainsi. Que les choses soient claires, elle n’est pas la Nighean an Namhaid, comme certains de vous semblent le penser. Elle n’est pas des leurs, ajoute-t-il en baissant les yeux et se tournant vers moi. Elle est des nôtres. Ma main toujours autour de son bras, Aikon m’embrasse furtivement et me conduit jusqu’à la piste de danse. Malgré les protestations, je peux voir courtisans et courtisanes s’incliner à notre passage, sans s’empêcher de jaser pour autant. Je me place face à mon fiancé, un sourire de connivence au coin des lèvres. — Prête à leur en mettre plein la vue ? mime-t-il du bout des lèvres. Oh que oui. Les musiciens se mettent en place au fond de la salle. Aikon et moi nous saluons d’une révérence. Les notes retentissent. Mon sourire s’agrandit. La première danse n’est ni plus ni moins qu’une volte. Ce que je préfère. Nos regards ancrés l’un à l’autre, nous tournoyons, virevoltons et sautons. Le décor autour de nous semble disparaître dans un mélange abstrait de couleurs. La musique nous emporte. Des cris admiratifs s’élèvent de l’assistance tandis que nous concluons notre danse par trois portés à la suite. Me tenant fermement par la taille, il me repose lentement à terre sans lâcher mon regard. Nous saluons notre public qui applaudit. Mon oncle s’avance vers nous : — Ma chère nièce, m’accorderais-tu cette danse ? Je coule un regard en coin à Aikon qui accède à la demande de mon oncle et me confie à lui. D’autres couples se forment autour de nous. Du coin de l’œil, j’observe mon fiancé inviter ma tante à danser. Nous nous inclinons dans une révérence. Les musiciens enchaînent sur la Valse du Cygne. — Cela te rappelle quelque chose ? me questionne mon oncle. — Bien sûr ! C’est la première valse que j’ai apprise, grâce à vous ! Il s’esclaffe. Mes pas calqués sur les siens, nous tournoyons. Mon cœur bondit entre mes côtes, mon corps en liesse. Un sentiment de plénitude s’empare de moi chassant toute nervosité. La danse finie, je remercie mon oncle et, profitant d’une courte pause, m’éloigne un peu de la piste de danse. — Eden ! Je me retourne. Ma tante tend les bras dans ma direction. — Tante Clara ! J’attrape ses mains tandis qu’elle m’embrasse sur le front. — Si je ne dis pas de bêtises, il me semble que des félicitations s’imposent, dit-elle une lueur espiègle dans le regard. Comment te sens-tu ? — Comme dans un rêve, je réponds franchement. — Tant mieux. Je m’empresse d’ajouter : — Cependant, je me pose tout de même quelques questions. Un sourire compréhensif étire ses lèvres : — Viens. M’assurant à ce que nous ne soyons pas vues, je la suis jusqu’à la grande bibliothèque où nous nous asseyons près de la cheminée dans laquelle crépite un feu. Ma tante se penche vers moi : — Que veux-tu savoir ? — Je ne sais pas par où commencer, j’admets. Son visage grimace, puis s’éclaire. — Je pense avoir une petite idée. Elle se lève et s’approche des grandes bibliothèques. Ses yeux parcourent les étagères. Après avoir feuilleté quelques livres, elle en choisit un et revient s’asseoir face à moi. — Regarde-ça. J’attrape le livre qu’elle me tend. Mes yeux se posent sur le portrait d’un homme au regard à la fois séduisant et intimidant. Son sourire narquois lui donne un côté quelque peu suffisant. En dessous il est écrit : Michael Folley, vingt ans. Je lève les yeux, intriguée. — Qui est-ce ? — Ton père biologique. Surprise, je lâche le livre que je m’empresse de ramasser, les mains tremblantes. Je contemple à nouveau le visage tentant de voir s’il y a une quelconque ressemblance physique entre lui et moi. Hormis les yeux d’un bleu océan et une partie des traits du visage, pas vraiment. Je ferme le livre et le pose sur la petite table. — Où est-il à l’heure actuelle ? je demande aussi calmement que possible. — Personne ne le sait. La dernière fois que quelqu’un l’a localisé remonte à la nuit où ta mère et toi êtes arrivées par la fontaine. Un frisson glacé me parcourt l’échine à l’entente de ces mots. Bien que cela remonte à dix ans, il me suffit de fermer les yeux pour revoir les flammes et entendre les cris de détresse, mêlés aux bruits d’explosion. — C’est donc de lui dont ma mère parlait, c’est ça ? C’est à cause de lui que nous avons dû quitter notre royaume ? — Vous n’avez jamais eu de royaume, me corrige ma tante. — Mais pourtant, nous… — Vous étiez traitées comme des personnes de haut rang, oui. Mais cela est dû au fait que ta mère était la sœur de ton oncle et que, futée comme elle est, elle avait réussi à passer des accords pour vous organiser une garde personnelle par ses propres moyens. — Le monde des humains ? je répète perdue. — Oui. Ce que ta mère a fait passer pour le royaume de Californie, n’est rien d’autre qu’un des cinquante états… — Qui constituent les Etats-Unis, je l’interromps. Elle acquiesce. — Aucun de ces états n’est un pays ou un royaume en lui-même. Je vois. — Qu’en est-il d’oncle Clayton ? Et même de la Reine Awen ? — Ils sont bien à la tête de royaumes. Ton oncle à la tête du royaume de Tir Nan Elves et ta future belle-mère à la tête de celui de Tir nam Madadh-Allaidh. Il existe également un troisième royaume : Tir Nam Bean Si. (Elle s’humecte les lèvres.) Trois royaumes, trois îles. Chacune réparti à un endroit différent du globe, de façon à former un triangle. — Les humains en ont-ils connaissance ? je l’interroge. — Non, à l’exception de quelques privilégiés, notamment des hommes et femmes politiques, et des Sealgairean Sgoinneil. Les Grands Chasseurs, si tu préfères. Ils existent depuis des générations et sont répartis sur chacun des continents. Heureusement pour nous, ils n’ont jamais réussi à accéder à l’un de nos royaumes, invisibles aussi bien à leurs yeux qu’à ceux des autres humains. Néanmoins, ils ont toujours su où chercher quand les nôtres s’aventuraient dans leur monde. Les Grands Chasseurs vouent une véritable haine aux personnes comme nous. — S’ils nous vouent une telle haine, pourquoi mon père a-t-il été avec ma mère ? — Parce qu’il ne savait pas qui elle était lorsqu’il l’a rencontrée. Et réciproquement. Ta mère a toujours été fascinée par le monde des humains. Ton oncle et tes grands-parents ont beau avoir essayé de l’en dissuader, dès sa majorité, elle a décidé de laisser notre monde derrière elle pour découvrir celui des humains de plus près. — Laissez-moi deviner : c’est comme ça qu’elle a rencontré mon père. — Exactement. Je me lève de mon fauteuil et vais me placer près de l’une des grandes fenêtres. Au dehors, la lumière de la lune éclaire quelques invités qui prennent l’air sur la grande terrasse et dans les jardins. J’appuie ma tête contre l’un des carreaux frais et pousse un soupir. Je comprends mieux pourquoi certains étaient contre mes fiançailles avec Aikon. — Comment mon père a-t-il compris que ma mère n’était pas une simple humaine ? (Je me tourne vers ma tante, sourcils froncés.) Qu’est-elle d’ailleurs ? — Ta mère est une princesse de la famille Cranham de Tir Nam Elves, royaume des elfes. Ton père l’a compris le jour où elle lui a annoncé qu’elle attendait un enfant. Portée par l’enthousiasme, elle ne s’est pas méfiée du fait qu’il pouvait être l’un de nos ennemis et elle lui a tout révélé à son sujet. Je ferme les yeux. Quelle idiotie. Ma tante poursuit : — Sans grande surprise, Michael a vite fait courir le bruit auprès des autres Grands Chasseurs, qui se sont mis en tête d’emprisonner ta mère et d’attendre ta naissance afin de se servir de vous deux pour arriver jusqu’à nous. Heureusement, elle a pu compter sur l’armée de ton oncle et celle du Roi Dai, le défunt époux de la Reine Awen, elle-même issue d’une grande famille de Tir Nam Elves, pour lui venir en aide. — Comment… Je suis interrompue par des coups donnés à la porte. Ma tante s’empresse d’aller ouvrir. L’un des nombreux gardes du palais se tient dans l’embrasure. — Sa Majesté le Roi Clayton et son Altesse Royale le Prince Aikon se demandaient où vous étiez, nous informe-t-il. — Dites-leur que nous venons tout de suite. — Bien, Majesté. Il nous salue d’un signe de tête et se retire. Ma tante me jette un coup d’œil par-dessus son épaule. Je la rejoins à contre cœur. — Nous poursuivrons cette conversation, me promet-elle. Tandis que nous nous dirigeons vers la salle de bal, je fais un récapitulatif mental de tout ce que nous venons de dire. Chose que je ne savais pas jusqu’à ce soir : les elfes existent. Ma mère, princesse de la maison Cranham, est l’une des leurs. Mon père, quant à lui, est un chasseur de je ne sais trop quoi. Le mépris de certains à mon égard n’est donc pas tant dû à mon côté demi-humaine qu’au fait que je suis sa fille. Qui plus est, une hum-elfe sur le point d’épouser le prince héritier de la maison Gwynfor. En d’autres mots, il va falloir que je fasse doublement mes preuves. ** ** ** ** **
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