Chapter 7

3048 Mots
CHAPITRE VISa Majesté le roi Louis TreizièmeL’affaire fit grand bruit, M. de Tréville gronda beaucoup tout haut contre ses mousquetaires et les félicita tout bas, mais comme il n’y avait pas de temps à perdre pour prévenir le roi, M. de Tréville s’empressa de se rendre au Louvre. Il était déjà trop tard, le roi était enfermé avec le cardinal, et l’on dit à M. de Tréville que le roi travaillait et ne pouvait recevoir en ce moment. Le soir M. de Tréville vint au jeu du roi. Le roi gagnait, et comme Sa Majesté était fort avare, elle était d’excellente humeur ; aussi, du plus loin que le roi aperçut Tréville : – Venez ici, M. le capitaine, dit-il, venez, que je vous gronde ; savez-vous que Son Éminence est venue me faire des plaintes sur vos mousquetaires, et cela, avec une telle émotion, que ce soir Son Éminence en est malade. Ah çà, mais ce sont des diable-à-quatre, des gens à pendre, que vos mousquetaires ! – Non, sire, répondit Tréville, qui vit du premier coup comment la chose allait tourner ; non, tout au contraire, ce sont de bonnes créatures, douces comme des agneaux, et qui n’ont qu’un désir, je m’en ferai garant : c’est que leur épée ne sorte du fourreau que pour le service de Votre Majesté. Mais que voulez-vous, les gardes de M. le cardinal sont sans cesse à leur chercher querelle, et, pour l’honneur même du corps, les pauvres jeunes gens sont obligés de se défendre. – Écoutez M. de Tréville, dit le roi, écoutez-le. Ne dirait-on pas qu’il parle d’une communauté religieuse ? En vérité, mon cher capitaine, j’ai envie de vous ôter votre brevet et de le donner à Mlle de Chemerault, à laquelle j’ai promis une abbaye. Mais ne pensez pas que je vous croirai ainsi sur parole. On m’appelle Louis-le-Juste, M. de Tréville, et tout à l’heure, tout à l’heure, nous verrons. – Ah ! c’est parce que je me fie à cette justice, sire, que j’attendrai patiemment et tranquillement le bon plaisir de Votre Majesté. – Attendez donc, monsieur, attendez donc, dit le roi, je ne vous ferai pas longtemps attendre. En effet la chance tournait, et comme le roi commençait à perdre ce qu’il avait gagné, il n’était pas fâché de trouver un prétexte pour faire, – qu’on nous passe cette expression de joueur, dont, nous l’avouons, nous ne connaissons pas l’origine pour faire Charlemagne. Le roi se leva donc au bout d’un instant, et mettant dans sa poche l’argent qui était devant lui et dont la majeure partie venait de son gain : – La Vieuville, dit-il, prenez ma place ; il faut que je parle à M. de Tréville pour affaire d’importance. Ah !… J’avais quatre-vingts louis devant moi. Mettez la même somme, afin que ceux qui perdent n’aient point à se plaindre. La justice avant tout. Puis, se retournant vers M. de Tréville et marchant avec lui vers l’embrasure d’une fenêtre : – Eh bien ! monsieur, continua-t-il, vous dites que ce sont les gardes de l’Éminentissime qui ont été chercher querelle, à vos mousquetaires ? – Oui, sire, comme toujours. – Et comment la chose est-elle venue, voyons ? car vous le savez, mon cher capitaine, il faut qu’un juge écoute les deux parties. – Ah mon Dieu ! de la façon la plus simple et la plus naturelle. Trois de mes meilleurs soldats, que Votre Majesté connaît de nom, dont elle a plus d’une fois apprécié le dévouement, et qui ont, je puis l’affirmer au roi, son service fort à cœur ; trois de mes meilleurs soldats, dis-je, MM. Athos, Porthos et Aramis, avaient fait une partie avec un cadet de Gascogne que je leur avais recommandé le matin même. La partie allait avoir lieu à Saint-Germain, je crois, et ils s’étaient donné rendez-vous aux Carmes-Deschaux, lorsqu’elle fut troublée par MM. de Jussac, Cahusac, Biscarat, et deux autres gardes qui ne venaient certes pas là en si nombreuse compagnie sans mauvaise intention contre les édits. – Ah ! ah ! vous m’y faites penser, dit le roi ; sans doute ils venaient pour se battre eux-mêmes. – Je ne les accuse pas, sire, mais je laisse Votre Majesté apprécier ce que peuvent aller faire cinq hommes armés dans un lieu aussi désert que le sont les environs du couvent des Carmes. – Oui, vous avez raison, Tréville vous avez raison. – Alors, quand ils ont vu mes mousquetaires, ils ont changé d’idée et ils ont oublié leur haine particulière pour la haine de corps ; car, Votre Majesté n’ignore pas que les mousquetaires, qui sont tout au roi et rien qu’au roi, sont les ennemis naturels des gardes, qui sont à M. le cardinal. – Oui, Tréville, oui, dit le roi mélancoliquement, et c’est bien triste, croyez-moi, de voir ainsi deux partis en France, deux têtes à la royauté ; mais tout cela finira, Tréville, tout cela finira. Vous dites donc que les gardes ont cherché querelle aux mousquetaires. – Je dis qu’il est probable que les choses se sont passées ainsi, mais je n’en jure pas, sire. Vous savez combien la vérité est difficile à connaître, et à moins d’être doué de cet instinct admirable qui a fait nommer le fils d’Henri IV Louis-le-Juste… – Et vous avez raison, Tréville ; mais ils n’étaient pas seuls, vos mousquetaires, il y avait avec eux un enfant. – Oui, sire, et un homme blessé, de sorte que trois mousquetaires du roi, dont un blessé et un enfant, non seulement ont tenu tête à cinq des plus terribles gardes de monsieur le cardinal, mais encore en ont porté quatre à terre. – Mais c’est une victoire, cela ! s’écria le roi tout rayonnant ; une victoire complète ! Oui, sire, aussi complète que celle du pont de Cé. – Quatre hommes ! dont un blessé, et un enfant, dites-vous ? – Un jeune homme à peine ; lequel s’est même si parfaitement conduit en cette occasion, que je prendrai la liberté de le recommander à Sa Majesté. – Comment s’appelle-t-il ? – D’Artagnan, sire. C’est le fils d’un de mes plus anciens amis ; le fils d’un homme qui a fait avec le roi votre père ; de glorieuse mémoire, la guerre de partisan. – Et vous dites qu’il s’est bien conduit, ce jeune homme ? Racontez-moi cela, Tréville ; vous savez que j’aime les récits de guerre et de combats. Et le roi Louis XIII releva fièrement sa moustache en se posant sur la hanche. – Sire, reprit Tréville, comme je vous l’ai dit, M. d’Artagnan est presque un enfant, et comme il n’a pas l’honneur d’être mousquetaire, il était en habit bourgeois ; les gardes de M. le cardinal, reconnaissant sa grande jeunesse, et de plus qu’il était étranger au corps, l’invitèrent donc à se retirer avant qu’ils n’attaquassent. – Alors, vous voyez bien, Tréville, interrompit le roi, que ce sont eux qui ont attaqué. – C’est juste, sire ; ainsi plus de doute ; ils le sommèrent donc de se retirer, mais lui répondit qu’il était mousquetaire de cœur et tout à Sa Majesté, qu’ainsi donc il resterait avec messieurs les mousquetaires. – Brave jeune homme ! murmura le roi. – En effet, il demeura avec eux, et Votre Majesté a là un si ferme champion, que ce fut lui qui donna à Jussac ce terrible coup d’épée qui met si fort en colère M. le cardinal. – C’est lui qui a blessé Jussac ? s’écria le roi ; lui un enfant. Ceci, Tréville, c’est impossible. – C’est comme j’ai l’honneur de le dire à Votre Majesté. – Jussac, une des meilleures lames du royaume ! – Eh bien ! sire, il a trouvé son maître. – Je veux voir ce jeune homme, Tréville, je veux le voir, et si l’on en peut faire quelque chose, eh bien ! nous nous en occuperons. – Quand Votre Majesté daignera-t-elle le recevoir ? – Demain à midi, Tréville. – L’amènerai-je seul ? – Non, amenez-les-moi tous les quatre ensemble. Je veux les remercier tous à la fois ; les hommes dévoués sont rares, Tréville, et il faut récompenser le dévouement. – À midi, sire, nous serons au Louvre. – Ah ! par le petit escalier, Tréville, par le petit escalier. Il est inutile que le cardinal sache… – Oui, sire. – Vous comprenez, Tréville, un édit est toujours un édit, il est défendu de se battre, au bout du compte. – Mais cette rencontre, sire, sort tout à fait des conditions ordinaires d’un duel, c’est une rixe, et la preuve c’est qu’ils étaient cinq gardes du cardinal contre mes trois mousquetaires et M. d’Artagnan. – C’est juste, dit le roi, mais n’importe, Tréville, venez toujours par le petit escalier. Tréville sourit, mais comme c’était déjà beaucoup pour lui d’avoir obtenu de cet enfant qu’il se révoltât contre son maître, il salua respectueusement le roi, et avec son agrément prit congé de lui. Dès le soir même, les trois mousquetaires furent prévenus de l’honneur qui leur était accordé. Comme ils connaissaient depuis longtemps le roi, ils n’en furent pas trop échauffés, mais d’Artagnan, avec son imagination gasconne, y vit sa fortune à venir et passa la nuit à faire des rêves d’or. Aussi dès huit heures du matin était-il chez Athos. D’Artagnan trouva le mousquetaire tout habillé et prêt à sortir. Comme on n’avait rendez-vous chez le roi qu’à midi, il avait formé le projet avec Porthos et Aramis d’aller faire une partie de paume dans un tripot situé tout près des écuries du Luxembourg. Athos invita d’Artagnan à les suivre, et malgré son ignorance de ce jeu, auquel il n’avait jamais joué, celui-ci accepta, ne sachant que faire de son temps depuis neuf heures du matin, qu’il était à peine, jusqu’à midi. Les deux mousquetaires étaient déjà arrivés et pelotaient ensemble. Athos, qui était très fort à tous les exercices du corps, passa avec d’Artagnan du côté opposé et leur fit défi. Mais au premier mouvement qu’il essaya, quoiqu’il jouât de la main gauche, il comprit que sa blessure était encore trop récente pour lui permettre un pareil exercice. D’Artagnan resta donc seul, et comme il déclara qu’il était trop maladroit pour soutenir une partie en règle, on continua seulement à s’envoyer des balles sans compter le jeu. Mais une de ces balles, lancée par le poignet herculéen de Porthos, passa si près du visage de d’Artagnan, qu’il pensa que si, au lieu de passer à côté, elle eût donné dedans, son audience était perdue, attendu qu’il lui eût été probablement de toute impossibilité de se présenter chez le roi. Or comme de cette audience, dans son imagination gasconne, dépendait tout son avenir, il salua poliment Porthos et Aramis, déclarant qu’il ne continuerait la partie que lorsqu’il serait en état de leur tenir tête, et il s’en revint prendre place près de la corde et dans la galerie. Malheureusement pour d’Artagnan, parmi les spectateurs se trouvait un garde de Son Éminence, lequel, tout échauffé encore de la défaite de ses compagnons, arrivée la veille seulement, s’était promis de saisir la première occasion de la venger. Il crut donc que cette occasion était venue, et s’adressant à son voisin : – Il n’est étonnant, dit-il, que ce jeune homme ait eu peur d’une balle ; c’est sans doute un apprenti mousquetaire. D’Artagnan se retourna comme si un serpent l’eût mordu, et regarda fixement le garde qui venait de tenir cet insolent propos. – Pardieu ! reprit celui-ci en frisant insolemment sa moustache, regardez-moi tant que vous voudrez, mon petit monsieur ; j’ai dit ce que j’ai dit. – Et comme ce que vous avez dit est trop clair pour que vos paroles aient besoin d’explication, répondit d’Artagnan à voix basse, je vous prierai de me suivre. – Et quand cela ? demanda le garde avec le même air railleur. – Tout de suite, s’il vous plaît. – Ah !… Vous savez qui je suis, sans doute ? – Moi ? je l’ignore complètement et je ne m’en inquiète guère. – Et vous avez tort, car si vous saviez mon nom, peut-être seriez-vous moins pressé. – Comment vous appelez-vous ? – Bernajoux, pour vous servir. – Eh bien ! monsieur Bernajoux, dit tranquillement d’Artagnan, je vais vous attendre sur la porte. – Allez, monsieur, je vous suis. – Ne vous pressez pas trop, monsieur, qu’on ne s’aperçoive pas que nous sortons ensemble ; vous comprenez que pour ce que nous allons faire, trop de monde nous gênerait. – C’est bien, répondit le garde, étonné que son nom n’eût pas produit plus d’effet sur le jeune homme. En effet, le nom de Bernajoux était connu de tout le monde, de d’Artagnan seul excepté peut-être, car c’était un de ceux qui figuraient le plus souvent dans les rixes journalières que les édits du roi et du cardinal n’avaient pu réprimer. Porthos et Aramis étaient si occupés de leur partie, et Athos les regardait avec tant d’attention, qu’ils ne virent pas même sortir leur jeune compagnon, lequel, ainsi qu’il l’avait dit au garde de Son Éminence, s’arrêta sur la porte ; un instant après, celui-ci descendit à son tour. Comme d’Artagnan n’avait pas de temps à perdre, vu l’audience du roi, qui était fixée à midi, il jeta les yeux autour de lui, et voyant que la rue était déserte : – Ma foi, monsieur, dit-il à son adversaire, il est bien heureux pour vous, quoique vous vous appeliez Bernajoux, de n’avoir affaire qu’à un apprenti mousquetaire ; cependant, soyez tranquille, je ferai de mon mieux. En garde ! Mais, dit celui que d’Artagnan provoquait ainsi il me semble que le lieu est assez mal choisi, et que nous serions mieux derrière l’abbaye Saint-Germain ou dans le Pré-aux-Clercs. – Ce que vous dites est plein de sens, répondit d’Artagnan ; malheureusement j’ai peu de temps à moi, ayant un rendez-vous à midi juste. En garde donc, monsieur, en garde ! Bernajoux n’était pas homme à se faire répéter deux fois un pareil compliment. Au même instant son épée brilla à sa main, et il fondit sur son adversaire, que, grâce à sa grande jeunesse, il espérait intimider. Mais d’Artagnan avait fait la veille son apprentissage, et tout frais émoulu de sa victoire, tout gonflé de sa future faveur, il était résolu à ne pas reculer d’un pas : aussi les deux fers se trouvèrent-ils engagés jusqu’à la garde, et comme d’Artagnan tenait ferme à sa place, ce fut son adversaire qui fit un pas de retraite. Mais d’Artagnan saisit le moment où, dans ce mouvement, le fer de Bernajoux déviait de la ligne, il dégagea, se fendit et toucha son adversaire à l’épaule. Aussitôt, il fit, à son tour, un pas de retraite et releva son épée ; mais Bernajoux lui cria que ce n’était rien, et se fendant aveuglément sur lui, il s’enferra de lui-même. Cependant, comme il ne tombait pas, comme il ne se déclarait pas vaincu, mais que seulement il rompait du côté de l’hôtel de M. de la Trémouille, au service duquel il avait un parent, d’Artagnan, ignorant lui-même la gravité de la dernière blessure que son adversaire avait reçue, le pressait vivement, et sans doute allait l’achever d’un troisième coup, lorsque la rumeur qui s’élevait de la rue s’étant étendue jusqu’au jeu de paume, deux des amis du garde, qui l’avaient entendu échanger quelques paroles avec d’Artagnan, et qui l’avaient vu sortir à la suite de ces paroles, se précipitèrent l’épée à la main hors du tripot et tombèrent sur le vainqueur. Mais aussitôt Athos, Porthos et Aramis parurent à leur tour, et au moment où les deux gardes attaquaient leur jeune camarade, les forcèrent à se retourner. – En ce moment, Bernajoux tomba, et comme les gardes étaient deux seulement contre quatre, ils se mirent à crier : « À nous, l’hôtel de la Trémouille ! » À ces cris, tout ce qui était dans l’hôtel sortit, se ruant sur les quatre compagnons, qui de leur côté se mirent à crier : « À nous, mousquetaires ! » Ce cri était ordinairement entendu, car on savait les mousquetaires ennemis de Son Éminence, et on les aimait pour la haine qu’ils portaient au cardinal. Aussi les gardes des autres compagnies que celles appartenantes au duc Rouge, comme l’avait appelé Aramis, prenaient-ils en général parti dans ces sortes de querelles pour les mousquetaires du roi. De trois gardes de la compagnie de M. des Essarts qui passaient, deux vinrent donc en aide aux quatre compagnons, tandis que l’autre courait à l’hôtel de M. de Tréville, criant : « À nous, mousquetaires, à nous ! » Comme d’habitude l’hôtel de M. de Tréville était plein de soldats de cette arme qui accoururent au secours de leurs camarades ; la mêlée devint générale, mais la force était aux mousquetaires ; les gardes du cardinal et les gens de M. de la Trémouille se retirèrent dans l’hôtel, dont ils fermèrent les portes assez à temps pour empêcher que leurs ennemis n’y fissent irruption en même temps qu’eux. Quant au blessé, il y avait été tout d’abord transporté, et comme nous l’avons dit, en fort mauvais état. L’agitation était à son comble parmi les mousquetaires et leurs alliés, et l’on délibérait déjà si, pour punir l’insolence qu’avaient eue les domestiques de M. de la Trémouille, de faire une sortie sur les mousquetaires du roi, on ne mettrait pas le feu à son hôtel. La proposition en avait été faite et accueillie avec enthousiasme, lorsque heureusement onze heures sonnèrent ; d’Artagnan et ses compagnons se souvinrent de leur audience, et comme ils eussent regretté que l’on fît un si beau coup sans eux, ils parvinrent à calmer les têtes. On se contenta donc de jeter quelques pavés dans les portes, mais les portes résistèrent ; alors on se lassa. D’ailleurs, ceux qui devaient être regardés comme les chefs de l’entreprise avaient depuis un instant quitté le groupe et s’acheminaient vers l’hôtel de M. de Tréville, qui les attendait, déjà au courant de cette nouvelle algarade. – Vite, au Louvre, dit-il, au Louvre sans perdre un instant, et tâchons de voir le roi avant qu’il soit prévenu par le cardinal ; nous lui raconterons la chose comme une suite de l’affaire d’hier, et les deux passeront ensemble. M. de Tréville, accompagné des quatre jeunes gens, s’achemina donc vers le Louvre, mais au grand étonnement du capitaine des mousquetaires, on lui annonça que le roi était allé courre le cerf dans la forêt de Saint-Germain. M. de Tréville se fit répéter deux fois cette nouvelle, et à chaque fois ses compagnons virent son visage se rembrunir. – Est-ce que Sa Majesté, demanda-t-il, avait dès hier le projet de faire cette chasse ? – Non, Votre Excellence, répondit le valet de chambre, c’est le grand veneur qui est venu lui annoncer ce matin qu’on avait détourné cette nuit un cerf à son intention. Le roi a d’abord répondu qu’il n’irait pas, puis il n’a pas su résister au plaisir que lui promettait cette chasse, et après le dîner il est parti. – Et le roi a-t-il vu le cardinal ? demanda M. de Tréville. – Selon toute probabilité, répondit le valet de chambre, car j’ai vu ce matin les chevaux au carrosse de Son Éminence j’ai demandé où elle allait, et l’on m’a répondu : À Saint-Germain. – Nous sommes prévenus, dit M. de Tréville. Messieurs, je verrai le roi ce soir, mais quant à vous, je ne vous conseille pas de vous y hasarder. L’avis était trop raisonnable et surtout venait d’un homme qui connaissait trop bien le roi pour que les quatre jeunes gens essayassent de le combattre. M. de Tréville les invita donc à rentrer chacun chez eux et à attendre de ses nouvelles. En rentrant à son hôtel, M. de Tréville songea qu’il fallait prendre date en portant plainte le premier. Il envoya un de ses domestiques chez M. de la Trémouille avec une lettre dans laquelle il le priait de mettre hors de chez lui le garde de M. le cardinal et de réprimander ses gens de l’audace qu’ils avaient eue de faire leur sortie contre les mousquetaires. Mais M. de la Trémouille, déjà prévenu par son écuyer, dont, comme on le sait, Bernajoux était le parent, lui fit répondre que ce n’était ni à M. de Tréville ni à ses mousquetaires de se plaindre, mais bien au contraire à lui, dont les mousquetaires avaient chargé et blessé les gens et avaient voulu brûler l’hôtel. Or, comme le débat entre ces deux seigneurs eût pu durer longtemps, chacun devant naturellement s’entêter dans son opinion, M. de Tréville avisa un expédient qui avait pour but de tout terminer : c’était d’aller trouver lui-même M. de la Trémouille.
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