Le courant d’Huchet-1

2040 Mots
Le courant d’Huchet Sur une petite barque en bois, Laërry, debout, fait avancer son embarcation à l’aide d’un long bâton noir. Il regarde autour de lui le décor qui l’environne. Sa mission : repérer une certaine plante vivant dans les marais. Sur la gauche, des nénuphars jaunes flottent à la surface de l’eau. À l’approche de la partie marécageuse du cours d’eau, Laërry ralentit. Comme le lui a expliqué Maître Long avant son départ, à un endroit précis aux abords de la rive droite du courant des fleurs sagittaires émergent en groupe, aussi appelées flèches d’eau en raison de leurs formes. Il faudra parcourir environ deux kilomètres pour enfin les apercevoir. Comme prévu, en arrière-plan, un énorme arbre au tronc suffisamment large pour faire passer un homme se trouve là supportant le poids des années. Pour s’y rendre, Laërry doit se rapprocher de la rive. Avec les Sagittaire au-devant, ce sera difficile, mais il doit y arriver. Son bâton enfoncé aussi fort que possible dans l’eau, Laërry à l’aide de ses bras cherche à avancer un maximum. Même s’il a dû écraser les fleurs avec sa barque, il est content d’y être parvenu. D’un bond, il saute sur un sol trempé, la semelle de ses chaussures en devient marron. À chacun de ses pas, ses pieds s’enfoncent de plusieurs centimètres ralentissant sa progression vers le passage menant à « son temple ». L’arbre en question, un chêne haut comme un immeuble de trois étages, un tronc large comme une voiture, toutes racines dehors, reste là à se laisser admirer par les quelques personnes qui se promènent dans les environs. Aujourd’hui, il n’y a que Laërry et c’est une chance pour lui. Il peut aller et venir comme il le désire, personne ne soupçonnera pourquoi il tourne autour de cet arbre. Après trois tours, Laërry remarque une petite brèche dans le tronc au niveau de ses genoux. Voilà pourquoi il ne l’a pas remarqué auparavant, il ne lui est pas venu à l’idée de regarder à cette hauteur. En s’agenouillant, il frôle doucement avec ses doigts épais la fissure qui est aussi large qu’un pouce. Au contact, celle-ci s’agrandit petit à petit jusqu’à ce qu’apparaisse une ouverture assez large, mais pas assez haute pour laisser passer un homme. Laërry, les yeux grands ouverts regardent attentivement la métamorphose du tronc d’arbre. Sa main est restée figée dans l’air, elle n’a pas bougé. Elle est comme paralysée d’étonnement et d’effroi. Le surnaturel ne faisait pas partie de son apprentissage avec Maître Long. Le jeune garçon ne sait plus quoi faire. Peut-il passer le bras dans cette énorme brèche sans être certain que celle-ci ne se referme pas d’un coup sec sur son avant-bras ? Le seul moyen de le savoir est de tenter l’expérience. Il cherche furtivement du coin de l’œil un bâton posé quelque part sur le sol près de lui. Par chance, il en trouve un aussi large que son bras. Doucement, il avance son rondin de bois cylindrique vers l’embouchure. Rien ne se passe. Ses craintes ne sont pas justifiées. Il pense donc pouvoir passer à l’intérieur sans se faire décapiter en aussi peu de temps qu’il le faut pour le dire. L’intérieur est plutôt sombre, même avec la clarté du soleil il lui est impossible de discerner ce qui se trouve juste devant lui. Gardant tout de même les yeux ouverts, il engage toute sa personne à l’intérieur. Une fois passés les pieds, les parois de l’arbre s’illuminent d’une lumière opaque. Juste ce qu’il faut pour permettre à Laërry d’avancer sans se cogner et s’écorcher au moindre mouvement brusque. Il lui faudra ramper sur plusieurs mètres, ce qui ne le dérange guère. Avant de commencer son parcours, il décide de jeter un dernier coup d’œil vers l’extérieur. Sa tête pivote légèrement sur la droite, là où il y a le plus d’espace. Sans s’y attendre, l’ouverture par laquelle il est passé se referme dans un silence de mort à faire blanchir de peur quiconque serait dans cette situation. Laërry se dit qu’il vient de passer le point de non-retour. Il ne sait pas du tout ce qui l’attend plus loin, mais il est bien déterminé à y aller. La tête baissée comme un taureau dans une arène, prêt à charger, il avance rapidement. À quelques mètres de là, le tunnel s’élargit, laissant certainement place à une grande salle. Il lui faudra d’abord descendre une centaine de marches avant de pouvoir l’atteindre. Avançant sans aucune prétention le jeune garçon craint une mauvaise surprise. Il ne sait comment cette appréhension a pu émerger, mais il sent un danger imminent. Après avoir rampé un peu plus loin, Laërry se trouve en haut d’une série de marches d’escalier. C’est une aubaine qu’il ne soit pas sujet aux vertiges, car la descente est rude et impressionnante. Le plafond en bois de chêne au-dessus de sa tête a disparu. Il en profite pour se redresser de tout son mètre quatre-vingt-sept. Un coup d’œil vers le bas lui fait légèrement tourner la tête pendant un quart de seconde. Enfin, il décide de poser son pied gauche sur la première marche. Il le choisit par superstition, il se dit que cela devrait lui porter chance. Au bout de cinquante marches, ce qui équivaut à la moitié de l’escalier, des craquements se font entendre tout autour de lui. En une seconde, elles se dérobent sous ses pieds. Laërry est contraint de descendre assis, sur un long toboggan en bois. Plus bas, il remarque que sa chute sera stoppée par des pieux bien aiguisés dont la pointe est dirigée dans sa direction. Il a très peu de temps pour trouver comment ne pas finir en brochette. La peur se lit sur son visage : ses sourcils en forme de V, son regard affolé. Laërry réfléchit. Dans son dos, il sent le toboggan faire des petites vagues lui saccadant la respiration, des échardes de temps à autre s’enfoncent entre les mailles de ses vêtements. La glissade infernale paraît durer une éternité, pourtant la progression vers les piquets est rapide. En contrebas, un petit plateau introduit dans le mur d’en face est assez large pour pouvoir se poser dessus. Il n’est qu’à quelques centimètres de la source mortelle, mais il est possible avec un bon élan de s’y projeter. Heureusement, son Maître lors d’entraînements lui a appris à sauter d’une rive à une autre de la rivière qui est en contre bas de la maison de ses parents. Laërry prenant son courage à deux mains et concentrant toute sa force tente d’avoir une assise plus stable malgré la descente sinueuse. Ses paumes contre le bois, ses pieds à plat, il attend d’être assez près pour pouvoir sauter de l’autre côté, sur le plateau de fortune qui s’offre à lui. Plus que trois secondes, son approche est imminente. Pas moins de deux secondes, il se dit qu’il ne faut surtout pas qu’il s’énerve, cela pourrait tout gâcher. Il est à une seconde, ses doigts de pied se durcissent prêts à supporter ses quatre-vingt-dix-huit kilos de muscles. D’un seul effort, il appuie fortement sur ses pieds. Avec ses mains, il s’aide à se projeter en avant à une distance qui doit bien être de cinq ou six mètres. Laërry est suspendu dans le vide comme un linge étendu à un fil. Grâce à ses dix doigts, il arrive à se cramponner à la plate-forme de toutes ses forces. Ses jambes se balancent d’avant en arrière pour se donner assez d’élan afin de réussir à s’élancer sur le plateau. Après plusieurs essais, le jeune homme se heurte à un pieu qui lui égratigne le mollet. La douleur faisant place à l’instinct de survie Laërry ne sent rien. Il continue ses mouvements cadencés jusqu’à réussir à accrocher fermement ses jambes sur la plate-forme. Ses bras tendus se plient jusqu’à soulever le reste de son corps. Une fois debout, Laërry regarde derrière lui le toboggan duquel il a chuté. Baissant le regard, il peut discerner de plus près l’étendue du piège mortel qui l’attendait. Des perles de sueur glissent le long de ses joues. Ses cheveux trempés lui collent au visage. Sous les bras une auréole de transpiration a largement imprégné sa chemise en lin couleur indigo. En s’essuyant, le front avec le dessus de sa main Laërry a une petite pensée pour sa mère qui doit être en ce moment folle d’inquiétude. Il l’imagine assise dans sa cuisine tenant fébrilement une tasse de café, le regard perdu sur le mur en face d’elle. Sur la cloison, le jeune garçon le sait, son portrait est encadré depuis le jour de son départ. Son père vient à petits pas derrière elle lui chuchoter un message rassurant à l’oreille « Zabelle, ma chérie ne t’inquiète pas, ton fils va bien, il est fort et courageux, il va réussir », puis il pose délicatement un b****r sur sa joue pour l’apaiser. Laërry toujours debout, perdu dans ses pensées a une petite larme qui coule le long de sa joue jusqu’à finir sa route sur le sol poussiéreux de la plate-forme. À ce contact, une petite flaque d’eau se forme à ses pieds. Il se baisse pour toucher le fruit de sa tristesse de ne pas être avec sa mère. Son index plongé dans l’eau crée de petites ondes à peine perceptibles, provoquant un tremblement sous ses pieds. Laërry émet un juron. Il n’en revient pas, cela ne va pas recommencer. Il faut l’avouer, il commençait à être un peu fatigué par tout cet effort fourni. Tellement persuadé que tout va s’écrouler sous ses pieds, il reste sans voix devant la porte qui est en train de se matérialiser dans le mur face à lui. N’y croyant toujours pas, il avance vers celle-ci espérant que cela le mènera au pays des merveilles. Il n’a pas tort, car de l’autre côté le jeune garçon surplombe une forêt dense de plusieurs hectares. Il ne pourrait pas évaluer sa taille tant elle semble grande. La porte derrière lui se referme d’un coup le faisant sursauter. Il n’en croit pas ses yeux. Devant lui, d’énormes oiseaux volent dans un ciel bleu azur sans nuages. Il ne connaît pas cette race, mais il s’en moque. Ces oiseaux sont majestueux, ils lui offrent un spectacle extraordinaire. Ils donnent l’impression de danser en rythme. Chacun de leurs mouvements semble calculé au millimètre près. Jamais de toute sa courte vie, il n’a un jour imaginé voir une telle merveille. Un bruit tonitruant réveille Laërry du rêve fabuleux qu’il fait en observant le paysage. Baissant la tête, il voit sous ses pieds une cascade gigantesque, elle lui rappelle celle qu’il a pu voir une fois en avion avec son père vers la frontière du Brésil. C’était la cascade d’Iguasu Falls. S’il n’avait pas été en avion ce jour-là pour le voir, il n’aurait jamais pensé qu’une telle beauté puisse exister. Les gens de la ville, il s’en souvient très bien, l’appelaient « le pharynx du diable ». Malgré la hauteur, Laërry se surprend une fois de plus à ne pas avoir peur. Pourtant s’il devait comparer, cela revient à se trouver au sommet de la tour Eiffel. Les drôles d’oiseaux eux continuent de voler en une chorégraphie bien rythmée. Il doit bien y en avoir une dizaine. Leurs longues ailes les font ressembler à un condor. Vu la distance qui les sépare de Laërry, celui-ci à du mal à discerner de quelle sorte d’oiseau ils pourraient descendre. Plusieurs tours sur eux-mêmes et l’un d’eux s’approchent du jeune garçon. Instinctivement, Laërry recule. Si l’oiseau est un rapace carnivore, il ne donne pas cher de sa peau. L’animal bat des ailes en un mouvement lent. Il pivote de droite à gauche comme pour éviter des vents contraires. Ses gestes sont théâtral. Laërry se retrouve comme hypnotisé par ces battements. Son cœur qui bat la chamade reprend un rythme normal. Chacune de ses palpitations fonctionne à la même cadence que les impulsions d’ailes de l’oiseau rare. En moins de temps qu’il le faut pour le dire, Laërry n’est plus seul sur la plate-forme au-dessus de la grande cascade. Il ne s’en aperçoit qu’une fois que le museau de l’animal lui renifle le visage. Recouvrant à nouveau ses esprits, le jeune garçon pose un regard furtif sur la bête. À sa grande surprise, il reconnaît une licorne, une magnifique licorne avec des ailes blanches et un corps brillant. Ses petits yeux malins donnent confiance à Laërry. Il ne craint rien. Cet animal, qui comme le croit le jeune garçon fait partie d’un mythe, tournoie autour de son futur protégé. Avec ses narines, la licorne hume le corps du garçon des pieds à la tête, car il devra bientôt monter sur son dos pour se rendre au sanctuaire. Pour cela, la licorne vérifie que son âme est pure avant de l’y amener. Vérification faite, l’animal montre son dos à Laërry pour lui faire comprendre qu’il doit monter. Le jeune garçon levant un sourcil regarde la licorne, regarde le vide et sans hésitation fait un signe négatif de la tête. Il a bien compris que le seul moyen de descendre doit passer par les airs, mais pour lui il est hors de question qu’il grimpe sur le dos nu de l’animal.
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