II
Nos trois amis étaient entrés à l’Opéra et s’étaient installés dans une loge. Mais l’éclairage intérieur du beau monument de M. Garnier ne leur permettant pas de voir la pièce qu’ils n’avaient jamais eu d’ailleurs la prétention d’entendre, ils commencèrent à causer comme chez eux, mais tout bas, en gens bien élevés qui ne veulent troubler le sommeil de personne par des bruits inconvenants. C’est ainsi que, n’ayant pas vu sur l’affiche le changement de spectacle, tardivement annoncé, ils assistèrent à la Favorite, en croyant qu’on leur servait le Prophète.
C’est un des grands avantages de l’Opéra actuel que les métamorphoses de répertoire, toujours mal accueillies du public, puissent s’effectuer sans que celui-ci s’en doute un seul instant. Elles évitent au régisseur une démarche un peu ridicule. Seule l’administration, austère gardienne du cahier des charges, a sur sa scène des représentants armés de loupes très puissantes et des cornets acoustiques perfectionnés, grâce auxquels ils constatent l’identité de l’ouvrage donné chaque soir.
– J’ai un nouveau cas difficile à vous soumettre, mes compagnons, dit Blanc-Minot. Nous avons étudié ensemble le meilleur parti à prendre quand on surprend une dame inopinément dans les mystères de sa toilette ; et aussi avons-nous discuté sur ce qu’il convient de faire lorsqu’on a, par quelque s*t bavardage, instruit soi-même un mari du plaisir qu’on prend à le déshonorer. Mais croyez-vous que le parti à prendre soit beaucoup plus aisé quand on s’aperçoit qu’on est soi-même compendieusement trompé ? J’entends qu’on ne l’a pas seulement ouï-dire par des malveillants, mais qu’un hasard ou une fatalité vous boute le nez en plein dans votre infortune.
– Le fait est, répondit Jacques, que c’est un fichu moment. Je laisse la question de jalousie à part, puisque j’ai dit, ici même, pour quelles excellentes raisons je répudiais, d’une façon absolue, un sentiment indigne d’intérêt, puisqu’il a sa source non pas dans l’amour qui est l’immortelle excuse, mais dans l’amour-propre que je tiens pour une des plus grandes malpropretés humaines, pour une des sottises les moins pardonnables. Il n’en demeure pas moins, dans l’espèce, une douleur à surmonter, puisqu’il est toujours cruel d’être moins aimé qu’on ne l’espérait, et une attitude à prendre, au point de vue des préjugés sociaux. Il faut, avant tout, ne pas avoir l’air d’un serin.
– Té ! dit Féréol sans développer davantage sa pensée.