Chapitre 2

1252 Mots
Chapitre 2 — Merde ! fit Fortin. Les bleus. Manquait plus qu’eux ! Résigné, il marcha vers la porte d’entrée, constata qu’elle avait été refermée et tourna le verrou. — Qu’est-ce qui se passe ici ? demanda un gendarme en repoussant Fortin à l’intérieur. C’était un fort gaillard qui ne paraissait pas décidé à s’en laisser conter. Derrière lui, sur la terrasse, trois autres silhouettes de militaires se profilaient. — On s’amusait, marmonna Fortin d’un ton morne. Le gendarme outré secoua sa grosse tête comme s’il n’en croyait pas ses yeux. Il y avait un corps allongé sur le parquet, celui du tondu, la tête ensanglantée et les deux gentlemen qui avaient essayé de bloquer les bras de Fortin, avachis contre le mur, tentaient de retrouver leur souffle. Il sembla à Fortin que les femmes s’étaient, elles aussi, mises de la partie car des vêtements déchirés laissaient voir plus de peau qu’il n’est décent. Quant aux garçons, certains avaient des chemises lacérées, des visages tuméfiés. Finalement, c’était Fortin qui s’en tirait le mieux ; aussi l’adjudant commandant le groupe le regarda d’un air sévère : — Drôle de façon de s’amuser… Il regarda le tee-shirt de Fortin qui portait des traces de sang et demanda : — Vous êtes blessé ? — Non, dit Fortin. Le gendarme se pencha, renifla le vêtement de Fortin qui empestait le whisky et constata : — Vous avez bu ! — Non, dit Fortin contre toute vraisemblance. Devant cette dénégation d’une évidence, le gendarme secoua à nouveau la tête puis sembla se désintéresser de Fortin. Sans prononcer un mot, il fit le tour de la pièce, examinant les débris, reniflant verres et cendriers, attardant ses regards sur les protagonistes qui semblaient pétrifiés. — Tapage nocturne, coups et blessures, saccage d’un bien privé, consommation de drogue… énonça-t-il. ça va vous coûter cher. Il s’adressait à l’assistance en général, se réservant pour plus tard le soin de cibler les responsables. La jeune femme qui était intervenue pour essayer de calmer les esprits tenta de minimiser les choses : — On n’a rien fait de mal… Le gendarme répéta ironiquement : — Rien fait de mal… Non, vous avez juste un peu rectifié la décoration. Il faudra demander au propriétaire des lieux s’il était d’accord pour que vous transformiez son salon en ring ! — Justement, Monsieur, vous ne savez pas chez qui vous êtes ! C’était ce qu’il ne fallait pas dire. Le gendarme se raidit et, toisant la donzelle qui tentait de l’intimider en faisant allusion à ses relations, il jeta sèchement : — Je suis dans une villa appelée Kermanec’h où il se passe des choses pas catholiques ! Il tourna délibérément le dos à la jeune femme qui cherchait à se justifier et ordonna : — Embarquez-moi tout ça, et au trot ! Ses hommes n’attendaient que cet ordre pour entrer en action. Visiblement ils n’étaient pas novices dans ce genre d’action. Deux d’entre eux s’occupèrent de remettre sur pied les victimes collatérales tout en conseillant aux femmes de se couvrir décemment et à chacun d’emporter ses pièces d’identité. Fortin, contrarié de cette intrusion des gendarmes, se passa la main sur le menton. Il s’en voulait de s’être laissé embarquer dans cette histoire… Mais, comme disent les Anglais, il est vain de pleurer sur le lait renversé. On s’expliquerait au commissariat. Il vérifia que son portefeuille était bien dans la poche intérieure de son veston tout en s’avisant que décidément, ce soir-là, ces représentants de la bonne société ne paraissaient pas sous leur meilleur jour. Quant aux filles, si certaines avaient dépassé le quart de siècle, d’autres, dont la fille de son copain Béjy, sortaient tout juste de l’adolescence. Elles échangeaient des regards de biches effarées, se demandant probablement comment leurs parents réagiraient. L’adjudant, à qui rien n’échappait, prélevait les contenus des cendriers et des fonds de verres qu’il entreposait dans un grand sac plastique. Béjy, le visage marqué, s’approcha de Jipi. — Ben dis donc, dans quoi je t’ai entraîné ! Fortin leva les bras en un geste fataliste : — Heureusement que j’étais là ! Il regarda son copain : — Dis donc, on dirait que tu en as pris plein la gueule ! — Ces salauds me sont tombés dessus à trois, dit Béjy qui n’était pourtant pas une demi-portion. Fortin montra le tondu qui les regardait avec rancune. Son crâne saignait toujours. — Celui-là ? — Ouais, et le DJ, plus le petit con qui serrait ma fille de près. — Tu le connais ? — Ouais, c’est le fils du toubib, c’est lui l’homme à la Porsche. — Je l’avais retapissé, dit Fortin, je l’ai serré il n’y a pas longtemps pour une affaire de trafic de came. Béjy s’inquiéta : — Tu vas avoir des emmerdements à cause de moi ? Fortin lui tapota l’épaule : — Si Fabienne avait été violée par ces tarés, ça aurait été pire. Béjy eut un geste de colère : — Ah, celle-là, elle va m’entendre ! Fortin prit son camarade aux deux épaules et le regarda dans les yeux : — Béjy, dit-il avec solennité, tu vas me promettre une chose… — Laquelle ? — Ne lui fais pas de reproches. Béjy eut un geste d’impatience : — Tu es bon, toi ! On voit bien que ce n’est pas ta fille ! — Ce n’est pas ma fille, reconnut Fortin, mais ça aurait pu l’être… Se rendant compte de l’équivoque que pouvait sous-entendre cette phrase, il rectifia maladroitement : — Enfin, j’veux dire qu’elle a l’âge de mes filles ! — J’avais compris, dit Béjy. M’enfin tu ne vas pas me faire croire que tu n’aurais rien dit… Tu me fais marcher ! — Pas du tout. Je lui aurais dit que je l’aime et que je me suis fait un sang d’encre pour elle. — C’est pourtant vrai, reconnut-il. Je n’ai jamais été aussi angoissé que quand j’ai vu ma gosse entraînée par ce type, alors que les autres me maintenaient… Fortin ajouta, philosophe : — Comme dit Mary Lester, dans tout mal il y a un bien. — Je serais curieux de savoir où il est, le bien ! gronda Béjy un tantinet hargneux. — Il est que Fabienne a touché aux risques qu’elle encourait. — Je l’avais pourtant prévenue… — Rien ne vaut l’expérience, assura Fortin. Quand j’étais gosse, ma mère craignait toujours que je me brûle en touchant au fourneau. Et plus elle m’interdisait de m’en approcher, plus j’étais attiré par ce meuble mystérieux qui avait du feu dans son ventre. Un jour ma grand-mère m’a laissé faire et j’ai enfin pu toucher le fourneau. — Et alors ? — Eh bien je me suis brûlé ! Oh, pas profondément, une petite cloque au bout des doigts, mais qui m’a fait brailler comme un diable. Ma mère alarmée est accourue et a fait des reproches véhéments à ma grand-mère. Reproches immérités car, de ce jour, je ne me suis jamais plus approché du fourneau. Remplace le gamin que j’étais par Fabienne, dit Fortin, remplace le fourneau par l’homme à la Porsche… Tu as mis Fabienne en garde contre ce genre d’individu. En vain. Maintenant, elle s’est brûlée. Il te reste à la consoler, crois-moi, elle y regardera désormais à deux fois avant de se laisser prendre par ce genre ce coco. La colère de Béjy tomba instantanément. Il soupira : — Tu as peut-être raison… En tout cas, heureusement que tu étais là ! Il réfléchit et demanda : — Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? — Va donc chercher ta fille, conseilla Fortin, et embrasse-la. Il n’y a rien de plus urgent pour le moment. — Et nous ? — Il est probable que les bleus vont nous ramener à la gendarmerie où ils vérifieront nos papiers. — Et ensuite ? — Ensuite ils prendront notre déposition… — Mais dis donc, ça va nous mener tard, ça ! — Oh oui, reconnut Fortin, attends-toi à passer la nuit en cellule. De stupéfaction, il bégaya : — En cellule ? Tu… Tu… Tu rigoles ? — Pas du tout, assura calmement Fortin. Mais tu seras probablement relâché demain matin. — Toi aussi ? — Pas sûr ! — Comment ça ? Fortin sourit tristement : — Tu oublies que je suis flic ? — Et alors ? Il me semble qu’ils devraient te relâcher tout de suite ! — Détrompe-toi… Pour un gendarme, coincer un flic dans un coup pourri, c’est la divine surprise. — Ils vous détestent tant que ça ? — C’est pas le mot… — C’est quoi alors ? Fortin eut un air fataliste : — Si Mary Lester était avec nous, elle saurait te l’expliquer. Moi je ne sais pas trop. C’est probablement l’esprit de corps qui joue. L’adjudant avait envoyé ses hommes visiter la maison. L’un d’entre eux revint précipitamment. Son expression avait changé : — Mon adjudant… — Eh bien Picard, qu’y a-t-il ? — À l’étage, mon adjudant, un cadavre dans une baignoire… Fortin, qui avait l’oreille fine, avait entendu. — Eh bien, soupira-t-il, on n’est pas sortis de l’auberge !
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