Chapitre Un
Point de vue d'Eden
"Je suis mariée !"
Ma cuillerée de céréales que j'étais sur le point de porter à ma bouche s'immobilise à quelques millimètres de mes lèvres. Je lève lentement les yeux du livre que je suis en train de lire à la table de la cuisine pour rencontrer le regard de ma mère qui sautille presque d'excitation alors qu'elle me regarde avec impatience.
"P... p... p... pardon ?", j'arrive à balbutier, je suis à peu près certaine d'avoir mal entendu ce qu'elle a dit parce qu'il est impossible qu'elle ait dit ce que je pense qu'elle vient de dire.
"Je suis mariée", dit à nouveau ma mère, et elle sort sa main de sa poche et elle agite ses doigts devant moi, pour me montrer l'énorme diamant qui trône au-dessus de sa phalange, et le faire briller de manière iridescente à la lumière.
"Quoi ?... quand ?... comment ?", je demande avec affolement, en faisant tomber ma cuillère et je me concentre uniquement sur la femme devant moi dont le visage s'est légèrement assombri à ma réaction moins qu'enthousiaste face à son éclat de joie.
Elle s'assied sur la chaise en face de moi, en se mordant nerveusement la lèvre inférieure tout en faisant tourner la bague à son doigt de manière anxieuse. "Tu ne sembles pas très heureuse pour moi", elle murmure avec un air inquiet, et un regard abattu obscurci ses yeux et cette expression seule me fait me sentir terriblement mal.
Bon, je dois expliquer quelque chose ici, pour que vous puissiez comprendre pourquoi je suis assise dans ma chaise incapable de parler.
Ma mère n'est pas l'une de ces femmes volages qui ont passé la majeure partie de leur vie à chercher monsieur parfait dans tous les mauvais endroits, plus amoureuses de l'idée d'être amoureuses que de l'homme qui partage leur lit. Je n'ai pas eu une multitude de beaux-pères qui passent dans ma vie après la mort de mon propre père quand j'avais six ans. En fait, ma mère a mis des années rien que pour songer à tremper ses pieds dans la piscine des rencontres, j'étais sur le point de commencer ma première année de lycée avant qu'elle ne sorte finalement prendre un café avec un homme pour la première fois ! Depuis ce moment-là, et s'il vous plaît comprenez que j'ai maintenant dix-neuf ans et que je suis à l'université, je peux compter sur une main le nombre d'hommes avec qui elle est sortie. Bon sang, je peux même compter le nombre d'hommes avec qui ça a été sérieux, en utilisant juste mon petit doigt, un ! Littéralement, un seul homme est allé plus loin qu'une bise sur la joue et un merci, j'ai passé un bon moment dans l'aire des rendez-vous avec ma mère.
Faites-moi un procès pour être un peu désarçonnée par le fait que ma mère, la femme qui refuse de donner son adresse e-mail aux employés de magasin parce qu'on ne peut jamais être trop prudent, est soudainement mariée et elle ne m'a même pas dit que ça allait arriver, encore moins m'inviter à l'événement.
"Euh, ce n'est pas ça", je bafouille à contrecœur, en essayant de donner un certain enthousiasme à ma voix, pour donner à ma mère la réaction qu'elle attend. "Je me demande juste comment tout cela s'est passé, c'est un peu surprenant, je ne savais même pas que ça a été sérieux avec quelqu'un".
Les lèvres de maman se courbent légèrement alors qu'elle rencontre enfin à nouveau mon regard. "Tu te souviens d'Henry ?", elle me demande et je hoche instinctivement la tête.
Henry est un homme avec lequel maman a commencé à discuter il y a environ quatre mois sur une application de rencontres en ligne à laquelle elle s'est inscrite sur un coup de tête. Notre voisine d'à côté, Olive, est venue pour leur soirée mensuelle de potins et il semble qu'à un moment donné entre les deux bouteilles de vin rouge qu'elles ont bu, et un fou rire à propos d'elle au numéro seize, dont le mari entrait dans la maison en criant alors qu'un vingtenaire en boxer sortait de la fenêtre de la chambre, la conversation a tourné autour de la vie amoureuse de maman ou de son absence. Eh bien, d'une manière ou d'une autre, leurs crises de rire ont abouti à ce que ma mère s'inscrive sur une application téléphonique appelée Flirty pour les trentenaires et plus. Vous mettez votre âge, vos centres d'intérêt et des informations de base, et ça vous met en contact avec des personnes d'un âge similaire ayant des intérêts correspondant aux vôtres.
Eh bien, maman a commencé à parler avec un certain Henry et les deux se sont très bien entendus. Il habite dans le Maine, ce qui est à une bonne distance par rapport à notre ville ensoleillée de Miami, mais ils avaient beaucoup de points communs et je me couchais souvent en laissant maman recroquevillée sur le canapé, un verre de vin sur la table basse, en train d'écrire avec son nouvel ami. Il a seulement fallu quelques mois avant qu'Henry n'invite maman à le rejoindre, et il a même payé le billet d'avion pour que maman puisse aller lui rendre visite pour un week-end, ce qu'elle a fait plusieurs fois.
Son dernier voyage était ce week-end, et elle est revenue à Miami tard hier soir. J'étais déjà endormie quand son taxi est arrivé, il semble donc qu'elle ait attendu que je sois sur le point de partir pour l'université pour me faire part de mon nouveau beau-père.
"C'était tellement romantique, Eden", dit ma mère dans un souffle, en posant sa main gauche sur son cœur, et une petite exclamation sort de ses lèvres alors qu'elle revit le souvenir. "Nous regardions juste un film dans la chambre d'hôtel, tu sais, blottis sous une couverture ensemble, en sirotant un verre de vin. C'était un film romantique, et même si Henry n'aime pas ça, il sait que j'aime ça donc il les regarde toujours avec moi. Bref, l'héroïne devait rentrer chez elle pour aider l'entreprise familiale en difficulté et elle a rencontré un gars qui aidait ses parents pendant qu'elle vivait la grande vie en ville. Ils tombent amoureux et juste au milieu de la rue, le mec se met à genoux et la demande en mariage. J'étais toute émue et Henry m'a demandé si je rêvais d'une proposition comme ça, et, bon, bien sûr que oui, quelle fille n'aime pas la spontanéité ? La chose suivante que je sais, c'est que Henry est descendu du canapé, il s'est mis à genoux et il m'a demandé en mariage", ajoute ma mère.
Les yeux de ma mère sont brillants de bonheur alors qu'elle tend la main pour serrer fermement les miennes dans les siennes. "Le lendemain, nous avons obtenu une licence de mariage, et trois jours plus tard, nous étions debout ensemble devant un juge avec deux personnes à qui nous avons demandées de témoigner de la cérémonie, des gens que Henry a attrapés dans la rue. C'était comme un conte de fées ma chérie, juste un tourbillon d'émotions qui m'a uni à un homme que j'aime", dit ma mère.
Ses yeux s'assombrissent lorsqu'elle me regarde. "Je suis désolée que tu n'y étais pas bébé", elle chuchote. "Je me suis juste laissée emporter et cela semblait tellement juste. Tu sais, ton père est parti depuis si longtemps, je sais à quel point la vie peut être courte... ça te met en colère ?"
J'entrelace mes doigts avec les siens, en souriant et je secoue vivement la tête. "Bien sûr que non, je ne suis pas en colère", je lui dis. "Je regrette juste de ne pas t'avoir vue dans ta robe, de ne pas avoir été une partie de ton grand jour, mais si c'est ce qui te rend heureuse maman, alors je suis heureuse pour toi".
Ma mère rit à moitié, en pleurant presque alors qu'elle s'élance à travers la table, presque en envoyant mon bol dans mes genoux pour que ses bras m'enlacent et me serrent avec force.
"Comment ai-je eu la chance d'avoir quelqu'un d'aussi formidable que toi ?", elle murmure contre mon épaule. "Je ne mérite pas une fille aussi incroyable que toi".
Après m’être détachée de l'étreinte de ma mère, je ris, puis je ramasse ma cuillère pour rapidement avaler les céréales maintenant molles dans ma bouche avant d'essuyer mes lèvres avec le dos de ma main, puis je me lève, et je place le bol vide dans le lave-vaisselle et je referme la porte.
Arès m’être tournée vers ma mère, je vais vers elle, et je me baisse alors qu'elle pose doucement sa main sur ma joue.
"Je suis contente que tu aies trouvé quelqu'un qui te fait sourire comme ça", je chuchote doucement. "Je ne t'ai pas vue briller de cette manière depuis... eh bien, je ne me souviens pas de la dernière fois où tu as eu un sourire aussi brillant".
Maman rit, et ses yeux s'embuent tandis que des larmes commencent à monter, elle les chasse en clignant des yeux avant d'acquiescer. "Tu penses...", elle commence à dire et ses lèvres se tordent d'incertitude alors qu'elle hésite, elle semble choisir apparemment ses mots avec soin avant de se pencher un peu plus près de moi.
"Tu penses que ton père serait contrarié ? Que j'ai tourné la page ? Trouvé quelqu'un d'autre ?"
Je lui prends la main, et je la tiens fermement alors que je secoue vigoureusement la tête. "Papa t'aimait", je dis sévèrement, "Il voudrait que tu sois heureuse. Il est parti depuis treize ans maman, il ne voudrait pas que tu sois seule pour le reste de ta vie".
Elle hoche la tête, elle a l'air encore incertaine. "Je sais, mais nos vœux...", elle continue.
Je lâche sa main seulement pour saisir son visage et la forcer à me regarder, et voir à quel point je suis sérieuse. "Si c'était l'inverse, si tu étais partie et que Papa était encore ici avec moi, voudrais-tu qu'il passe le reste de sa vie seul ?", je demande.
Les yeux de maman s'élargissent et elle secoue immédiatement la tête, avec une expression d'horreur traversant son visage. "Non !", elle s'exclame, "Ton père était un tourbillon d'énergie et d'amour ! Il ne pouvait pas être seul, ça l'aurait détruit ! Aimer quelqu'un d'autre ne signifie pas qu'il m'aimait moins. Il avait tellement d'amour à donner, j'aurais détesté qu'il le gaspille en étant seul".
Je lui adresse un large sourire. "Alors pourquoi penserait-il différemment ?", je demande avec un clin d'œil espiègle.
"Oh toi !", dit maman en s'esclaffant et elle me donne une petite tape, puis elle dit : "Tu as toujours une réponse à tout n'est-ce pas ?".
Je ris en me levant, et j'attrape mon sac à côté de ma chaise et je le balance sur mon épaule. "C'est pour ça que tu m'as envoyée à l'université", je dis pour plaisanter, "Il faut bien que toutes ces capacités cérébrales soient utilisées à bon escient d'une manière ou d'une autre".
Alors que je me dirige vers la porte, j'attrape une pomme dans la corbeille de fruits en passant, puis je ramène mon sac à mon côté pour la mettre à l'intérieur pour plus tard.
"Oh, quand est-ce que Henry arrive ?", je demande distraitement, mon esprit étant déjà en train de trouver mes clés et se diriger vers les cours. "Est-ce qu'il a beaucoup de choses ? La maison est un peu petite, mais je peux t'aider à déplacer des choses pour faire plus de place si tu me fais savoir quand tu as besoin de moi. Je suis sûre que je peux libérer un peu d'espace dans mon placard si tu as besoin d'un peu de rangement supplémentaire".
Je sens la tension s'épaissir derrière moi, et je me retourne lentement pour faire face à ma mère qui grignote sa lèvre inférieure tout en me lançant un regard désolé.
"Il ne va pas déménager ici avec nous", elle chuchote à contrecœur et la pièce commence à tourner autour de moi et je me raccroche au mur à côté de moi pour rester debout, je me force à me concentrer sur les paroles de ma mère. "Son travail n'est pas vraiment quelque chose qu'il peut abandonner et déménager à travers le pays, donc... il m'a demandée si je pouvais déménager dans le Maine pour être avec lui".