Moscou - Rencontre hasardeuse
IRINA
Un visage marqué par un sourire espiègle me fit frissonner. Il avait un regard terrifiant, un regard qui avait le don de pétrifier quiconque qui osait s'y noyer. Aucune pitié ne semblait déformer sa facette démoniaque, si ce n'était qu'un semblant de compassion.
Pendant de longues et éternelles secondes, je ne daignais rompre le silence pesant. Je laissai mon regard lorgner cet homme diabolique, attendant sûrement qu'il affirmât que c'était une plaisanterie mais en vain. Par son regard déterminé, pigmenté par une once de malice, je compris la gravité de ses propos.
Sa proposition n'avait aucun sens à mes yeux. Zakhar Kovalovksi. Comment pouvais-je séduire un homme dont je ne connaissais pas du tout. Ce n'était pas possible. Et puis, pour quelles raisons ? Les questions fusaient, chahutaient mon esprit. Tout se mêlait et ma tête était prête à exploser...
— Qui est-ce ? finis-je par demander d'une voix désarçonnée.
— Un très vieil ami dont j'aimerais renouer les liens. Il a en sa possession un objet qui m'est cher et je souhaiterais le récupérer.
Il surenchérit en m'épiant intensément, humectant par la même occasion sa lèvre supérieure.
— Il abhorre les femmes vicieuses, les putes qui aiment la luxure et qui sont prêtes à tout abandonner pour l'argent. Il ne le montre pas mais il a un faible pour les femmes si innocentes, si douces et ma chère vous épousez à merveille ces critères. Vous allez donc m'aider sinon je vais me mettre en colère et quand je suis dans cet état je suis prêt à couper des têtes sans pitié. Vous êtes contrainte à accepter ma proposition Irina, la vie de votre chère et tendre baboulya est en jeu. Aimeriez-vous être spectatrice de sa mort ? Sa tête coupée et son corps noyé dans un bain ensanglanté.
Son ton autoritaire mêlé à un rire machiavélique me déstabilisa. Un sourire victorieux agrémenta son visage avant d'esquisser un léger rire moqueur.
Mon corps vacilla à l'entente de ses menaces. Les larmes coulèrent abondamment, submergée par la situation dans laquelle je me trouvais.
— Je vous en supplie, laissez ma grand-mère en vie. Je vous jure que je rembourserai la dette de mon frère. Je ne connais pas votre ami et je ne souhaite pas me mêler de votre histoire. Ayez pitié de nous, ayez de l'empathie je vous en supplie.
Suite à mes paroles, je m'agenouillai. Je ne désirais pas m'aventurer dans une histoire dangereuse où sévissaient les risques et les dangers. Je me mis à maugréer Alexei. Il connaissait parfaitement la situation mais avait préféré s'engouffrer dans un monde lugubre où il pourrait ne pas s'en sortir indemne.
La société rendait souffrant les familles pauvres. Cette société putréfiait les jeunes Russes qui avaient des rêves, dorénavant ensevelis dans les abysses. Leurs destins étaient déjà scellés mais se mentaient à eux-mêmes. C'était pour cette raison qu'ils s'engouffraient dans les ténèbres, multipliant les délits et les crimes. Ils côtoyaient un monde obscur où le diable les accueillait à bras ouverts. Les égarés perdaient la raison et s'immisçaient dans ce monde perverti. Pour eux, c'était le seul moyen de subvenir aux besoins familiaux, de devenir des hommes puissants. Ils se disaient exclus de la société, condamnés à vivre dans l'invisibilité. Ces pauvres gamins aux esprits asséchés étaient comparables à Tantale. Ils demeuraient à jamais, la gorge brûlante et desséchée, le ventre douloureux et l'esprit fou de désir inassouvi.
Alexei faisait partie de cette catégorie.
Il s'esclaffa bruyamment en parcourant d'un pas large et décidé dans ma direction. Il s'abaissa à ma hauteur, empoigna mon visage, le serra sévèrement ce qui provoqua un gémissement de douleur.
— Je ne tolère pas la désobéissance ma chère Irina. Quiconque osera me trahir trouvera la mort comme échappatoire. Comprenez-vous ou devrais-je être plus explicite ? Pensez-vous que votre pauvre frère ait réussi à s'échapper de mes griffes ? Quelle plaisanterie ! Si vous désirez, je vous ramènerai son corps en guise d'offrande. Je peux également décapiter la famille de votre meilleure amie, Elizaveta si j'ai bonne mémoire. Vous pouvez quitter vos deux petits boulots. Demain, un de mes hommes viendra vous chercher.
Mes yeux s'écarquillèrent face à la brutalité qui s'émanait de cet homme sans scrupule. Il me relâcha. Il me darda un dernier regard et quitta les lieux, me laissant désemparée par cette menace soudaine. Mon cœur était incapable de supporter cette charge.
Je me levai, séchant difficilement mes larmes qui s'écoulaient abondamment. Je chassai du mieux que je pouvais ces paroles mortifères qui me turlupinaient au point de me languir éternellement.
La vie de ma baboulya était en jeu. Comment Alexei avait pu mettre notre famille dans un sacré pétrin ? Par sa faute, nous allions mourir comme des rats.
Avant même d'ouvrir la porte, Vlamidir fit son apparition. Il me scruta avec compassion avant de soupirer longuement.
— Zaven est un homme sans âme. L'héritage, le trône, le pouvoir et l'argent sont ses raisons de vivre. Il est assoiffé par la luxure et cherche à voler plus haut, plus loin sans soucier des risques qu'il peut engendrer et de ses ailes qui peuvent brûler à tout moment. Fais attention Irina. Je ne sais pas ce qu'il manigance mais ne lui fais jamais confiance. Prends soin de toi et viens me voir si tu as besoin d'aide.
Il me tendit une enveloppe en poursuivant la discussion et m'offrit un léger sourire.
— C'est ton dernier jour et j'aimerais que tu acceptes cette enveloppe. Tu sais très bien que tu es toujours la bienvenue dans ce bar, pour travailler ou même pour boire un petit verre.
Les yeux larmoyants, je ne pus m'abstenir de sangloter. Vladimir était un homme bon, un deuxième père pour ce petit quartier. Sa bonté incommensurable réchauffait nos cœurs éteints par la misère.
Je le remerciai maintes fois pour sa générosité et son empathie. Je décidai de quitter l'endroit en promettant de venir le lendemain pour saluer mes collègues.
Je sortis du bar et me mis à vagabonder.
Depuis quelques heures, j'errais, laissant mon regard imprimer de multiples paysages. Ce ciel obscur se conjuguait parfaitement avec la couleur de mon âme, cette brise vespérale caressait violemment cette peau laiteuse. Cette brise, émanant de Zéphyr, enjolivait mes tourments nocturnes.
— Irina ! apostropha Elizaveta en s'approchant de moi.
Arrivée à ma hauteur, elle me dévisagea en fronçant légèrement ses sourcils. Elle me connaissait très bien. Elle décela dans mes iris cristallins cette lueur de désespoir qui affectait mon être.
— Que se passe-t-il ?
Je lui racontai cette fameuse rencontre avec ce prénommé Zaven. Rien que d'y penser, j'en frissonnais.
— Quel homme répugnant ! Comment peut-il te menacer ? Irina n'accepte pas sa proposition. On fera tout pour protéger ta famille. Alexei doit sûrement être à Saint-Pétersbourg et est en sécurité. Mikhaïl a reçu un appel alors ne t'inquiète pas pour lui.
— Elizaveta, dis-je avec difficulté avant de souffler un bon coup, c'est un homme puissant qui n'hésitera pas à tuer ma famille ainsi que la tienne. Tu comprends ? Et ce débile d'Alexei ! Maudit soit-il !
— As-tu des informations sur ce Zakhar ? Quelle est leur relation ? Irina, je veux que tu fasses attention. Si la situation s'aggrave je veux que tu mettes fin à cette proposition.
— Absolument pas. Je dois impérativement récupérer cet objet, quitte à me brûler les ailes.
Nous restions à palabrer pendant de longues minutes. Ma meilleure amie s'ingéniait à me prévenir des répercussions mais mon esprit chahuté ne pourrait supporter la perte de ma babouchka. Je serais prête à sacrifier ma vie pour la mienne
Elizaveta me proposa de dormir chez elle, inquiète de mon état. Elle voulait s'assurer de notre sécurité.
Les premières lueurs de l'aube apparurent, venant éclairer la pièce dans laquelle je demeurais. J'ouvris difficilement les paupières en raison de l'éreintement.
Je passai mes mains dans mon visage puis une des deux vînt s'engouffrer dans ma chevelure ébouriffée tout en ressassant la scène qui s'était produite la veille.
Qui était Zakhar Kovalovski ?
ZAKHAR
Assis sur le comptoir en compagnie de mes compagnons. Sergei monopolisait la parole. Il s'évertuait à me raisonner mais je l'ignorais.
— Zakhar, souffla-t-il d'exaspération, Dimitri et Kwang-Beom. Essayez de le raisonner. Je sens que je vais le tuer.
Dimitri est une de mes plus vieilles connaissances. Il était comme un frère que j'aurais voulu avoir. Il était doté bonté à couper le souffle, il était un des remèdes à mon cœur neurasthénique. Son enfance n'avait pas été joyeuse. Il était témoin de la mort de ses géniteurs. Orphelin depuis son jeune âge, il avait appris à survire en volant chez les riches, en menaçant les passants. Il n'était pas fier mais c'était le seul moyen. Et puis un jour, son chemin avait croisé le mien et notre amitié avait vu le jour.
Kwang-Beom, un nord-coréen qui avait déserté son pays illégalement. Grandi dans une famille très stricte, dévouée à cette idéologie, il aspirait à devenir un soldat de l'armée coréenne. Mais ce dernier n'était pas du même avis et s'était enfui du pays. Marié à une sud-coréenne, il vivait sa plus belle vie, se disait-il sans cesse.
J'ingurgitai la boisson. Sergei cherchait à enflammer mes anges maléfiques. Les spasmes du spleen m'emportèrent au point de m'immiscer dans les profondeurs des ténèbres, où mes propres démons insufflaient leurs chants méphistophéliques.
— T'es venu boire un verre avec nous ou tu cherches à me mettre à bout, vociférai-je en buvant mon verre, attendant impatiemment l'état second.
— Ce n’est pas tous les jours qu'on voit Sergei et Zakhar se chamailler. Faut en profiter quoi, railla Dimitri en me tapotant l'épaule.
Chamailler ? Était-il sérieux ? Sergei cherchait plutôt le conflit, la bagarre. Quel c*****d.
— Tu ne comprends pas qu'il est à ta recherche ? Il est prêt à te tuer à cause de ce basculement de situation. Il a peur que tu reviennes et veut tout faire pour t'éliminer. Et toi, ingénu que tu es tu restes en retrait alors que tu peux devenir celui que tu devais être depuis bien longtemps.
— Sergei, calme-toi, dit Kwang-Beom d'une voix amène, tentant d'apaiser les tensions qui surgirent.
— Il préfère simplement dissimuler son enfance douloureuse et s'écraser face à eux. Il est encore traumatisé par cet événement.
Ses paroles acerbes me piquèrent. Un souvenir refoulé. Ma fierté avait pris un coup, je l'avouais. Un chagrin où mon cœur rugissait l'oraison funèbre. Un chagrin où mon cœur languissait de douleur. Cet élancement s'agrippait, s'infiltrait et sécrétait ce poison qui annihilait mon âme chaste.
Je ne voulais pas m'en souvenir. Je voulais simplement éradiquer ces réminiscences.
Je ne voulais plus souffrir.
Je ne voulais plus avoir mal au cœur.
Je ne voulais plus penser à leur abandon.
Leur abandon, aussi tranchant qu'un kriss aiguisé transperça mon cœur défectueux. Leurs actes infâmes engendraient mes céphalées hargneuses. Dégénérescence émotionnelle, évanescence d'un amour singulier perdu dans les abîmes d'un chagrin. Une amertume qui me languissait, mêlée à une acrimonie démesurée. Au crépuscule de mon affliction, les réminiscences s'embrassaient pour brûler mon cœur meurtri.
— Profitons de cette soirée paisiblement, conseilla Dimitri d'une voix ferme, ce n’est pas le moment de s'embrouiller là.
Plus un mot. Nous buvions pendant de longues minutes, sans palabrer, laissant Dionysos prendre possession de nos corps. L'ivresse s'infiltrait dans mes veines assoiffées, parcourait mon corps chaud. Mon âme était disposée à se consumer, à s'exalter jusqu'à atteindre le paroxysme de l'état second.
Mais ce fichu Sergei, têtu, n'était pas du même avis et voulait envenimer l'atmosphère.
— Ton père m'a demandé de tes nouvelles, m'informa-t-il sans pression, me regardant droit dans les yeux, il te choisit comme futur héritier. Je lui ai dit que tu te port...
En posant violemment mon verre, je l'avais brisé. Une colère noire prit possession en moi faisant ressortir mon démon, peignant un homme possédé par un courroux aussi puissant que ceux des dieux de l'Olympe. Les nerfs étaient à vifs.
Reste calme Zakhar. Ne laisse pas la colère foudroyer ton cerveau.
Ma respiration saccadée n'arrangeait rien à mon état déplorable. Je fixai ma main ensanglantée avant de presser un bout de verre pour atténuer la douleur de mon coeur et ressentir la douleur physique.
Une vague m'emporta pour m'emmener loin de cette réalité. Un amas de sensations aigres s'empara de moi et des picotements pressent inlassablement mon cœur. Mes nerfs s'enflammèrent, mon agacement se fit remarquer par un durcissement de mes traits harmonieux. Je tentai de rester impassible mais impossible. Une anarchie se mit en place. Ce c*****d de Sergei avait réussi à me mettre hors de moi.
Il avait enfiévré mes regrets les plus sombres, galvanisé les remords enfouis et embrasé mes maux mortifères.
Je sortis du bar en les laissant. Je ne daignais riposter. À quoi bon m'acharner, il ne m'écoutait même pas. Empruntant quelques ruelles sombres, j'arpentai pour arriver le plus vite possible à la maison. Je m'aventurai dans un terrain lugubre où une odeur nauséabonde me fouettait violemment. J'empruntais de nombreux raccourcis pour semer les deux hommes qui me suivaient depuis le début.
Soudainement, des ombres apparurent. Des étranges hommes qui possédaient chacun une dague. Le premier s'avança en courant pour asséner un coup mais j'esquivai en lui affligeant un coup de poing. Le deuxième tenta de me surprendre mais comme un sixième sens, je pivotai ma tête vers la gauche avant d'enfoncer mon pied dans son ventre. Deux hommes dont la capuche se rabattait sur leur visage multipliaient les coups physiques mais j'arrivais à les esquiver. Je démultipliai les coups de pieds, enchaînant par la même occasion des calottes et tout cela sans aucune réciprocité. Ils étaient à terre en train de souffrir comme des chiens.
Je décidai de continuer mon chemin. Mais tout se passa très vite. Une balle vint se loger dans mon dos. Arrêt sur l'image.
Soudainement, je me sentis comme oppressé. Je perdis mon souffle, mes râles pâlirent et l'élancement déracina ma force herculéenne. Je subodorais que ma fin allait arriver et personne pour me venir en aide. L'ange de la mort me fit du charme et s'approcha lentement de moi pour ôter mon âme déchue. Je n'arrivai pas à effectuer un geste. Mes adjurations devinrent inaudibles, mes psalmodies de détresse muèrent, mes cris d'accablement se volatilisèrent. Je sentis ma fin, comme si mon cœur était disposé à trépasser à tout moment. Fais chier, j'allais mourir comme un rat.
Je m'évertuai à effectuer un mouvement mais je me sentis impuissant par cette douleur lancinante qui parcourait tout mon corps.
Avant même de détourner mon regard pour voir ce qu'ils faisaient, une main s'agrippa sur mon bras et me projeta à l'arrière. Une main fine et douce vint se rabattre sur ma bouche afin que je ne pusse émettre un son.
— N'ayez crainte, je suis là pour vous aider, me rassura la personne, sentant mon corps bouger difficilement.
Ma vue se brouilla, incapable de connaître le visage de la personne qui m'avait sauvé.
Était-ce un ange envoyé par Dieu ?
— Monsieur, sa voix douce me berçait et mes paupières se refermèrent tout doucement, restez avec moi. Ne vous endor...