Papillon 🦋 II

1538 Mots
Je le regarde marcher en direction du manoir sombre.Les hommes, partis en avance, sont alignés en deux rangées. Cet homme, appelé Caleb, passe entre eux. À chaque fois qu’il dépasse deux hommes, ceux-ci avancent derrière lui, jusqu’à ce qu’il entre dans le manoir. Un mec de la mafia ? Sûrement. Sinon, pourquoi aurait-il autant d’hommes ? C’est étrange… Le pire, c’est que John ne m’a jamais parlé d’un Caleb.Je vais devoir obtenir des réponses par l’agence. Je sors mon téléphone de ma poche, compose les trois chiffres de l’agence et le colle contre mon oreille.J’en profite pour tirer sur ma cigarette… Ça sonne. — Agence TAG, pouvez-vous me donner votre nom de code ? demande la standardiste. — Papillon… Numéro de code 5532. — C’est un plaisir de vous entendre, Papillon. Que puis-je pour vous ? — J’aimerais connaître l’identité d’une personne. Je regarde en direction du manoir. Les lumières sont allumées à l’intérieur. — Bien sûr… Qui est cette personne ? — Caleb. — Avez-vous le nom de famille ? — Tout ce que je sais, c’est qu’il doit faire partie de la famille Stone. — Veuillez patienter, je vous rappelle dans quelques minutes. Je raccroche, croise les bras tout en fumant ma cigarette presque terminée.Je tourne mon regard vers le manoir où je vis maintenant. L’une des domestiques ou plutôt la gouvernante, puisqu’elle donne des ordres aux autres m’observe de loin. Peu importe. Elle me regarde, vêtue de sa tenue formelle : un tailleur noir, un chignon bien entretenu. Elle a l’âge d’être ma mère, avec ses cheveux grisâtres mêlés à quelques mèches brunes. Je ne lui ai pas adressé la parole depuis son arrivée, mais elle doit attendre une seule chose : que j’aille à elle pour qu’elle se présente.Elle aurait dû le faire dès le début. D’ailleurs, je déteste qu’on empiète sur mon espace. Mon téléphone vibre dans ma main. Je décroche sans regarder. — Papillon ? appelle la standardiste. — Je t’écoute. — Caleb Stone. Premier fils d’Ernest et Marie Stone. Du moins, il est le fils de Marie et le fils adoptif d’Ernest. Il a trente ans et il est procureur. Une blague ? John ne m’a jamais parlé de ce Caleb.Il m’a dit que les Stone avaient deux enfants, et voilà qu’on me dit qu’ils en ont trois ?Ce Caleb doit être le vilain petit canard de la famille.Mais… procureur ? Je n’ai jamais vu un procureur se balader avec une trentaine d’hommes. — Tu pourrais faire plus de recherches sur ce Caleb ? demandé-je, pas convaincue qu’il ne soit que procureur. — Bien sûr. — Rappelle-moi quand tu as des informations. — Oui, Papillon. — Je mets fin à l’appel. Je raccroche, glisse mon téléphone dans ma poche arrière et laisse tomber ma cigarette, que j’écrase du bout du pied. Je marche ensuite en direction de la gouvernante, qui semble avoir quelque chose à me dire. Elle se plante devant moi, les mains jointes, un grand sourire sur son visage sévère. — Monsieur Stone m’a mise à votre service. Je me présente : Madame Fernández. Je me disais bien qu’elle avait un côté mexicain… mais bon, ça ne va pas le faire. Si je dois habiter ici, autant être entourée de personnes à qui je peux faire confiance. Et cette femme doit sûrement rapporter tous mes faits et gestes. — Je n’ai pas vraiment besoin de gouvernante, dis-je, un sourire forcé sur les lèvres. — Je suis en charge de prendre soin de vous pendant que Monsieur Stone n’est pas là. — Mais je peux très bien prendre soin de moi toute seule. Elle sourit à pleines dents, mais je vois bien qu’elle me déteste déjà.Et moi, j’ai envie de la tuer, mais je me retiens. — Peu importe, dis-je pour détendre l’atmosphère, sinon je vais finir par la buter. — Le dîner est prêt. Je vais faire ce qu’elle veut, pour l’instant. Je dois surtout parler à John. Je la suis jusqu’à la salle à manger. Une grande table en verre aux bordures dorées, des chaises au dossier arrondi recouvertes de velours rose. Sur la table, une profusion de plats : dinde, légumes, riz et pain. La gouvernante me fait signe de la main. Je prends place, attrape la serviette de table.Une domestique vient verser du vin dans mon verre, pendant qu’une autre me sert des légumes et de la dinde. Je regarde la gouvernante, qui m’adresse un sourire. J’entends alors la porte s’ouvrir. Je me retourne et vois Ernest apparaître. Qu’est-ce qu’il fout là ? Je croyais qu’il m’appellerait, mais non : il se pointe comme il veut. Je me lève, feignant la surprise et la joie. — Qu’est-ce que tu fais là ? demandé-je avec un sourire forcé. Il pose délicatement sa main sur ma joue. — Je vais passer la soirée au bureau… Je me suis dit que j’allais dîner avec toi. Donc c’est un pot de colle. — Tu aurais dû m’appeler. — Je voulais te faire la surprise. Il pose ses lèvres sur mon front, puis tire la chaise pour que je m’assoie. Il prend ensuite place à côté de moi. Une domestique dépose un plat devant lui. Il pose sa main sur la table, paume vers le ciel. Je pose la mienne dans la sienne, qu’il serre doucement. — En venant, j’ai pensé que tu aimerais quelque chose. — Ça suffit avec les cadeaux. Il rit doucement, puis ramène ma main à ses lèvres. — Les choses magnifiques doivent être couvertes de jolies choses. Il vient de me comparer à une chose ? Je suis un être vivant, moi. Oh… en parlant de jolies choses. — Qui est Caleb ? Ernest se fige. Ses sourcils se froncent, son regard devient noir, presque menaçant. Il serre la mâchoire à s’en briser les dents. Ah… donc Monsieur n’aime pas son fils adoptif. J’ai visé juste. — Où as-tu entendu ce prénom ? demande-t-il d’une voix tendue. — Je l’ai rencontré. Je prends le verre devant moi, fais tournoyer le vin, croise les jambes sous la table. — Caleb est ici ? demande-t-il d'une voix légèrement choqué. — Dans le manoir d’à côté. Il m’a dit de te dire qu’il était de retour. Il frappe du poing sur la table, faisant vibrer les couverts. Qu’est-ce qui lui prend ? — Ne t’approche pas de lui, m’ordonne-t-il presque. Puis, réalisant le ton qu’il vient d’employer, il retrouve un sourire doux. — Cet homme est une mauvaise personne. — Qui est-il pour toi ? — Un fils que j’ai adopté… Le fils de ma femme. — Tu ne l’aimes pas ? — Disons qu’il a fait les pires choix de vie. Pire choix de vie ? Mais il est procureur. C'est bien ce que je pensais... Hm… Je suis encore plus intriguée. Si j’avais le temps, j’irais l’approcher, ce Caleb, juste pour voir ce que je peux en tirer. Mais je suis en mission. Je bois une gorgée de vin, au goût étonnamment doux. — Ma belle… Je lève les yeux vers Ernest, qui se saisit de sa fourchette et de son couteau. — Peux-tu me promettre de ne pas t’approcher de lui ? — Bien sûr. Je compte bien tenir ma promesse. Cet homme a provoqué quelque chose en moi que je ne comprends pas encore. Je ne compte pas me laisser emporter par un sentiment dont j’ignore la nature. Après le dîner, je le raccompagne jusqu’à la porte, jouant la parfaite petite maîtresse. Il marche vers sa voiture. — Ah, murmure-t-il avant de revenir vers moi. Il glisse sa main dans sa poche et sort une boîte à bijoux. Qu’est-ce que c’est encore ? Il l’ouvre devant moi : un bracelet serti de diamants.Il le sort, prend ma main et l’attache à mon poignet.Il caresse le bijou du pouce. — Il te va à ravir. — C’est gentil. Il se penche vers moi et m’embrasse rapidement, avant de déposer un b****r sur ma joue. — On se voit demain. Je m’efforce de sourire.Il me lâche enfin et fait demi-tour.Le chauffeur lui tient la portière, qu’il referme aussitôt.La voiture démarre, disparaissant dans la nuit. 🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋🦋 Je sors du manoir, prête à rejoindre John pour notre rendez-vous.Je me dirige vers la voiture qu’Ernest m’a offerte mais je ne compte pas l’utiliser pour tous mes déplacements.Je prendrai un autre véhicule à mi-chemin. Je déverrouille la voiture à distance, ouvre la portière, puis jette un regard vers le manoir sombre.Je sens du mouvement derrière moi. Hier soir, il faisait trop noir… ou peut-être que je n’y ai pas prêté attention. Un homme sort de la maison. Costume noir, chemise blanche, cravate, une mallette à la main.Ses cheveux légèrement bouclés sont attachés en un chignon bas.Grande carrure, démarche assurée, un air de calme dangereux. Il s’arrête près d’une voiture.Un autre homme lui ouvre la portière.Son regard balaye les alentours avant de se poser sur moi.Mon cœur s’accélère, mon souffle se coupe. Qu’est-ce qui m’arrive ? Il ne réagit même pas au fait que je le fixe. Il se contente de monter dans la voiture, comme si je n’existais pas. Je fais de même rapidement. Je ne devrais vraiment pas m’approcher de ce Caleb…De toute façon, ce n’est pas lui qui m’intéresse.
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