Liam et la Vérité Cachée

638 Mots
Le cabinet de Vasseur restait coincé en elle. Cette odeur chimique, cette clarté artificielle, ce rictus factice du médecin… Rien ne l’avait lâchée, même chez elle, tel un nuage toxique. Elle se croyait salie, comme si on avait fouillé sa tête sans permission. Remonter les morceaux du passé - ça tournait dans son esprit, glaçant. Elle cherchait quelque chose de réel, de visible. Alors elle s’est tournée vers ce que son père lui avait laissé : un vieux coffre en bois rempli de documents sur l’architecture. Dedans, il y avait des rouleaux de plans, des cahiers de dessins, des reçus tous abîmés par le temps. Depuis longtemps, elle n’avait pas eu le courage de l’ouvrir - la peine était toujours là, fraîche comme au premier jour. Elle l’a tirée du fond du placard, en ouvrant d’un coup sec le couvercle qui a craqué. L’air s’est chargé d’une senteur de feuilles anciennes et de terre fine, une haleine fraîche, calme, loin de l’odeur nette mais froide de Mnémosyne. Elle sortait les cahiers lentement, les ouvrait un après l’autre. Chaque page montrait des croquis, accompagnés de chiffres et d’explications précises. Son père avait une main sûre, un sens aigu du détail. Un instant, elle reste figée devant ces lignes – quelque chose lui serre la poitrine. À ce moment-là, dans un cahier bien plus grand réservé à ses idées perso, elle l’aperçut. Ce n’était pas un projet approuvé. Plutôt un tracé à la mine de plomb, bâclé, presque vivant. Une bâtisse en roc solide, couverte d’ardoises épaisses, comme poussée du sol. On l’avait esquissée depuis divers côtés, avec une chaleur visible. Pas celle où il avait grandi. Ce n'était pas la maison de son enfance. Ce n'était pas un projet pour un client. C'était une maison qui comptait pour lui. Son cœur s’est emballé tout d’un coup. Ensuite, elle a tourné la feuille. D’autres dessins apparaissent : dedans, une énorme cheminée, un paysage vu depuis un pré, un morceau de fenêtre avec des boiseries fines. Puis, coincée dans un coin de page, écrite vite fait, une indication : les Cévennes. Un petit groupe de maisons nommé Laval. Un prénom : Liam. Le coup a été tellement brutal qu’elle a lâché le cahier. Liam. Ce « L » sur la photo de sa mère ? Trop étrange pour être vrai. C’était clair maintenant : pas du tout un hasard. Elle prit la photo découverte chez Édith. La femme inconnue souriait, près de sa mère. L. et moi. Liam ? Serait-elle cette femme ? le prénom était masculin, pourtant… Les morceaux se mettaient en place petit à petit, seulement ce que ça donnait n’avait aucun sens. Le père, architecte plutôt organisé, avait tracé patiemment un logis jamais vu en pleine région cévenole. Ce coin portait le prénom de Liam. La mère conservait un cliché d’elle accompagnée d’une femme surnommée « L. », shooté au cours de la même année que les plans. Puis quelqu’un a chuchoté qu’elle n’était pas leur vraie fille. Assise par terre, avec des papiers tout autour, Élise a eu l’impression que tout basculait. Son but avait changé du jour au lendemain. Ce n’était pas juste une question de décoder un mot flou ni de rester sur ses gardes face à Vasseur. Chercher la maison. Puis trouver Liam. Quelle que soit cette personne, elle possédait un morceau de son passé. Un bout que la Fondation Mnémosyne avait voulu faire disparaître. Le choix était là, dur à accepter : rester dans cette existence douce mais fausse, ou alors tenter le tout pour une vérité qui risquait de tout briser. Elle observait le dessin de cette maison en pierre. On aurait dit qu’elle tenait debout depuis toujours, posée là sans se presser. Réelle, d’une manière claire et nette. Mille fois plus franche que les sornettes de Vasseur. Sa décision était prise.
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