Le Parti Pris

790 Mots
La nuit avait été blanche, hantée par des ombres et des murs gris. Le dessin de son père était là, près du cliché de Liam, posé comme des preuves oubliées. Élise n’avait pas dormi, l’esprit pris dans un tourbillon : le son cassé de la clé, les yeux froids de Vasseur, puis ce rictus figé sur la photo. Tôt dans la journée, la lassitude s’était effacée devant une netteté, presque coupante. Pas besoin d’hésiter davantage - tout s’était mis en place seul. Plus question de tergiverser. Un seul chemin valait le détour : celui du franc-parler, peu importe ce que ça coûterait. Son premier réflexe ? Aller directement à la banque pour sortir pas mal de cash. Ensuite, dans une boutique tech, elle a pris un portable tout simple, sans écran tactile, impossible à traquer précisément. Des mesures extrêmes, presque folles. Pourtant, ce qu’elle avait entendu sur la clé USB était juste : on l’observait sûrement déjà. On. La Fondation. Vasseur. Ce groupe louche, mais pourtant, capable d’avoir balayé toute trace de son histoire. Une fois rentrée, elle prépare son bagage calmement - pas grand-chose : des habits, des bottes solides, le cahier de son père, puis la photo. Une pression montait en elle, pareille à un frisson chaud. Chaque minute passée à Paris était une minute perdue. C’est à ce moment-là que son portable a vibré. C’était Chloé. Elle a attendu que ça sonne, longtemps, avec une boule au ventre. Tromper Chloé, c’était dur pour elle. Cette copine, c’était tout ce qui la reliait encore à la vraie vie, sa seule stabilité. Pourtant parler franchement risquait de nuire à l’autre. Exposer Chloé à la Fondation, à Vasseur ? Hors de question. Elle inspira un grand coup avant de décrocher. «Salut, Chloé. — Ouf ! Je pensais que tu avais été enlevé par des extra terrestres. Bon alors, cette réunion avec le médecin canon ? t'a t’il proposé un poste de cobaye ? » Chloé parlait avec entrain, sans se soucier des autres. Ce rire a fait mal à Élise, comme une lame soudaine. « Non, pas du tout. C’était… typique boîte, comme je te l’avais expliqué. Tiens, Chloé, faut que je parte un peu, pendant quelques jours. » Un blanc s'est fait au téléphone. « Tu pars comme ça ? Direction où exactement ? Un boulot t'attend peut-être en dehors du pays ? — Non. C’est… privé. » Elle chercha vite une raison plausible, quelque chose d’assez doux pour ne pas froisser son amie. « En fait, j’ai envie de sortir un peu. D’échapper au bruit. Ce truc avec ma mère… toute cette pression. Je veux juste du calme. » Un silence est tombé, rempli de doute. « Silence ? Toi, là ? Depuis quand t’as besoin de calme, Élise ? Depuis quand tu me mens comme ça ? Qu’est-ce qui cloche ? C’est cette maudite clé USB, hein ? » Élise a baissé les paupières. Chloé devinait toujours tout. « La clé USB, c’était du vent. Une blague pourrie. Écoute-moi : je t’assure, y a pas de souci. Je file faire une pause tranquille, trois jours sans rien dire. Je te préviens si quoi que ce soit change. » Les paroles semblaient fausses, pour elle aussi. « Un truc spirituel », reprit Chloé, l’air sceptique. « O.K. Si t’y tiens. Pourtant, je reste dans le coin, tu vois ? Peu importe la suite. T’es pas coincée à tout gérer toute seule. » Cette petite phrase a presque fait flancher Élise. Un pic de chaleur lui monta aux yeux. Elle agrippa le téléphone avec plus de force. « Je te laisse. Merci beaucoup, Chloé. On se parle bientôt. » Elle a coupé la conversation tant que son amie n’avait pas fini de parler. Juste à temps pour ne pas tout dévoiler. Elle a jeté un œil au sac, là-bas vers l’entrée. C’en était fini. Tout lien rompu. Elle avait dit faux à celle qu’elle croyait encore. Un pas franchi sans retour. L’Élise d’avant, calme et mesurée, n’existait plus. Elle prit les clés de sa voiture, une vieille Citroën qui empestait toujours la résine. Un coup d’œil en arrière, vers son studio vide et muet. Ensuite, elle partit, fermant la porte dans un bruit sec. Peu après, elle prenait le rond-point en direction du sud. Parce qu’elle filait vers les Cévennes. Du côté de la maison en pierre. Pour rejoindre Liam. Le chemin filait devant ses yeux, net mais flou. Elle ignorait qui l’attendait là-bas. Un soutien ? Un adversaire ? Un cinglé ? Aucune importance. Depuis qu’elle avait trouvé la clé, c’était sa première décision. Fini d’être traitée comme un objet, un matricule. À présent, elle cherchait ce qui lui appartenait. Cette recherche, elle irait jusqu’au terme sans hésiter.
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