Trigger Warning : scène à caractère sexuel non consenti
- Au fait, t’as trouvé quoi hier au final ?
Mon souffle se bloque.
Une sueur froide coule dans mon dos. Les images me reviennent, la maison, la bête, la peur… Le plaisir honteux que j’ai ressenti. Je frissonne. Je n’arrive pas à croire que je me suis exposée à un tel danger, aussi bêtement.
Je tends le bras vers une assiette dans le placard, celui dont la peinture s’écaille depuis quelques années.
- Euh… rien de spécial, je balbutie, incapable de mentir.
Elisa lève les yeux vers moi. Elle me scrute, silencieuse. Son regard me questionne mais elle ne dit rien. Je me sers machinalement des pâtes qu’elle vient de préparer et m’installe en face d’elle.
- J’ai eu trop peur et j’ai rebroussé chemin, je lâche, en espérant qu’elle gobe cette version de l’histoire… Ce qui n’est pas totalement faux.
Elle hausse les épaules et continue de mâcher, sans me prêter plus attention. Bientôt, il ne reste que le bruit de nos fourchettes râclant les assiettes. Je me détends un peu.
Après avoir débarrassé, nettoyé et rangé, j’attends qu’Elisa soit dans sa chambre pour utiliser l’ordinateur.
Il commence à dater et fait autant de bruit qu’un aspirateur lorsque je l’allume. L’écran me donne mal à la tête et le clavier aurait bien besoin d’être remplacé. Certaines touches fonctionnent une fois sur deux. Je soupire. Au moins, il fonctionne. J’ouvre Google et tape une première recherche :
“Porter plainte pour agression sexuelle” puis j’ajoute “sans preuves”. Mes sourcils se froncent. C’est possible oui… mais sans preuves c’est presque mission impossible. Les témoignages de femmes ayant subi de près ou de loin la même chose fleurissent sur des forums, blogs, des vidéos youtube. Je me sens démunie. Qui va me croire quand je vais dire qu’il ressemblait plus à une bête qu’à un homme ? Je serre les poings. Tant pis, on verra ça plus tard.
Je regarde les prix des téléphones d’occasion. Même reconditionné, je ne peux pas me permettre d’en acheter un pour le moment si je veux remplir le frigo à la fin de la semaine. Merde.
J’éteins l’ordinateur, un sentiment de défaite me pèse sur le cœur. La pièce est sombre. Comme mes pensées.
Je me traîne jusqu'à ma chambre et m’écrase sur mon lit, la tête dans mon coussin.
J’ai envie de pleurer, de hurler contre le monde entier. Depuis que maman est décédée, mon monde s’est écroulé. J’avais douze ans. Je me souviens encore de l’odeur d’hôpital, les couloirs blancs, les néons trop forts, les sourires forcés des infirmières. Maman faisait semblant de ne pas avoir mal, mais je le voyais à sa main crispée sur les draps. Les médecins disaient que c’était une maladie auto-immune rare. Qu’ils allaient “tout faire pour la stabiliser”. Elle a eu des batteries de tests, des piqûres, des perfusions. Chaque semaine, un nouveau mot compliqué, un nouvel espoir, un nouveau traitement. Et puis, un jour, ils ont dit que son système immunitaire ne répondait plus. Deux semaines plus tard, c’était fini.
Élisa avait seulement huit ans. Papa s’est réfugié dans l’alcool. Et moi, j’ai dû devenir adulte.
Je m'emmitoufle dans ma couverture en essayant de ravaler mes larmes. Ce n’est pas le moment de craquer. Je sens une boule dans ma gorge et me mords à l'intérieur de la joue, comme pour me révolter contre mes propres émotions. Je ne veux plus ressentir. Ni cette peine, ni cette rage, ni ce dégoût en moi.
Après ce qui semble être une éternité, je me lève et me force à aller prendre une douche bien méritée. Élisa est encore dans sa chambre, sûrement en train de faire ses devoirs. Elle mérite de faire ce voyage scolaire et je me promets intérieurement que je trouverai cet argent, d’une manière ou d’une autre.
Dans la salle de bain, j’allume l’eau chaude et commence à me déshabiller.
Mes longs cheveux bruns m’arrivent en dessous des seins. Je devrais les couper, en faire quelque chose, mais je ne sais jamais quoi. Ils sont lisses, rebelles, une galère à coiffer. Alors je les laisse détachés ou en queue de cheval. Je nettoie le visage et lève les yeux vers le miroir. Une fille paumée me regarde, avec des cernes violacées, loin des clean girls de TiktTok. Mes yeux noisette, ceux qui faisaient la fierté de ma mère sont à présent fatigués. Ma bouche trop fine me donne l’air toujours contrariée. Ce qui est sans doute vrai. Je rince mon visage. Derrière moi, l’eau de la douche commence à fumer…
Puis soudain, un grognement.
Mon sang se glace. Je me fige. Le jet d’eau continue à couler, mais c’est comme si le temps s'était arrêté. Je relève lentement les yeux vers le miroir… Et je le vois. Il est là, derrière moi. Sa carrure massive me domine, ses yeux lancent des éclairs. Comment a-t-il pu… Non, ce n’est pas possible. Ce n’est pas réel. Mon cri reste coincé dans ma gorge. Mes yeux s’écarquillent. Sans plus attendre, la Bête me plaque violemment contre le lavabo. Mes hanches frappent la céramique froide contre ma peau. Ses mains se referment sur mes poignets avant de les restreindre derrière mon dos. Il grogne à mon oreille, son souffle chaud sur ma peau. Je sens son érection sur mes fesses. Je veux crier, me débattre mais je le sais déjà. Toute résistance est futile. Et une pensée encore plus terrible me traverse : Élisa. Non, je ne veux pas l’alerter. Je ne veux pas qu’il s’en prenne à elle. Un son plaintif s’échappe de mes lèvres quand je réalise que je n’ai pas d’issue.
Ses dents se plantent dans ma peau, sur mon épaule nue. Je sens son bassin se coller au mien d’un coup sec. Je ferme les yeux. Pas encore. Son membre dur glisse entre mes cuisses et mes hanches heurtent le lavabo à chaque poussée. Son souffle s’accélère, brûlant ma nuque. Puis je sens une pression, il tente d’entrer en moi… Non, pas ça ! Il grogne contre mon oreille quand j’essaie de le repousser. Et quand ses crocs frôlent ma gorge, je crois qu’il va me dévorer.