Chapitre 6 - Le jour d'après

1006 Mots
Je me réveille, les cheveux encore mouillés d’hier. Génial. J’imagine déjà les épis que je vais me trimballer toute la journée. Et puis, ça me revient. Hier soir. Mon corps se tend d’un coup. Ce n’était pas un cauchemar, il s’est bien passé quelque chose… Quelle heure il est ? Ma main tâtonne sur ma table de chevet. Rien. Ah oui, mon téléphone. Je râle à voix basse. Pas vraiment les moyens d’en racheter un. Super. - Merde, je dois être à Mcdo à 11h ! Je bondis hors du lit, toujours emmitouflée dans ma serviette de bain et cours jusqu’à la cuisine. Je n’entends aucun bruit, Elisa a dû partir au lycée déjà. Je lève les yeux vers la vieille horloge suspendue au mur, ce cadeau de notre grand-mère qu’on n’a presque jamais connue. 9h47. Un soupir de soulagement m’échappe. Je ne fais jamais de grasse mat’, mais là… Quelle heure il était quand je suis rentrée ? Deux heures du matin peut-être ? Pas le temps d’aller au commissariat ce matin. Je me prépare pour le boulot. En coiffant mes cheveux rebelles devant le miroir de la salle de bain, des flashs de la nuit me reviennent en pleine gueule. Qu’est ce que je vais bien pouvoir dire à la police ? - Oui, bonjour, je me suis fait agresser par un homme à moitié canidé hier soir. - Ah oui, et je suis rentrée par effraction dans un lieu privé, au cas où ça intéresse. - Des preuves de l’agression ? Bien sûr que non, voyons. Très convaincant, en effet. Je ris amèrement. Au moins il ne m’a pas pénétrée, j’essaie de me rassurer. Je l’ai échappé belle… Et pourtant, un profond sentiment d’incompréhension me taraude. Pourquoi ? Que faisait-il là ? Je sais que je n’aurais pas dû y aller, mais la porte était ouverte. Et personne n’est censé vivre là depuis des années. Je ne suis pas en tord. Même si je l’étais, on n’agresse pas les gens comme ça ?! Mon cerveau surchauffe. Je prends le chemin du boulot et tente de rationaliser. Je n’ai pas bien vu son visage, il faisait trop sombre. J’ai bien senti son côté animal cependant. Ses yeux de fauve et ses canines trop longues pour un humain normal... Il avait peut-être une maladie, une malformation. Un SDF qui squattait. Oui c’est sûrement ça. Je hoche la tête satisfaite. Arrivée à Mcdo, je me change et j’attends devant le pointeur. Ma collègue Sabrina, me rejoint. Une petite blonde d’un mètre cinquante-cinq à tout casser, toujours souriante. Je l’envie. Moi j’ai juste envie de me flinguer avant et après chaque service. - Coucou, ça va ? elle me demande sur un ton gai. Elle sent bon, en plus. Super. Je soupire. - Bof. Nuit pourrie et toi ? Onze heures. On pointe. - Ah ouais ? J'espère que ça va aller. Elle n’insiste pas. Dieu bénisse Sabrina et sa capacité à ne pas creuser. Je m’occupe des sauces pendant qu’elle gère les gobelets. - Au fait, tu bosses demain aprem ? Parce que j’ai vu qu’ils vont bloquer la rue du centre. Y a une conférence ou je sais pas quoi, organisée par euh… Selmark. Un truc pharmaceutique je crois. - Selmark ? Le nom ne me dit rien. - Ouais, la boîte qu’a filé des masques à l’hôpital pendant le covid. Ils font un évènement public. Mon oncle bosse en sécu là-bas et il dit que c’est pour refaire leur image. Je hausse à peine les sourcils. - Tant qu’ils bloquent pas le drive, moi je m’en fous. - Haha, moi j’espère juste qu’on aura pas trop de monde. Elle s’étire les poignets et lance la machine à frites. Je reprends ma tâche avec mes sauces ketchup, le regard vide. Au moins, le boulot me permet de pas trop penser. J’exécute le reste du service en mode automatique, comme si de rien n’était. En rentrant chez moi, j’hésite à passer devant le commissariat. Il n’est pas trop tard. Puis je me ravise. Non, demain… Je n’ai pas envie ce soir. Il faut aussi que je trouve une solution pour remplacer mon téléphone. Priorités. En arrivant à la maison, je trouve Elisa qui s’affaire dans la cuisine. - Des pâtes, encore ? je lance en haussant un sourcil. - T’as une meilleure idée ? Sa voix est plate, blasée. Je dis rien. C’est vrai que j’ai pas fait les courses depuis un moment. Et vu la gueule de mon compte en banque, c’est pas demain non plus. Un bout de papier traîne sur la table. Je tends la main. Pas une facture, pitié… - Tu peux jeter, dit Elisa sans se retourner. Je regarde quand même. C’est un mot du lycée. Un voyage scolaire en Espagne, cette année. Je souris, soudainement enjouée. - Oh mais c’est super, tu vas pouvoir… Je m’arrête. 450 euros. Mes mots se coincent dans ma gorge. Ma petite sœur égoutte les pâtes dans l’évier, sans rien dire. Elle a visiblement déjà renoncé. Je reste figée, le papier encore en mains. Est-ce qu’on a les moyens ? Bien sûr que non. Sauf si papa décide de se sortir les doigts. Ce qui n’arrivera probablement pas. Je me mords le pouce, nerveusement. Je réfléchis, cherche une solution magique. Rien ne me vient. Et puis mon p****n de téléphone, aussi ! Je souffle. Ma petite sœur sert ses pâtes dans une assiette et commence à manger en silence. Comme si elle s’en foutait. Mais je la connais. Je sais qu’au fond, elle souhaiterait y aller. Je la regarde mâcher ses pâtes au fromage, les yeux baissés. C’est une ado comme les autres, bien sûr qu’elle adorerait y aller. - C’est pas grave, dit-elle enfin. De toute façon, l’Espagne c’est surcôté. Je ne la crois pas une seconde. Elle dit ça pour que je ne me sente pas coupable. - Non mais… On va trouver un moyen. Elle me coupe : - Au fait, t’as trouvé quoi hier au final ? Mon souffle se bloque.
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