Annibal
Le noir total m'enveloppait, et je sentais mon cœur accélérer légèrement. La pièce semblait se resserrer autour de moi, chaque ombre devenant plus oppressante, chaque mouvement plus incertain. Je n’étais plus seul dans cet espace. Je le savais. Elle était toujours là, quelque part, à me fixer, à attendre. Mais où ? Comment réagir quand tout devient flou ?
Je tendis l’oreille, cherchant un bruit, un indice, quelque chose qui puisse me guider dans ce vide absolu. Mais je n’entendais rien, à part ma propre respiration, maintenant plus rapide et plus bruyante que je ne l’aurais voulu. Puis, dans cette obscurité totale, une voix. Douce, mais ferme. Elle semblait provenir de tous les coins de la pièce, comme un écho invisible.
« Vous êtes perdu, Anibal. »
Le nom, prononcé par une voix féminine calme mais perçante, fit l'effet d'un électrochoc. Je n’avais jamais entendu quelqu’un prononcer mon nom. Ceux que j’éliminais, les victimes, étaient tous des anonymes. Je n’avais jamais eu de connexion, aucune empathie. Mais ce simple mot, lancé dans la pénombre, me fit douter, m’ébranla comme une vague frappant un rocher solide.
Je cherchai ma lampe de poche dans ma veste, mais en la sortant, je me rendis compte que ma main tremblait. Je secouai la tête, cherchant à reprendre le contrôle. Je devais rester calme. Ce n’était qu’une distraction, un petit contretemps. Je devais trouver une issue. Mais au fond de moi, une petite voix murmurait que ce n’était pas aussi simple. Cette rencontre, cette femme… tout cela semblait trop étrange, trop hors de contrôle.
La lumière s’alluma finalement, mais pas là où je l’avais attendue. Une lumière tamisée s’alluma soudainement au fond de la pièce, derrière moi, projetant une silhouette claire sur le mur. C’était elle. Elle était là, devant moi, dans la lumière douce, mais sa présence semblait plus imposante que jamais.
Elle avait toujours ce sourire énigmatique, cette lueur dans les yeux qui ne correspondait pas à ce que devait être la situation. Je la scrutai, cherchant à comprendre ce qui se passait, mais rien dans son comportement ne laissait entendre une menace immédiate. Elle ne semblait pas vouloir fuir, ni m'attaquer. Elle restait là, stable, dans une posture détendue.
« Vous vous êtes perdus bien avant d’entrer ici, Anibal. » Elle marqua une pause, me fixant intensément. « Vous ne voyez pas, n’est-ce pas ? Vous êtes dans un labyrinthe. Mais vous ne pouvez même pas en sortir. »
Le ton de sa voix, doux mais chargé de sens, créait une ambiance étrange, presque surnaturelle. Je m’avançai lentement, analysant chaque mouvement. Je ne pouvais pas me permettre d’avoir peur. Ce n’était qu’une femme. Je l’avais observée, je savais tout d’elle. Ou du moins, je pensais tout savoir.
Mais la pièce semblait différente. Tout semblait flou. J'avais l’impression que les murs bougeaient, que l’espace autour de moi se resserrait. Je secouai la tête, essayant de clarifier mes pensées. Peut-être était-ce un piège. Un test. Mais je ne devais pas me laisser distraire.
« Qui êtes-vous vraiment ? » demandai-je, ma voix se voulant ferme. « Ce n’est pas normal. Vous… vous ne devriez pas être ici. »
Elle éclata de rire, un rire léger, presque mélodieux, mais qui fit froid dans le dos. Elle se rapprocha lentement de moi, ses yeux brillant d’un éclat mystérieux.
« Vous me trouvez étrange, n'est-ce pas ? » dit-elle avec une pointe de malice. « Mais vous n’êtes pas dans un lieu où vous avez le contrôle. Vous croyez tout savoir, n'est-ce pas ? Vous vous êtes toujours cru invincible, l'ombre parfaite, celui qui manipule tout autour de lui. Mais je crois que vous avez oublié une chose. »
Je me sentis pris au piège. Je ne comprenais pas. Chaque mot qu’elle prononçait semblait glisser sous ma peau, pénétrer dans mes pensées, ébranler ce que je croyais être ma vérité. Je m’efforçai de repousser la confusion qui s’installait lentement dans mon esprit. Elle n’était qu’une cible. Elle devait être la cible.
Je me redressai, ma main toujours crispée sur mon arme, mais elle me devança, glissant à côté de moi avec une agilité presque surnaturelle.
« Vous vous êtes toujours cru au-dessus de tout, mais tout cela… tout cela n’était qu’une illusion. » Elle s’arrêta juste devant moi, posant une main sur mon torse. « Vous n’êtes pas ce que vous croyez être. »
Je la repoussai brusquement, le souffle court. Je savais que je ne devais pas la laisser se rapprocher ainsi. C’était une violation de ma zone de confort, quelque chose que je ne pouvais tolérer. Pourtant, au fond de moi, une petite voix me criait que cet instant n’était pas simplement une question de mission. C’était bien plus que cela. Je le ressentais profondément, au plus profond de mon être.
Elle se recula légèrement, son sourire ne quittant pas ses lèvres. Elle semblait jouer avec moi, m'attirer dans un jeu que je ne comprenais pas. Mais qu'était-elle en train de me dire ? Qu’essayait-elle de me montrer ? Ces mots… ils me frappaient comme des vagues déferlantes, et je ne savais pas comment me défendre.
Je m’éloignai de quelques pas, mon esprit en pleine ébullition. Je pris une grande inspiration, tentant de reprendre mon calme. Chaque seconde passée ici semblait me faire m’éloigner un peu plus de la réalité que j’avais connue. La mission devenait floue, irréelle. Comment cela avait-il pu déraper ainsi ?
Elle me regarda en silence, mais ses yeux exprimaient quelque chose de plus que de l’amusement. Ils étaient chargés d’une sorte de compréhension silencieuse. Elle savait ce que je pensais, ce que je ressentais. Et plus je tentais de fuir cette vérité, plus je m’enfonçais dans mon propre labyrinthe intérieur.
« Vous êtes venu pour tuer, n’est-ce pas, Anibal ? » demanda-t-elle doucement, comme si elle posait une question toute simple. « Mais vous savez, tuer n’a jamais été votre problème. Vous avez toujours eu peur de vous perdre, de vous retrouver face à vous-même. »
Je serrai les poings, le souffle devenu plus court. Ces mots me frustraient, m’énervaient. Je n’étais pas là pour entendre des jeux d’esprit. J’étais là pour accomplir une mission. Mais plus je luttais contre ce sentiment croissant de doute, plus je sentais que cette mission n’était plus qu’un prétexte. Une illusion que je m’étais créée pour éviter d'affronter la réalité de ce que j'étais devenu.
Je devais m’en aller. Je devais reprendre le contrôle.
Mais alors que je m'apprêtais à quitter l’appartement, je me rendis compte que la porte par laquelle je’étais entré avait disparu.