Annibal
Je m'arrête, figé devant la porte qui n’est plus là. Mon esprit se crispe, ma vision se trouble. L’espace autour de moi commence à se distordre, comme si la réalité elle-même se tordait sous l'effet d’une force invisible. Cette pièce… Ce n’est plus un appartement. C’est un piège. Un piège que je n’avais pas vu venir, un piège dont je ne peux plus échapper.
Je scrute frénétiquement les murs, cherchant une sortie, mais tout se modifie autour de moi. Les angles de la pièce semblent se courber, de façon presque imperceptible. L’illusion d’un espace clos devient de plus en plus oppressante. Le labyrinthe invisible s’étend et les frontières disparaissent dans l’ombre.
Je me tourne vers elle. Elle est toujours là, calme, sereine, observant mon agitation avec une tranquillité déconcertante. C’est fou, mais c’est comme si elle était devenue l’épicentre de tout ce qui m’arrive. Son calme, sa certitude, c’est comme des lames plantées dans mon esprit. Elle sait. Elle sait ce qui se passe, et ça me déstabilise plus que tout.
"Vous avez vu la porte disparaître, n'est-ce pas ?" Sa voix douce, presque comme un murmure, percute l’air. C’est une simple observation, mais chaque mot résonne dans ma tête comme une vérité évidente. "Vous n’êtes pas dans le monde que vous croyez, Anibal."
La chaleur glaciale me prend, me brûle de l’intérieur. Le malaise grandit, me serre dans un étau. Je n’arrive pas à chasser la panique qui monte en moi, mais je lutte pour garder le contrôle. Je suis Anibal. Je n’ai pas peur. Je contrôle toujours la situation. Mais là… Ce soir, je ne suis plus sûr de rien.
"Qu’est-ce que vous me voulez ?" ma voix est sèche, pourtant elle tremble de confusion. Je ne suis pas là pour comprendre, je suis là pour accomplir une mission. Un seul objectif. Mais elle… elle change tout.
Elle me fixe sans répondre tout de suite, un sourire presque imperceptible flottant sur ses lèvres. Elle semble lire chaque miette de mon âme, comme si chaque mouvement de mes lèvres était une page de ma vie qu’elle déchiffre sans effort. Je suis nu devant elle. Et ça, je ne peux pas le supporter.
"Ce que je veux ?" répète-t-elle lentement, comme si elle savourait ses mots. "Je ne veux rien. C’est vous qui voulez quelque chose. Vous êtes celui qui est ici pour accomplir une tâche. Mais la vraie question, Anibal, c’est pourquoi vous êtes ici. Pourquoi vous faites ce que vous faites."
Ses paroles s'infiltrent sous ma peau, tirent sur mes certitudes, sur mes principes. Je me sens attaqué, mais je me refuse à céder. Elle ne me contrôlera pas. Je suis plus fort que ça. Plus intelligent. Plus concentré.
"Je n’ai pas le temps pour vos énigmes," je rétorque d’une voix plus dure, repoussant la vague de confusion qui menace de me submerger. "Je ne suis pas là pour discuter. Où est la sortie ?"
Je scrute de nouveau les murs, cherchant désespérément une réponse, mais tout ce que je vois, c’est l’obscurité mouvante qui me dévore. La pièce, elle-même, semble vouloir m’engloutir.
Elle avance lentement vers moi, sans un bruit, comme si elle flottait au-dessus du sol. Elle n’est pas pressée. Elle semble juste m’observer, m’étudier. Quand elle s’arrête à quelques centimètres de moi, un frisson me traverse. Mon souffle s’accélère, une gêne palpable. Je tente de la maîtriser, mais c’est difficile. Elle est là, près de moi, et chaque fibre de mon être me dit que quelque chose cloche.
"Vous avez toujours agi sans réfléchir à ce qui se cache sous la surface, Anibal. Vous vous êtes créé un masque. Vous êtes devenu ce que vous croyez être… un assassin. Mais au fond, vous êtes bien plus que ça, n'est-ce pas ? Vous avez tué, oui. Mais plus que ça, vous avez effacé des vies, des souvenirs, des traces… pour ne jamais devoir affronter ce que vous êtes vraiment." Elle marque une pause, et ses yeux plongent dans les miens. Elle attend, comme si elle savait déjà ce que je vais dire.
Je me sens attaqué, déstabilisé. Mais je refuse de lui laisser ce pouvoir. "Je suis un professionnel," je réponds, la voix rauque. "Ce que je fais, ce n’est pas une question de se regarder dans un miroir. Vous ne comprenez pas. Vous êtes juste une cible."
Elle sourit, d’un sourire triste mais compréhensif, comme si elle savait que j’allais répondre ça. Comme si elle avait déjà vu mille fois cette défense.
"Ah, vous vous trompez, Anibal. Ce que vous faites n’est pas juste tuer. Vous détruisez tout ce qui pourrait vous rappeler qui vous êtes. Vous effacez chaque souvenir, chaque morceau de vous qui pourrait vous faire douter. Mais au fond, vous le savez, n’est-ce pas ? Vous vous êtes perdu bien avant d'arriver ici."
Je serre les poings, m'efforçant de ne pas céder. C’est hors de question de la laisser prendre le contrôle. Je suis ici pour une mission, pas pour me remettre en question. Ce n'est pas le moment. Et pourtant, ses mots… ils me percent. Ils réveillent des doutes que je croyais enfouis à jamais.
"Vous ne savez rien de moi," je lui réponds, la voix plus rauque, tremblante malgré moi. "Vous ne pouvez pas comprendre."
Elle se rapproche encore, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de distance entre nous. J’ai l'impression que l'air autour de nous est plus dense, que tout se fige autour de cette proximité. Je la fixe, une peur que je n’arrive pas à ignorer me saisit. C’est la peur de moi-même.
"Je sais tout ce que vous êtes devenu," elle me dit calmement. "Et vous le savez aussi. Vous avez essayé de fuir, mais vous êtes ici maintenant. Vous ne pouvez pas partir tant que vous n’aurez pas accepté la vérité."
Je tente de me détourner d’elle, mais il n’y a plus d’issue. Plus de porte. Plus de fenêtre. Juste cet espace qui me resserre, qui me piège. La pièce n’est plus un simple appartement, elle est un reflet de mon propre esprit, un labyrinthe sans fin.
"Je n’ai pas le temps pour vos jeux," je dis en serrant les dents, cherchant à repousser cette atmosphère qui m’étouffe. "Je suis là pour finir ce que j’ai commencé."
Elle me regarde un instant, son regard ne me jugeant pas, mais me comprenant d'une manière étrange, silencieuse. Puis, d’une voix douce mais ferme, elle répond :
"Vous pouvez essayer. Mais vous ne quitterez pas cet endroit tant que vous n’aurez pas accepté la vérité."
Et pour la première fois, une terreur sourde m’envahit. Cette mission, ce n’était pas simplement une question de tuer. Non. C’était une confrontation avec moi-même. Et peut-être, tout simplement, avec mon âme.