Chapitre 3
. 12 janvier 2015.
C’était couru d’avance ! Peter le sait dès le début. Le vol n’a jamais rattrapé son retard. À Paris, malgré un sprint d’enfer dans ces foutus couloirs, il a raté la correspondance. Et pour comble de malchance...
— Désolé monsieur, mais aujourd’hui tous nos vols sont « fully booked ». Je ne peux vous proposer qu’une place demain matin à 9 heures sur un avion de notre compagnie.
— Mais moi je m’en f...
À quoi bon s’énerver ! Il y aurait bien une solution. Un vol sur une autre compagnie, en début de soirée. Ce qui le fait atterrir assez tard à Beyrouth. Pas « convénient » comme on dit aux States ! Il faut savoir faire contre mauvaise fortune bon cœur dit l’adage. Il se calme et accepte le vol du lendemain.
— Nous vous réservons une chambre à Paris si vous le voulez bien.
— Non, je veux rester à l’aéroport. On m’a parlé de l’hôtel Sheraton.
L’hôtesse tique un peu. Elle ne peut prendre elle seule la décision. Petit coup de fil dans une langue qu’il pense être de l’arabe. Des hochements de tête. Des « oui, oui » et :
— C’est OK ! Vous avez une chambre au Sheraton comme vous le désiriez. L’hôtel est le seul à être implanté dans l’aéroport. Il a la forme d’un bateau. En sortant, vous ne pouvez pas le rater. Est-ce que nous gardons votre bagage ?
— OK ! Demain, vous êtes certaines, départ à 9 heures ?
— Oui, monsieur, c’est cela. Vous devez vous présenter au comptoir MEA au moins deux heures avant pour les contrôles de police et de sécurité. Avec les excuses de notre compagnie pour ce fâcheux contretemps, je vous souhaite un bon vol demain.
Presque 24 heures à attendre. Il n’a guère envie de faire un tour à Paris. Il n’a pas l’esprit à ça. Pourtant, il ne peut pas rester enfermé dans cette chambre même si elle est très confortable. Il s’installe alors devant internet. Trouver un bon hôtel au Liban. Pas trop luxueux, mais pas un hôtel ordinaire. Si possible pas trop éloigné du centre ville. Ou de cet avocat qu’il doit rencontrer.
Voilà qui semble faire l’affaire : sur la corniche, hôtel Radisson Blu, rue Phoenicia. Parfait pour un « professeur d’histoire de l’art antique ». D’après une centaine de clients, si c’est vraiment l’avis de vrais clients, établissement est très bien rapport qualité-prix. OK ! Il réserve une chambre pour deux nuits d’abord. Il verra ensuite sur place, selon les évènements.
13 heures. Déjeuner vite pris au restaurant du Sheraton. Petite sieste. Puis il paresse dans sa chambre. Il regarde distraitement CNN. Radisson Blu lui demande son numéro de passeport et de carte bancaire pour confirmer la réservation de la chambre. Curieux.
Le passeport, ah ! le passeport ! Dans la banlieue de Portland, avant de partir sur San Francisco pour prendre le vol pour Paris, Peter a rendu visite à un certain Dimitri Sborokowski. Il n’est pas vraiment sûr que ça soit son vrai patronyme. Peut importe. Ce qu’il voulait, c’était un faux passeport, mais bien fait et qui lui permettrait de passer normalement les contrôles de police. Un qui aurait l’air bien réel.
L’entrevue fut digne des meilleures séquences du meilleur thriller connu. Cela ne l’a pas gêné. Il a compris que des précautions étaient nécessaires pour chacun dans ces cas-là. Il n’a pas hésité à payer beaucoup plus cher pour l’avoir rapidement. Livraison toujours dans un endroit très discret.
— Voilà ! Vous avez un vrai faux passeport ou un faux vrai passeport comme vous vouliez, précise le faussaire.
— Qu’est-ce que ça veut dire exactement ?
Dimitri a senti que le doute s’insinuait en lui. Il a tenu à le rassurer pleinement.
— J’utilise de vrais passeports que j’ai « empruntés ». Je ne change que l’identité de la personne. Faites-moi confiance vous n’aurez aucun problème.
— Je le souhaite !
Peter l’examine sous toutes les coutures. Il ne décèle rien d’anormal. Sauf que désormais Peter Woodstone a laissé sa place à Norman Teach, professeur en histoire de l’antiquité, avec moustache, fausse évidemment, et lunettes.
Effectivement, le document n’a éveillé aucun soupçon. Ni au départ. Ni ici en France. Pourvu qu’il en soit de même à l’arrivée au Liban. Il sourit.
Une petite chose l’intrigue. Envol à 9 heures. Arrivée à Beyrouth à 14 heures 15. Il ne m’imaginait pas que le Liban soit si éloigné de la France. Ah ! oui, on change de fuseau horaire. Le temps de sortir de l’aéroport, de sauter dans un taxi, de déposer son bagage à l’hôtel, disons 15 heures 30. Oui ! d’après le plan de la ville, le rendez-vous est situé pas très loin de l’Ambassade de France. Donc, 16 heures sur les lieux. Parfait !
Le lendemain, aucun retard. Il a franchi le contrôle des passeports presque « les doigts dans le nez ». Il a obtenu sans difficulté un visa gratuit pour les citoyens américains après quelques petites questions de routine, il présume, de la part de l’officier de l’immigration qui a même souri en voyant son nom et sa profession.
— Teach ! Professeur. Un nom prédestiné, n’est-ce pas ?
Pendant quelques secondes Peter n’a pas compris ce qu’il veut dire. Puis il s’est suis vite repris et il a ri.
— Oui, oui ! Mais je n’ai pas fait exprès, vous savez.
— Vous allez où exactement ?
— Ben ! Étudier les ruines des anciens ports phéniciens, Tyr, Sidon, mais aussi la colonisation grecque et romaine. Baalbek.
— Je vois. Mais faites très attention à Baalbek. La vallée de la Bekaa n’est pas très sûre avec les évènements en Syrie.
— Je vous remercie pour vos conseils. Je ferai attention, promis.
Maintenant, Peter est même un tantinet en avance sur ce qu’il avait prévu. Le voilà devant la plaque, en arabe et en anglais :
Maître Béchir Choukir
Avocat.
3e étage. Sur rendez-vous
C’est son homme. Ascenseur. Petit couloir, au fond à droite. Il sonne. Une fois, deux fois, avec insistance. Bruit de talons aiguilles. Une charmante brune, la secrétaire vient ouvrir. Très surprise de le voir. Peter pénètre dans la pièce sans attendre ses questions.
— Je viens voir monsieur Choukir.
— Mais... vous avez rendez-vous ?
Rapide coup d’œil dans la pièce. La porte là à gauche doit-être celle derrière laquelle se trouve l’avocat.
— Bien sûr ! Je suis même attendu, dit-il en se dirigeant vers la porte qu’il ouvre et qu’il franchit.
— Vous ne pouvez pas entrer comme ça... s’insurge la secrétaire.
— Qu’est-ce qui se passe Naïma ? Et vous monsieur qui êtes-vous ?
— Si je peux avoir une conversation en privé.
— Mais je ne vous permets pas ! Vous entrez dans mon bureau sans rendez-vous un peu par effraction... intervient Béchir.
— Ne le prenez pas sur ce ton avec moi, coupe Peter. Nous n’avons plus besoin de vous, mademoiselle.
— Euh ! C’est bon Naïma, laissez-nous. Monsieur va bientôt repartir.
— Ça dépendra de vous, murmure Peter.
La secrétaire partie, la porte refermée :
— J’ai besoin de votre aide. Mon nom est Woodstone.
— Wood...!
L’avocat semble réfléchir, mais très vite, il saisit.
— Non ! Vous voulez dire...
— Exact. Je suis le frère de Paul. Le photographe de presse freelance.
— Je suis sincèrement désolé. On a tous appris avec horreur ce qui s’est passé. Quelle tragédie ! Un crime abominable, barbare...
— Merci pour vos condoléances, mais cela ne le ramènera pas en vie. Comment l’avez-vous connu ?
— Dans l’avion. Nous étions l’un à côté de l’autre. Un charmant compagnon de voyage. Jamais le vol ne m’a paru aussi court. Nous nous sommes revus deux ou trois fois et...
— Et ? Oui, je vous écoute.
— Son souhait c’était d’aller en Syrie pour « couvrir la guerre ». C’était son expression.
— Comment y est-il allé ?
— Je l’ai un peu aidé à trouver quelqu’un qui veuille bien l’accompagner et lui faire passer la frontière. Illégalement bien entendu. Du côté de Damas on n’aime pas beaucoup les journalistes étrangers.
— Je peux rencontrer cette personne ?
— Je crains que non ! Il est porté disparu.
— Il vivait où ? Il avait de la famille ? Quelqu’un d’autre pourrait me faire passer la frontière ?
— Ça sera très difficile après ce qui s’est passé récemment. À peine 8 jours. C’est très frais dans toutes les mémoires et au camp...
— Quel camp ? coupe Peter.
— Euh ! Le camp des réfugiés syriens d’Aarsal. C’est là que votre malheureux frère a rencontré son guide.
— Je veux y aller.
— Vous savez, c’est dangereux. Il y a 5 jours un attentat a coûté la vie à cinq religieux qui s’occupent des réfugiés. Ils sont des dizaines de milliers en majorité sunnites qui ont fui la Syrie et nombre d’entre eux dans les montagnes voisines luttent contre le régime de Damas.
— Alors parmi eux je peux trouver quelqu’un... vous pouvez m’emmener à Aarsal ? Mon frère m’a laissé entendre que vous vous occupiez aussi des réfugiés, de leurs droits...
— Demain, c’est difficile, j’ai des tas de gens à voir...
— Je ne peux plus attendre. Vous comprenez !
Après un instant de réflexion, après avoir consulté son carnet, Béchir Choukir fait annuler tous les rendez-vous pour le matin suivant.
— Je veux bien vous emmener au camp. On va voir la famille du guide de votre frère. C’est tout ce que je peux faire. Départ demain matin à 6 heures devant cet immeuble.
— Merci Maître. Mon infortuné frère m’avait dit que vous étiez un type très sympa. Veuillez pardonner mon intrusion de tout à l’heure. À demain. Ne me raccompagnez pas, je connais le chemin.
À la secrétaire, juste avant de sortir, avec son plus beau sourire :
— Mille excuses pour mon attitude en entrant. Un petit présent pour vous, pour me faire pardonner.
Peter dépose sur le bureau un petit paquet. Un flacon de Chanel N° 5.