IIA quelque quatre cents kilomètres de là, Marcel Dufour rendait visite à son beau-frère, Fernand Daucher.
Fernand était une des personnalités de Braignac, une grosse bourgade de huit mille habitants, située sur les contreforts sud-ouest du Massif central. Maréchal-ferrant, premier adjoint de Taillefer, le maire de la localité, c’était un homme respecté et écouté de tous. Il était bâti tout en force, un peu comme Marcel qui avait épousé sa sœur Geneviève.
Marcel Dufour, bûcheron de son vrai métier, avait acheté une petite ferme, « Les Combes », située à l’écart des voies de circulation et, depuis trois ans, il pratiquait l’élevage des moutons. Seulement, Geneviève n’arrivait plus à faire face depuis que son dernier petit commis était parti sans prévenir. C’était le quatrième de suite !
— Pour cette année, on finira comme ça, mais une aide devient indispensable ou alors on arrêtera les brebis. Sans compter que la présence d’une autre personne à demeure ferait du bien à Geneviève. Le problème, je le reconnais, c’est que son caractère est de plus en plus aigri et les candidats ne se bousculent pas ! Je les comprends !
Fernand baissa la tête, comme chaque fois qu’on faisait allusion à la blessure qui avait marqué sa sœur au fer rouge. Il savait bien que Geneviève ne serait plus jamais comme avant, et, il se doutait qu’avec les années son caractère empirerait. Il fallait toute la bonté de Marcel pour s’en accommoder, et encore ! Il se doutait que ses absences répétées n’étaient pas le fruit du hasard. Comme pour confirmer cette impression, Marcel reprit :
— Tu comprends, je suis souvent dans les bois, sur des coupes, ici ou là. Alors forcément, même si je m’arrange pour rentrer le plus souvent possible, il arrive que je m’absente trois ou quatre jours de suite. J’ai besoin de ces moments de solitude, mais la ferme en souffre…
A présent, Fernand laissait parler son beau-frère. Il devinait que, pour être venu le voir en aparté, il devait avoir quelque chose de particulier à formuler. D’ailleurs, Marcel qui ne savait pas comment effectuer sa demande tournait autour du pot et se lançait dans des explications que Fernand connaissait déjà pour les avoir entendues à de multiples reprises : pour bûcheronner, le Jantou, un feuillardier, venait souvent lui donner la main, surtout quand il s’attaquait à de grosses billes ; seulement, à la ferme, Geneviève ne voulait pas que le compagnon franchisse le seuil de la maison : « Il pue pire que le bouc ! » disait-elle. Et il fallait bien reconnaître que l’homme des bois n’était pas précisément porté sur la propreté et que l’odeur qu’il véhiculait en repoussait plus d’un. Aussi, quand il venait aux Combes, il mangeait dans la remise en compagnie de Marcel et, s’il devait passer la nuit, une botte de foin faisait l’affaire.
— Bref, ça fait quatre jeunes bergers qui s’en vont et je me doute que le prochain ne fera pas plus l’affaire ! Et, si on veut garder un troupeau de moutons, il faut trouver une personne qui accepte de rester.
Cette fois, Fernand comprit qu’on entrait dans le vif du sujet.
— J’ai entendu dire que certains organismes plaçaient de pauvres enfants sans parents. Alors je me suis dit que c’était peut-être une solution. Pour le gosse, on serait un peu comme une famille de substitution, et puis qui sait ? Geneviève retrouverait peut-être un peu de sérénité !
Ça, Fernand n’en était pas sûr du tout, mais ça valait peut-être la peine d’essayer. Seulement, ce n’était sûrement pas aussi simple que ça.
— Pourquoi pas ? Fais ta demande, la mairie l’appuiera. Seulement, ça risque de prendre du temps et tu ne choisiras pas le gamin sur un almanach : il faudra prendre celui qui viendra !
— Je m’en doute ! Enfin, fais pour le mieux. Tu sais, Geneviève n’est pas une mauvaise femme, le gosse serait heureux… et moi aussi.
L’espoir qu’il perçut dans ces derniers mots finit de convaincre Fernand. Et, comme il ne voyait rien d’autre à ajouter, il décida de changer de sujet. Il aborda les thèmes de prédilection de son beau-frère, les arbres et le braconnage, tout en buvant un ou deux verres de vin gris. Si bien qu’en retournant chez lui ce soir-là Marcel se sentait plus léger.