Chapitre 3

1132 Mots
Chapitre 3 – Ce qu’il faudrait, dit Mary Lester, c’est que quelqu’un embarque sur le bateau et surveille tout ce petit monde. – Ça serait un peu gros, dit Yves Guennec, le coupable ne manquerait pas de s’en apercevoir et il se garderait bien de faire quoi que ce soit qui puisse éveiller les soupçons ! Et il ajouta, après un temps de réflexion : – Et il faudrait le trouver, ce quelqu’un ! Faire une marée dans le Nord Écosse, ça n’est pas à la portée du premier venu. Il se tut encore un moment, en fixant le rond de citron qui gisait au fond de son verre : – Sous quel prétexte… Mary eut l’impression qu’il se parlait à lui-même. Yves Guennec donnait l’impression d’un homme confronté à un insurmontable problème, qui cherche inlassablement la solution, ne la trouve pas, et qui vit avec cette obsession en se posant cent fois, mille fois les mêmes questions. Au mur il y avait un portrait de Guitte; une photo qui avait été prise alors qu’elle officiait derrière son bar, un instantané en noir et blanc où on la retrouvait si bien, souriante, efficace, la plaisanterie aux lèvres… Et Mary, toujours troublée par ce grog qui l’avait embrasée de l’intérieur, semblait entendre la voix de sa vieille amie : – Vas-y ! Qu’est-ce que tu attends ? En voilà une aventure à vivre ; qu’est-ce que tu restes t’encroûter au commissariat de Quimper avec ces fichues statistiques de délinquance ? Elle s’entendit dire à Yves Guennec : – Vous pourriez embarquer un journaliste, le temps qu’il fasse un reportage photo ? – Il n’y a pas de problème, dit Yves Guennec. Il est déjà arrivé que nous embarquions des équipes de télé. Il suffit que les passagers s’arrangent avec leur assureur. – En l’occurrence, dit Mary, ce serait à vous de vous en arranger. – À moi ? dit Guennec sans comprendre. – Enfin, je veux dire à votre armement. Il la regarda plein d’espoir : – Vous connaîtriez quelqu’un qui… Il n’osa pas terminer sa phrase. Et Mary lui dit : – Oui, moi. À nouveau il la fixa d’un air incrédule. Puis il se mit à rire : – Ce n’est pas sérieux ! Sylvia Guennec s’était figée, la bouche ouverte. – Pourquoi ne serait-ce pas sérieux ? demanda Mary. Vous-même avez admis que, pour dénicher votre pyromane, il fallait quelqu’un d’extérieur au bateau ; et vous avez précisé : avec un prétexte. Eh bien voilà, je suis extérieure au bateau, et pour la circonstance je serai journaliste-photographe, venue faire un reportage sur la dure condition des marins pêcheurs. Et Guennec qui n’y croyait toujours pas : – Ce n’est pas possible … – Qu’est-ce qui n’est pas possible ? Il la regarda, effaré. Elle poursuivit: – Vous n’avez jamais entendu parler d’Anita Conti ? Younn Guennec fit «Si» de la tête. – Eh bien alors ! Ce qu’elle a fait dans les années trente, je peux le faire aujourd’hui, non ? Il bredouilla: – Votre travail… – J’ai encore quinze jours de vacances à prendre sur l’année passée. Je n’aurai aucune peine à obtenir de mon patron l’autorisation de les prendre maintenant. Vous savez, à cette époque, on n’est pas débordé de boulot ! Quand pourrez-vous me faire embarquer ? – Vous voulez vraiment… Guennec n’en revenait pas. Mary se leva et montrant de la tête le portrait de Guitte : – C’est pour elle que je le fais ! Vous me direz quels vêtements il faut emporter… – Je vais vous constituer une garde-robe adéquate, dit Guennec, aux frais de l’armement bien sûr. Vous êtes à peu près de la taille de Sylvia. Il se tourna vers sa femme : – Chérie, tu m’accompagneras à la coopérative maritime demain. Nous irons acheter ce qu’il faut à mademoiselle Lester. – Appelez-moi Mary… Votre mère le faisait, il n’y a pas de raison que nous ne fassions pas de même. Je vous appellerai Yves et Sylvia. Si vous n’y voyez pas d’inconvénients… – Pensez donc ! Non, bien sûr ! Yves Guennec allait et venait, tout agité, slalomant entre les fauteuils. – Ça alors, si je m’attendais… Vous aurez la cabine du lieutenant, c’est à la passerelle. – Et ce malheureux lieutenant ? demanda Mary. – Il dormira en bas, avec les autres ! C’était dit sur un tel ton qu’assurément ledit lieutenant n’aurait pas l’opportunité de refuser. – Personne à bord ne connaîtra ma véritable profession, dit-elle encore. – Sauf le patron, protesta Guennec. – Sauf le patron, concéda-t-elle. – Évidemment, évidemment, bredouilla le capitaine d’armement. Le Drakkar vient à terre la semaine prochaine, il y restera quatre jours, le temps de changer un sondeur. Je vous présenterai au capitaine, à l’équipage… Vous verrez, vous serez bien reçue, ce sont des gens vrais, chaleureux… Si chaleureux, pensa-t-elle, qu’il y en a un qui s’arrange pour essayer de faire griller ses copains. – Quant à votre dédommagement… dit Guennec. – Qui vous parle de dédommagement ? demanda-t-elle. – Moi, dit Guennec fermement. Vous n’allez pas passer quinze jours sur un chalutier industriel en Nord Écosse pour le plaisir ! Toute peine mérite salaire ! Si vous en êtes d’accord, vous serez rémunérée comme un matelot, à la part. – Je ne vous ai pas proposé ça pour gagner de l’argent, protesta-t-elle. – Je le sais bien, dit Guennec, mais vous allez rendre un signalé service à l’armement. – Dans ce cas, dit-elle, j’accepte. Elle avait beau faire, elle était toujours un peu serrée côté budget. Et elle avait vu, dans une boutique de la ville, un superbe manteau qui devrait lui aller à ravir. Elle sourit intérieurement. Combien de jeunes femmes allaient gagner le prix d’un manteau de luxe, en mer d’Écosse, sur un chalutier de grande pêche ? Mary quitta ses nouveaux amis sur le seuil de la porte. Yves Guennec vint l’accompagner jusqu’à sa voiture. Visiblement la proposition que venait de lui faire Mary lui retirait une rude épine du pied. • – Vous voulez prendre des vacances maintenant, en février ? Le commissaire Fabien n’en revenait pas. – C’est le reliquat de mes congés de l’an passé, patron ! – Le reliquat, le reliquat marmonna-t-il de mauvaise grâce, n’avez-vous pas pris une semaine à l’Île-Tudy ? Elle protesta : – Pour les besoins du service ! Officiellement, il me reste quinze jours. – Vous allez aux sports d’hiver ? – Non, je vais faire du bateau. Il la regarda d’un air entendu : – Voyez-vous ça ! Antilles ? Caraïbes ? Grèce ? – C’est un secret ! Mais, si je peux, je vous enverrai une carte postale. – J’y compte bien, dit Fabien. Manquerait plus que ça, que je n’aie pas ma carte postale. Elle demanda avec malice : – Je l’adresse chez vous ? Fabien eut l’air effrayé : – Ça ne va pas ? Ici, vous me l’adressez ici, Lester. Elle le taquina : – Vous n’avez pas peur que ça fasse jaser ? Il écarta l’éventualité d’un geste désinvolte de la main. Il s’en moquait bien, que ça jase au commissariat ! En revanche, ce qui l’aurait fort contrarié, c’est que madame Fabien voie une carte de cette nature. – Eh bien, dit-il, bonne navigation ! Après ces quinze jours nous serons donc quitte. – Presque, patron. Fabien fronça les sourcils : – Comment ça, presque ? Vous aurez bien épuisé vos congés ? – Je ne parlais pas des congés. – De quoi alors ? – Vous ne vous souvenez pas ? Il me semble que vous deviez m’inviter dans un temple de la gastronomie… N’aviez-vous pas parlé du Moulin de Rosmadec lorsque nous avions déjeuné ensemble à l’Île-Tudy ? Le commissaire eut soudain l’air embarrassé : – Euh… oui. Eh bien, nous verrons ça lorsque vous reviendrez. – Parfait, patron. Et moi, je vous raconterai ma croisière. Elle ferma la porte en riant sous cape. Si madame Fabien apprenait que son mari avait invité une jeune femme au restaurant, si madame Fabien apprenait que son mari avait repris deux fois de la mayonnaise, si madame Fabien apprenait que son mari avait fini la bouteille de muscadet… Ah, pauvre commissaire ! C’était bien la peine de jouer les chefs dans son commissariat !
Lecture gratuite pour les nouveaux utilisateurs
Scanner pour télécharger l’application
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Écrivain
  • chap_listCatalogue
  • likeAJOUTER