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L’esprit de Razor se rebella à l'idée qu'elle puisse mourir un jour. Serrant les dents, il s’appuya de sa jambe valide sur le tableau de bord. Il garda une main autour de la sangle attachée à sa taille afin de mieux se stabiliser, et son autre bras autour de la taille de la femelle élancée.
Ils se déplacèrent dans une dance synchronisée lente et douloureuse jusqu’aux sièges situés près de la porte ouverte. Il serra son bras autour d’elle quand l’hélicoptère se déplaça à nouveau sous leur poids. Il sentait qu’il commençait à basculer. La soudaine prise de conscience que les choses étaient sur le point de changer le frappa rapidement, en même temps qu'elle.
— Tenez bon, lui ordonna-t-il en pliant les deux jambes pour donner une poussée, ignorant la douleur brûlante qui tirailla la mauvaise plaie sur sa jambe.
Pendant un moment, le temps s’arrêta tandis qu’ils demeurèrent suspendus en l’air. Razor sentit le souffle chaud de la femelle contre son cou quand elle y enfonça son visage. Ses bras n'étaient plus autour de sa taille mais autour de son cou. Il pivota à la dernière minute afin que son propre corps amortisse le choc quand ils heurtèrent le mur de briques du bâtiment. Ils rebondirent légèrement, mais elle ne le lâcha pas. Il pivota quand ils revinrent contre le mur afin de tourner le dos à la cascade de débris qui furent précipités par le poids de l’hélicoptère.
Il pencha la tête en avant quand elle lui recouvrit l’occiput des mains d’un geste protecteur. Il lui fallut plusieurs secondes avant de réaliser qu'elle avait passé ses jambes autour de sa taille et qu'elle l’attirait plus près du bâtiment. Il grogna contre son épaule tandis qu'elle le serrait fort contre elle.
— Je crois... que nous... sommes parvenus à sortir de l'hélicoptère, murmura-t-elle d'une voix tremblante contre l'oreille de Razor.
— Oui, marmonna-t-il en se reculant.
Il la vit lever la tête avant de regarder en bas, pour enfin le fixer dans les yeux avec un petit sourire aux lèvres. Il sentit son corps se détendre contre le sien tandis qu’elle l’observait avec curiosité. Puis elle fronça les sourcils quand elle étudia la coupure au-dessus de son œil.
— Vous aurez besoin de points de suture pour ça aussi, murmura-t-elle avant de croiser à nouveau son regard.
Elle serra ses jambes autour de lui et leva une main pour lui écarter doucement les cheveux du visage. Son expression changea quand elle frotta une mèche entre ses doigts.
— C’est doux.
— Nous pourrons discuter de la douceur de mes cheveux quand nous ne serons pas suspendus à près de soixante mètres au-dessus du sol, marmonna-t-il, les dents serrées.
Il ne savait pas si c’était la douleur ou la fatigue qui causaient la confusion qui tourbillonnait dans son esprit, mais il trouvait presque impossible de se concentrer sur autre chose que la femelle qui était enroulée autour de lui. Cela ne lui ressemblait pas de permettre à quiconque, et encore moins une femelle extraterrestre, de le distraire de sa mission.
— Désolée, murmura-t-elle en lâchant ses cheveux.
Si elle ne se trouvait pas toujours en danger, il aurait demandé à ce qu'elle poursuive son exploration. Il referma ses bras autour de sa taille quand elle abaissa lentement ses jambes. Il eut soudain peur qu’elle ne tombe.
— Que faites-vous ? cracha-t-il quand elle le lâcha.
Elle arqua un sourcil délicat en le regardant.
— Comme vous l’avez dit, nous ne pouvons pas rester accrochés au bord du bâtiment. Je vais pivoter pour vous tourner le dos. Accrochez-vous à moi et je marcherai le long de la bordure pour nous faire atteindre la fenêtre. Une fois que je serai entrée, je vous tirerai à l'intérieur et je m’occuperai de votre jambe. Des membres de votre peuple viendront-ils vous chercher ?
— Non et oui, lâcha Razor d’un ton frustré.
— Non, personne ne va venir, ou oui, ils vont venir ? demanda-t-elle d’un ton confus, tandis qu’elle pivotait avec agilité entre ses bras en se retenant au tuyau qui passait au-dessus de sa tête avant de courir le long de son dos pour finir noué autour de sa taille. Tenez bon.
Razor serra les dents jusqu’à ce que sa mâchoire se mette à palpiter. Cette femelle irritante n’écoutait absolument pas ce qu’il disait, n’avait aucun concept de sa propre survie et avait besoin qu’on lui botte soigneusement le cul pour s’être mise dans une situation aussi dangereuse. Il ne prit pas non plus la peine de dissimuler son opinion.
Un rire léger emplit l’air autour d’eux quand elle s’accrocha aux briques irrégulières et fila le long de la bordure étroite qui séparait les différents étages. Il se retint d'émettre de plus amples commentaires, craignant de la distraire. Pour le moment, ses bras passés autour d'elle et son corps pressé contre son dos étaient les seules choses qui la retenaient de faire une chute mortelle.
— Vous n’avez donc aucun instinct de survie, femelle ? demanda-t-il tandis qu’elle les entraînait plus près de la fenêtre.
— Bien sûr que si. Vous devriez être reconnaissant que j’aie été là pour vous aider, répondit-elle doucement. J'ai fait cela sans aucune assistance avant, vous savez.
Son commentaire tira à Razor un petit grondement profond.
— Où est votre protecteur ? Votre mâle ne devrait pas vous permettre de faire de telles choses.
Il sentit son corps trembler. Au début, il se dit que c’était à cause de la peur de ce qu’allait penser son mâle du fait qu'elle avait risqué sa vie. Une bouffée de colère noire le balaya à l'idée qu'elle puisse appartenir à un autre mâle. Un mâle tel que... Destin Parks. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que ce tremblement était dû au fait qu'elle gloussait.
— Je n’ai pas de « mâle », comme vous dites, répondit-elle en s’agrippant au châssis dénudé de la fenêtre avant de passer à l’intérieur.
Il lui saisit les mains quand elle se tourna et les lui tendit pour le guider à travers l'ouverture. Il utilisa sa jambe valide pour maintenir son équilibre tandis qu'elle le tirait à l'intérieur.
— Et même si j'en avais un, il n’aurait pas grand-chose à dire sur ce que je fais.
Razor posa ses mains sur ses épaules tandis qu’elle s’affairait à trancher l’épais tissu noué autour de sa taille.
— Moi si, répondit-il d’une voix étonnamment rauque.
Elle leva des yeux surpris en entendant le changement dans sa voix. Il surprit le petit soupir sur ses lèvres. Il pressa alors ses lèvres contre les siennes, comme elle l'avait fait plus tôt. Il ne comprenait pas ce que ce geste voulait dire. Il savait simplement qu’il voulait sentir à nouveau ses lèvres. Son peuple ne pressait pas leurs lèvres ensemble. Leurs dents acérées et leur comportement agressif rendait cela trop dangereux, mais ses dents à elle étaient lisses. Il grogna quand il sentit sa langue toucher prudemment ses lèvres.
Il ressentit l’envie irrépressible de frotter son nez contre son cou et son visage. Il voulait laisser son odeur sur elle afin que les autres sachent qu’elle lui appartenait. Il voulait la marquer comme sienne. Il arracha sa bouche de la sienne tandis que cette pensée lui traversait violemment l’esprit.
Mienne, se dit-il, choqué, tandis qu’il oscillait. Elle est mienne.
— Hé, mon grand, accrochez-vous à moi, dit-elle tout en lui passant un bras autour de la taille. Vous commencez à ressentir les effets du choc et de vos blessures. Laissez-moi jeter un œil à votre jambe puis je verrai si vous avez d’autres blessures.
— Je... vous êtes..., marmonna-t-il avant de glisser le long du mur contre lequel elle l’avait adossé.
— Oui, je suis, le taquina-t-elle d’un ton badin. Destin a tendance à marmonner la même chose quand je suis dans les parages.
La vision de Razor se précisa pendant un instant à la mention de l'autre mâle.
— Qui est-il ? Qui est-il... pour vous ?
Des doigts fins coururent tendrement le long de son visage avant de venir se poser sur sa joue.
— C’est mon frère, répondit-elle simplement.
La fatigue, la douleur et ses blessures assombrissaient sa vision, même s’il luttait contre. La sensation de ses doigts minces qui le caressaient était incroyablement agréable. Il n’avait jamais fait l’expérience de ce sentiment de perfection que faisait naître son contact.
— Mienne, marmonna-t-il d’une voix empâtée. Comment vous appelez-vous ?
Son souffle léger et chaud lui caressa le visage quand elle se pencha en avant pour entendre ce qu’il essayait de dire.
— Je m’appelle Kali, gloussa-t-elle. Kali Parks.
Razor rabattit sa tête en arrière contre le mur.
— Tu es à moi, Kali, murmura-t-il doucement.
— Si cela vous fait plaisir, mon grand, gloussa-t-elle à nouveau en le regardant fermer les yeux. Si cela vous fait plaisir, tant que vous ne me claquez pas dans les mains.
Il entendit ses paroles comme une douce brise dans son esprit. Un petit sourire inhabituel lui étira les lèvres quand il ferma les yeux. Il avait le sentiment que la sentir sous lui le rendrait très heureux.
À moi, pensa-t-il alors que l’obscurité s'abattait sur lui. Mon Amate.