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Razor cligna plusieurs fois des paupières, essayant d’y voir clair. Il demeura parfaitement immobile tout en procédant à un examen de son corps. Il avait l’impression qu’on l’avait battu et meurtri de partout. Il ignora les palpitations, s’efforçant de distinguer les blessures mineures de celles qui pouvaient s’avérer mortelles. Un juron bas résonna dans tout le cockpit quand il se rendit compte qu’il était toujours la tête en bas. La seule chose qui le maintenait en place était le harnais de son siège et il n'y avait rien entre lui et le sol, loin en contrebas. Le pare-brise de l’hélicoptère avait disparu de son côté.
Il leva lentement la main pour essuyer le sang qui continuait de flouter sa vision. Une coupure profonde courait juste au-dessus de son sourcil droit. Ses bras étaient intacts, mais une douleur atroce dans sa jambe gauche lui embrumait les yeux quand il essayait de la bouger.
Inspirant profondément, il baissa le menton pour pouvoir la regarder. Une barre de métal de plus de quinze centimètres était plantée au haut de sa cuisse. Il tourna la tête pour regarder le pilote. Le mâle était suspendu sans vie à son harnais. Une épaisse barre de métal lui sortait de la poitrine.
— Hé, est-ce qu’il y a des survivants ? appela une voix douce derrière lui. Oh, mon Dieu !
Razor tourna la tête autant qu’il le pouvait, mais dans sa position, il ne pouvait voir celle qui avait parlé. Il pouvait simplement sentir sa présence. Une chaleur profonde se mélangea à la douleur qui parcourait ses veines. Frustré, il ferma les yeux et referma ses mains autour du sommet de la tige de métal dans sa jambe et prit une autre inspiration profonde pour se préparer à la douleur qu’il ressentirait en la retirant.
Il ouvrit brusquement les yeux quand il sentit des doigts graciles se refermer autour de son poignet.
— Attendez, murmura la voix rauque près de son oreille. Laissez-moi m’assurer que ça n’a pas touché une artère. Sinon, vous serez mort avant que je puisse vous emmener en sécurité.
Razor tourna la tête et inspira le doux parfum de fleurs sauvages. Un gémissement bas s'échappa de lui avant qu'il ne puisse le contenir. La chaleur éclata à nouveau en lui, le traversant à une telle vitesse qu'il dut refermer les yeux pour apaiser son vertige.
— Je suis mort de toute façon, murmura-t-il quand le métal autour d'eux craqua et se remit à bouger.
— Pas quand je suis là, non, répondit la voix avec une pointe d'amusement. Pour le moment, gardez votre harnais. Je vais passer derrière vous et vous attacher à une sangle pour que je puisse l’ouvrir et vous détacher. Votre deuxième jambe est intacte ?
Razor ouvrit brusquement les yeux et poussa un soupir sifflant quand, à quelques centimètres seulement de son visage, les plus beaux yeux bruns en amande le regardèrent avec un mélange d'humour et de peur. La première pensée qui lui vint fut que c’était la femelle de la photographie qu’il avait étudiée juste avant le crash. La deuxième, plus inquiétante, était qu’elle courait un danger imminent.
— Laissez-moi, lui ordonna-t-il avec un grondement sombre. C’est trop dangereux. Toute la structure peut s’écrouler à n'importe quel moment. Sortez tout de suite. Je me tirerai de là tout seul si j’y arrive.
Kali ignora tout ce qui l’entourait, concentrée sur sa tâche. Si elle prenait le temps d’y réfléchir, elle ferait exactement ce que l'extraterrestre lui demandait. Diable, si elle avait su qu’il y avait un extraterrestre à bord de ce satané hélicoptère « humain », elle l’aurait laisser crever au lieu de risquer sa peau pour le sauver.
Non, ce n’est pas vrai, argumenta en silence son bon côté contre son mauvais côté. Tu l’aurais aidé de toute façon parce que tu es toujours touchée par ceux qui sont dans le besoin.
— Ouais, et voilà où cela m’a entraînée, marmonna-t-elle à voix basse.
— Quoi ? demanda l’extraterrestre avant de pousser un juron quand l’hélicoptère se déplaça à nouveau. Partez !
— La ferme ! lui lança-t-elle, en lui nouant rapidement le tuyau épais d’une lance à incendie autour de la taille.
— Vous...
La voix de Razor mourut quand l’hélicoptère fit une embardée violente.
Cette fois, toute la structure s’affaissa de plusieurs mètres. Une grosse partie de la poutre de queue s’ouvrit et alla s’écraser sur le sol, loin en contrebas. Le mouvement prit Kali par surprise alors qu’elle ajustait ses pieds afin de se placer dans une meilleure position pour détacher les sangles qui le retenaient à son siège.
Elle poussa un cri quand ses points d’appui se dérobèrent sous ses pieds. Elle bascula et serait passée à travers l’ouverture du pare-brise si une main ne s’était pas tendue alors qu'elle tombait pour s’enrouler autour de son bras. Elle glissa jusqu’à ce que les doigts se referment d'une poigne de fer autour de son poignet. Baissant les yeux, elle regarda le sol, se demandant brièvement si c'était ainsi qu’elle allait mourir.
— Non, gronda la voix.
Kali leva les yeux vers le visage de celui qui tenait sa vie dans la paume de sa main. Baissant le regard vers sa cuisse, elle étudia le métal pendant un moment avant de décider qu’à moins qu’il ne présente une constitution entièrement différente de celle des Humains, le métal avait dû rater toutes les artères principales. Elle leva à nouveau la tête et vit la sueur luire sur le front du mâle et ses yeux se voiler de douleur, de détermination et de colère.
— Bon, je crois que le métal dans votre jambe a raté votre artère. Ça va quand même vous faire un mal de chien quand je vais vous le retirer, répondit-elle sombrement. Vous ne devez pas vous évanouir quand je le fais, vous m’entendez ? J’ai besoin que vous gardiez connaissance jusqu’à ce que nous nous soyons tirés de ce pétrin.
— Êtes-vous folle, femelle ?
Sa voix basse et profonde avait un ton d’incrédulité tandis qu'il la regardait, suspendue par une main au-dessus d’une mort certaine.
— C’est la mort assurée pour vous !
— Pas ce soir, non, répondit Kali d’une voix rauque. Simplement... Ne me lâchez pas tout de suite. Je n'aimerais pas que vous me fassiez mentir.
Levant les jambes, elle trouva un bon point d’appui et leva le bras pour saisir l’arrière du siège. Avec ce mouvement, elle se retrouva à califourchon sur ses jambes, le front fermement pressé contre celui du mâle. Elle savait qu’il allait détester ce qu’elle s’apprêtait à faire, mais elle n'avait pas le temps de rendre la tâche à accomplir plus facile. Dès l'instant où il lui lâcha la main, elle agrippa l’éclat de métal fiché dans sa jambe et l’en retira le plus rapidement possible.
— Je suis désolée, murmura-t-elle en le regardant dans les yeux. Je suis vraiment désolée.
Elle lâcha la barre de métal, la laissant tomber à travers la vitre brisée vers le sol en contrebas. Rajustant sa position, elle mit la main dans sa poche arrière et en tira le bandana qu'elle utilisait parfois pour s'attacher les cheveux. Une fois plié en diagonale, il était à peine assez long pour faire le tour de sa cuisse.
Elle détestait devoir lui faire mal, mais son instinct lui disait que le temps leur était compté s’ils voulaient s’en sortir vivants. Elle avait besoin qu’il soit capable de bouger et il en aurait été incapable avec un éclat de métal dans la jambe. Elle leva les yeux quand elle acheva de nouer la b***e de tissu.
La tête du mâle était pressée en arrière contre le siège, ce qui n'était pas une chose facile, étant donné qu’il était suspendu par plusieurs sangles. Son visage était pâle et il serrait les lèvres si fort qu’elles en devenaient presque blanches. Ses yeux avaient pris la teinte de l’or foncé. Ce fut leur lueur de douleur, de colère et de fatigue qui toucha le cœur compatissant de Kali. Elle ne connaissait que trop bien ces sentiments.
Elle leva le bras et lui caressa la joue avant de presser légèrement ses lèvres contre les siennes. C'était la seule chose qu’elle avait trouvée pour lui donner un moment de réconfort. Reposant à nouveau son front contre le sien, elle abaissa la main et saisit la boucle qui retenait les sangles.
— Êtes-vous prêt ? demanda-t-elle doucement. Je vais vous aider à garder l'équilibre. Utilisez votre jambe valide pour prendre appui sur le tableau de bord. Je vous ferai office de jambe gauche. Essayez de ne pas mettre trop de poids dessus si vous le pouvez. Nous ne voulons pas qu’elle cède et que vous vous écrouliez. Cela pourrait faire basculer tout l’appareil. Une fois que nous serons derrière les sièges, la porte latérale est ouverte. Si nous parvenons à l'ouverture et que la grue cède, n’ayez pas peur de tomber. J’ai noué le tuyau autour de vous et il vous retiendra. Laissez-vous glisser jusqu’à l'étage en dessous. Toutes les fenêtres ont été détruites et j'ai retiré les bouts de verre qui restaient, alors laissez le mouvement vous entraîner en sécurité.
— Mais..., commença-t-il d’une voix rauque quand la boucle s’ouvrit et qu’il s’agrippa à elle tandis qu’elle passait ses bras autour de lui pour l’empêcher de tomber. Et vous ?
— Ne vous inquiétez pas pour moi, murmura Kali à son oreille. Je ne vais pas mourir ce soir.