1. Une famille formidable
Pdv Rabia
Je relus le dossier que venait de déposer mon assistante sur la table. Il me fallait vérifier les chiffres avant de le valider. On était en période de fin d'année et comme chaque année, nous devions préparer le bilan financier de l'année écoulée. Je détestais cette période de l'année rien que pour cela. C'était des réunions et des réunions à n'en plus finir. Même si j'avais plusieurs collaborateurs à qui je déléguais beaucoup de choses pour me décharger, je ne pouvais prendre le bilan financier annuel à la légère. Je devais toujours vérifier les documents qu'on me demandait de valider. Je n'avais pas le droit à l'erreur. Même si j'étais la femme du patron, j'avais intérêt à faire mon boulot. Eh oui, depuis plus de dix ans, je travaillais dans l'entreprise familiale. Au début, j'avais juste un poste de comptable, mais Ibrahim avait insisté pour que je poursuive mes études. Il était convaincu que j'avais un avenir de leader dans l'entreprise ou ailleurs. Je ne devais pas me contenter d'une ''simple'' licence en comptabilité. Je suivis son conseil et fis pour commencer un master en fiscalité en cours du soir. Ce ne fut pas facile avec un enfant en bas-âge. Heureusement, mon merveilleux mari me remplaça bien souvent auprès de ma princesse. Même si on avait une nounou, il n'était pas question pour nous de la laisser s'occuper de la petite quand nous étions présents à la maison. Mon master en poche, nous fîmes le choix d'avoir un deuxième bébé qui reçut le nom de ses deux grands pères Cheikh Amadou Lamine. Nous choisîmes après ce garçon tant désiré de nous arrêter à ses deux bout'chous. Mon beau-père allait prendre sa retraite dans quelques mois. Ibrahim n'aurait plus la même disponibilité et il aurait besoin de moi pour la bonne marche de la société. Pendant 6 mois, j'eus la privilège de m'occuper principalement de mon petit Papi, mais après cela, Ibrahim insista pour que je reprenne le travail. Son père quitterait l'entreprise dans 3 mois, il me fallait être à jour de ce qui se passait dans l'entreprise. Je repris donc le chemin du travail. Puis plus tard, je fis d'autres formations pour approfondir mes connaissances. Être épouse, mère et travailler n'était pas facile, mais j'avais jonglé les trois rôles et aujourd'hui j'arrivai à porter facilement les trois casquettes. Avec les années, Ibrahim m'avait nommée directrice financière et Sokhna, ma belle-sœur était la directrice de la communication. Avec cette dernière, notre relation au fil des années s'était détendue. Il fallait dire qu'on était maintenant doublement parenté. Elle s'était mariée avec Alioune, mon cousin paternel qu'elle avait rencontré à mon mariage. Elle était trop heureuse pour continuer à m'en vouloir pour la trahison de Mactar. Mais surtout elle avait intérêt à se mettre toute sa belle-famille dans sa poche. Dey seuy bi (elle joue à l'épouse parfaite). Alioune, dont j'étais de 2 ans son aînée, avait beaucoup de respect et d'admiration pour moi. J'avais compris un peu plus tard qu'il devait beaucoup à mon père. Il était né avec une maladie cardiaque et pendant presque 10 ans, il avait vécu sa vie en ralenti, multipliant les séjours à l'hôpital. Les médecins avec les moyens limités dont ils disposaient ne pouvaient que soigner les symptômes désagréables de sa maladie et ne lui pronostiquaient pas une longue vie. Mon père, alors touché par la détresse de son neveu avait avec sa femme organisé une collecte de dons en France pour payer les opérations onéreuses et tous les autres soins qu'il devait subir pour guérir. Ayant collecté l'argent nécessaire, Alioune rejoignit la France où il resta presque 6 mois. Alioune n'avait jamais oublié le soutien moral et affectif que lui donnèrent mon père et sa femme qui se relayèrent pour lui tenir compagnie à l'hôpital. Je me rappelle encore avec quelle émotion il me montra l'album de la soirée barbecue qui fut organisée avec tous ceux qui avaient fait un don après l'annonce de sa guérison complète. Depuis ce séjour en France, Alioune considérait mon père comme son mentor, son super-héros, son modèle et vu que j'étais la fille adulée de mon père, qui veut garder les grâces d'Alioune a intérêt à me prendre par le sens du poil. J'aurais pu profiter de la situation pour mener la vie dure à Sokhna en représailles de tout ce qu'elle m'avait dit dans le passé. Mais je ne voyais aucun intérêt à la faire souffrir. Je la considérais vraiment comme la petite sœur que je n'avais jamais eue. D'ailleurs, sa seconde fille avait comme second prénom Rabia.
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Je terminais ma lecture quand l'alarme de mon portable sonnait 17h10. J'éteignis mon ordinateur portable et le rangeai dans son étui. Je pris mon sac à main, rangeai dedans mon téléphone portable et le dossier que je lirais sûrement ce week-end et remplaçai mes chaussons par mes escarpins. Puis je quittai mon bureau. Je m'étais donnée une règle d'or pour cette semaine, je ne resterais pas cette semaine après 17h10. La semaine dernière, je restais jusqu'à 19h . Papi m'avait alors fait le reproche de ne pas avoir dîné en famille une seule fois. J'avais décidé de ne pas me le faire redire cette semaine. Je pris l'ascenseur et descendis au parking du sous-sol où j'avais garé ma voiture. Je me rendis d'abord dans une glacerie pour acheter des glaces, puis rentrais à la maison. Je mis les glaces au frigo, puis montai au premier étage. Comme d'habitude, je me rendis dans la chambre de Papi, je frappai et entrai. J'étais nostalgique de l'époque où je rentrais dans la chambre de mes enfants sans frapper, maintenant si je le fais, ils me lanceraient ''Maman, il faut frapper avant d'entrer''. Tchey, khalé maggeu na (les enfants ont grandi).
Papi, en souriant : Bonsoir, Maman Chérie !
Moi, en lui rendant son sourire : Bonsoir, mon Papa chéri.
Je le rejoignis et lui fit une bise sur la joue. Il me le rendit chaleureusement. Il était assis sur son lit et regardait la télé. A 12 ans, il était maintenant un grand gaillard. De taille moyenne, svelte, il ressemblait de plus en plus à son père. Physiquement, mais aussi dans le caractère. J'avais droit à des gestes de tendresse, des mots d'amour. Pourvu qu'il ne change pas et que plus tard, il ne devienne pas le Don Juan que son père était avant de me rencontrer.
Moi : Que fais-tu ?
Papi : Mais maman, tu le vois non, je regarde un manga.
Moi : Ok ! Bon je te laisse.
Papi : Au fait, Maman, je peux passer la nuit demain chez tata Sokhna ?
Mo : Oui, bien sûr ! Mais assures-toi d'avoir fait tous tes devoirs avant d'y aller.
Papi : Je m'y mets tout de suite.
Je quittai sa chambre et me rendis vers celle de sa sœur. Je frappai et entrai. L'ambiance y était bien différente. Anta était assise devant son bureau blanc et étudiait studieusement. Elle leva la tête et me sourit.
Anta : Bonsoir, Maman.
Moi : Bonsoir, ma puce.
Je la rejoignis et lui fis la bise. Comme toujours, elle ne me le rendit pas. Ma fille était l'équation de ma vie. Autant Papi ressemblait à son père, autant ma fille était différente de moi. A 15 ans, elle était en embonpoint. Avec sa forte poitrine, ses rondeurs, ses grosses lunettes, elle n'avait rien pris de ma taille fine. La seule chose qu'on avait en commun c'était notre teint clair, nos yeux amandes, notre longue chevelure et nos excellentes résultats scolaires. Niveau caractère non plus, on ne se ressemblait pas. Elle était d'une timidité maladive, elle préférait la lecture, surfer sur internet et faire ses devoirs que de se faire des amis ou sortir faire du shopping. Ibrahim se moquait de moi en me disant qu'elle devait sûrement hériter ce caractère de moi, puisque lui n'avait jamais été timide. Il prenait cela à la légère en disant qu'elle changerait avec le temps, mais moi, cela m'inquiétait et m'attristait. Depuis ses 10 ans, je ne savais presque plus rien de sa vie. Elle refusait même les câlins et marques d'affection. Dès qu'on la touchait un peu trop, c'était ''Maman, arrêtes je suis plus un bébé''. J'aurais aimé être sa meilleure amie, qu'elle me parle de ses premières expériences, que je puisse lui apprendre à s'habiller, se maquiller etc... Mais dara, ma fille était dans son monde à elle. Quand je me plaignais parfois à Maty, elle me disait que j'étais vraiment né dans le monde des bisounours. Pour elle, j'avais un fantasme de la relation mère-fille qui était différente de la réalité, parce que je n'avais pas été élevée par ma mère. Mais si je l'avais été, j'aurai compris qu'à l'adolescence, les filles se cachent à leur mère. Je devais arrêter de me plaindre. Mais elle ne me rassurait pas, elle n'avait que des garçons et ma fille se comportait avec moi comme si elle ne m'aimait pas. Walay, c'était comme ça que je ressentais les choses.
Moi : J'ai apporté des glaces.
Anta : Chouette !
Pffff! Voilà, la seule façon de faire plaisir à ma fille, lui apporter des glaces. Je la laissai et me rendis dans ma chambre. Il était en train de regarder les news. Assis le dos, face au mur, habillé d'un tee-shirt et d'un short.
Ibrahim, en souriant : Coucou, mon amour.
Moi : Coucou. Tu es rentré depuis longtemps ?
Ibrahim : Je suis rentré directement après le bureau, j'en ai profité pour aller chercher les enfants à l'école et toi comment ça a été ta journée ?
Moi : J'ai apporté des glaces à ta fille.
Ibrahim : Aïe, toi tu as dû avoir une journée difficile.
Moi : Toujours ce foutu bilan à terminer.
Ibrahim : Et tu as eu envie de voir ta fille, de très bonne humeur.
Il rit. Mais sincèrement, il ne devrait pas en rire c'est pathétique. C'est vrai que j'aimais faire préparer des repas légers et sains pour ma famille surtout pour Anta. Les glaces ou autre bouffe supercalorique, je les achetais que quand je voulais voir un sourire radieux sur le visage de ma fille, pendant le dîner au lieu de l'entendre demander si elle peut rajouter de la mayo dans son assiette. Elle voulait mettre de la mayo dans tout comme si ce n'était pas bon, or on ne préparait que de succulents plats. Papi et son père se régalaient toujours sans souci. Mais Anta, mom, toubab bou rew la (c'est une blanche).
Ibrahim, la voix pleine de désirs : Allez, viens ! Je connais un moyen efficace de te détendre. Fermes à clé la porte, on ne sait jamais un de nos bout'chous pourrait débarquer sans prévenir.
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Pdv Ibrahim
Quand enfin on atteignit le paroxysme du bonheur à deux, elle me donna un b****r fougueux et se recoucha sur moi.
Moi : Je t'aime !
Rabia : Je t'aime aussi !
Elle caressa mon torse et j'en fis de même avec son dos. Ça faisait bientôt 15 ans qu'on était ensemble et elle me faisait toujours de l'effet. Son corps était toujours aussi ferme et tonique qu'au début de notre relation. Avec les années, elle était devenue plus sûre d'elle, plus mâture, plus adulte et c'est au lit que ce changement se manifestait le plus. Elle n'était plus la jeune fille rougissante qui se laissait entraîner dans des plaisirs coupables. Non, maintenant, c'était bien elle qui souvent menait la danse et je me faisais bien docile. J'étais un chat et elle, une vraie tigresse. Elle débordait d'imagination et d'énergie dans ce domaine. Elle avait ses feems et j'étais totalement accro. Avant elle, j'avais eu des copines aux astuces et mentalités plutôt européennes. Mais ma femme même si elle avait pris quelques habitudes européennes en côtoyant mon milieu, connaissait aussi des secrets typiquement sénégalais qui me tuaient littéralement. Si au bureau, c'était moi qui dirigeai, dans cette chambre que nous partagions depuis si longtemps, c'était elle la chef. Mais elle avait le tact et la douceur de ne jamais montrer à l'extérieur ni même devant nos enfants qu'elle était ma faiblesse.
Rabia : Bon, je vais prendre une douche rapide, on va dîner. Ne viens surtout pas dans la douche. Si tu n'as pas assez, ce sera après le dîner. Les enfants doivent avoir faim.
Quand elle sortit de la douche, je la remplaçai sous l'eau. Lorsque je retournai m'habiller, je vis qu'elle était déjà partie. Je mis un tee-shirt et un short et descendis.
Je la trouvai avec les enfants dans le salon.
Rabia : Tout le monde à table.
On s'installa autour de la table à manger. Le dîner fut très animé, même Anta ne se plaignit pas du repas et ne demanda pas si elle pouvait mettre de la mayo. Je souris en pensant à cette phrase fétiche de mon aînée. Je les observai sa mère et elle. L'une mince, sportive, active, sociale, féminine, puissante, l'autre ronde, timide, solitaire, un peu paresseuse, doutant d'elle-même. Rabia se plaignait tout le temps d'avoir une fille trop différente d'elle. Mais si elle prenait le temps de gratter un peu le fond, elle verrait que sa fille lui ressemblait beaucoup. Elle avait le même regard, même si à cause des grosses lunettes d'Anta cela ne sautait pas aux yeux et intérieurement, Anta ressemblait beaucoup à sa mère. Rabia avait oublié qu'elle n'avait pas toujours été la femme qu'elle était aujourd'hui. Quand je l'ai connue, elle n'avait qu'une amie et ne communiquait plus avec sa famille. Anta avait hérité d'elle sa timidité et son caractère casanier. Elle avait presque tout pris de sa mère, la seule chose qui lui était propre, c'était ses rondeurs. Du côté de Rabia comme de mon côté, on était tous svelte. Mais bon, Anta aimait un peu trop la mal bouffe, ceci explique cela. Moi, je ne m'inquiétais pas. Ma princesse changera en grandissant. Elle n'avait que 15 ans. Elle finira un jour par faire attention à son poids, à ce qu'elle mange, à ce qu'elle porte. Elle n'était pas négligée, elle était juste dans son monde. Un jour, elle s'intéressera aux trucs des filles, aux histoires d'amour. Pour le moment, ce qui l'intéressait, c'étaient le football, les films d'action, bref la même chose que son père. En fait, c'était peut-être pour cela que je n'étais pas aussi inquiet que Rabia. Ma fille et moi, on s'entendait bien. Tout comme je m'entendais bien avec Papi. On regardait ensemble les matchs de foot, on commentait les exploits de nos équipes favorites, on suivait les magazines de sport à la télé. La seule chose qu'elle ne faisait pas comme nous, c'était faire du sport et ça c'était bien la faute de sa mère. A 5 ans, quand on lui cherchait une activité à faire, Rabia avait refusé qu'elle fasse du football. Moi, j'étais bien content qu'Anta ait choisi ce sport. J'étais vraiment prêt à l'inscrire dans un club pour filles. Mais sa mère m'avait dit qu'elle ne voulait pas que sa fille devienne plus tard une lesbienne. Non, mais je sais pas d'où vient cette rumeur que les filles qui font du foot n'aiment pas les hommes. Bref, elle avait choisi de l'inscrire dans un club de natation. Elle y était restée deux ans, dès qu'elle avait su bien nager. C'était fini, elle ne voulait plus y aller. Aujourd'hui, Rabia se plaint qu'elle soit paresseuse, c'était elle qui l'avait stoppée dans ses élans. Vu comme elle est passionnée de foot, je suis sûre que si elle m'avait laissée l'y inscrire, aujourd'hui, elle aimerait faire du sport et elle serait très active. Je comprenais que Rabia soit triste, je le serais aussi si Papi préférait la couture au sport, mais nak soyons sincère, vu comment est le monde des ados aujourd'hui, je préfère que ma fille ne s'intéresse pas aux robes, aux leggings, maquillage et autres. Au moins, je suis sûr que je suis le seul homme de sa vie. Je sais qu'à son âge, les garçons regardent essentiellement le physique. Ne me jetez pas la première pierre. C'est choquant de dire qu'on est content que notre fille ne soit pas physiquement attirante, mais je suis le mieux placé pour savoir qu'à cet âge, seul 1 garçon sur 1 milliard a de vrais sentiments. Ce qu'ils cherchent à cet âge, ce sont juste les premières fois : la première copine, le premier b****r, la première cigarette, la première party et surtout la première... humm humm. Ce n'est pas avec ma fille qu'un garçon va faire ses premières fois. Qu'Anta continue à vivre dans son monde. Surtout n'allez pas me dénoncer à ma femme, elle ne va pas apprécier.
Rabia : Pourquoi souris-tu ?
Moi : Pour rien !
Gardez tout ce que je viens de dire pour vous.
Moi, taquin : Au fait, Anta, tu ne veux pas de la mayo ?
Anta : Non, papa ce n'est pas la peine !
J'éclatai de rire. Si vous voyez la tête que me lança ma femme. Walay, Anta dinako rey (Anta va finir par la tuer) !
Moi, pour détendre l'atmosphère : Ce soir, on fait quoi ? On regarde un film ?
J'aimais bien passer des moments privilégiés avec toute ma petite famille. Les jours de semaine, on ne pouvait pas se le permettre, mais les week-ends, je faisais tout pour leur proposer une activité.
Rabia : S'il vous plaît, pas de film !
Je pense qu'elle avait compris qu'elle aurait beaucoup de mal à nous imposer un film romantique comme la dernière fois.
Moi : Alors un Monopoly ?
Papi, joyeusement : Ouiii !
Rabia : Moi, ça me va aussi !
Moi : Et toi, Anta ?
Anta : Je veux bien.
Moi : Va pour un Monopoly !
Anta : Après les glaces !
Rabia fit un tchipp retentissant. Nous éclatâmes de rire, Anta la première. Je pense que sur ce coup-ci, elle avait fait exprès d'énerver sa mère. Rabia nous jeta tous un regard froid. Ça ne la faisait pas du tout rire. Elle se leva, résignée.
Rabia : Bon, je vaischercher les glaces. Si ça peut te réjouir, j'ai même pris une glace au nutellapour toi Anta