Le retour de l’Amant

La vie au village était bien loin de l’idéal romantique qu’on s’imaginait. Pour Amina, c’était parfois une prison, un espace clos où l’horizon semblait aussi inatteignable que ses rêves. Debout près de la rivière, elle laissait le vent caresser son visage, ses pensées emportées par le murmure de l’eau. Une voix, forte et autoritaire, la tira brusquement de ses songes. Sa mère (criant au loin) : — Aminata ! Aminata ! Pieds nus, Amina courut en direction du village, le cœur battant déjà à l’idée des reproches qui l’attendaient. De loin, elle aperçut sa mère, une main sur la hanche, l’autre levée vers elle. Sa mère : — Tu étais encore près de cette rivière, hein, Amina ? Amina baissa la tête, gardant le silence. Parfois, le silence valait mieux qu’une mauvaise réponse. Sa mère (soupirant, exaspérée) : — Tu as des tâches à faire ! Piler le grain, tamiser le mil. Mais toi, tu préfères rêvasser alors que le soleil est à peine levé. Amina esquissa un faible mouvement de la tête, prête à se diriger vers les corvées, mais un coup de balai sur ses fesses la fit sursauter. Sa grand-mère (observant la scène) : — Tu l’as trop gâtée. Regarde-la maintenant, cette petite. Amina lança un regard furieux à l’ancienne, mais laissa retomber ses épaules. Sans un mot, elle se mit à piler le grain, son esprit déjà loin, dans ce monde qu’elle seule connaissait. --- Près de la rivière, à quelques mètres du grand baobab, Abdoulaye observait le paysage. Un livre à la main, il venait ici pour se ressourcer, réfléchir. Le village représentait pour lui un équilibre fragile, un pont entre ses ambitions modernes et ses racines ancestrales. Mais ce jour-là, ce n’était pas l’eau ou les arbres qui captèrent son attention. Il la vit. Une silhouette féminine, gracile, presque irréelle, se tenait au bord de l’eau. La lumière du soleil caressait sa peau d’ébène, la faisant briller comme un joyau rare. Elle leva la main pour se protéger des rayons, et ce simple geste suffit à couper le souffle d’Abdoulaye. Il se sentit irrésistiblement attiré, comme poussé par une force qu’il ne comprenait pas. Ses pas, presque involontaires, le menèrent jusqu’à elle. Amina (surprise, reculant légèrement) : — Eh ! Abdoulaye (gêné, levant les mains en signe de paix) : — Désolé, je ne voulais pas vous effrayer. Elle plissa légèrement les yeux, ses longs cils créant une ombre délicate sur ses joues. Abdoulaye sentit son cœur s’emballer. Abdoulaye : — Je m’appelle Abdoulaye. Abdoulaye Sarr. Elle resta silencieuse, comme hésitante. Abdoulaye (souriant doucement) : — Et vous ? Puis-je connaître votre nom ? Amina (murmurant) : — Amina. Le simple son de son prénom résonna en lui comme une mélodie. Abdoulaye : — Un très joli nom. Pourtant, je ne vous ai jamais vue par ici, et je viens souvent. Amina (baissant les yeux) : — Je ne viens pas tout le temps. Il observa ses gestes, sa manière d’éviter son regard, et sentit une timidité charmante dans ses réponses. Abdoulaye : — Je vais m’installer là-bas, sous l’arbre, pour lire. Si jamais… vous voulez discuter ou même lire avec moi, n’hésitez pas. Amina suivit son regard et lut le titre du livre entre ses mains : L’Amour sous les manguiers. Amina (curieuse) : — Ça parle de quoi ? Abdoulaye, surpris qu’elle s’intéresse, se racla la gorge. Abdoulaye : — Une histoire d’amour. Deux amants, un début passionné… une fin tragique. Elle hocha la tête, pensive. Abdoulaye : — Vous aimez la lecture ? Amina acquiesça simplement. Abdoulaye : — Alors… peut-être qu’un jour, nous pourrions lire ensemble. Son invitation semblait sincère, mais Amina hésita. Dans leur village, un homme et une femme seuls ensemble, même pour lire un livre, était mal vu. Amina (secouant la tête) : — Non, merci. Abdoulaye ne put cacher sa déception, mais il garda un sourire poli. Amina (se retournant pour partir) : — Je dois rentrer. Abdoulaye : — J’espère vous revoir bientôt. Elle s’éloigna sans répondre, mais quelque chose dans son regard laissa à Abdoulaye l’espoir d’un futur rendez-vous. --- Quelques jours plus tard Cela faisait maintenant une semaine qu’Abdoulaye se rendait chaque matin près du baobab. La rivière continuait de murmurer, les oiseaux de chanter, mais l’éclat du lieu semblait terne sans la présence d’Amina. Ce matin-là, alors qu’il était plongé dans ses pensées, il aperçut une silhouette familière au loin. Son cœur fit un bond. Abdoulaye (avec un sourire éclatant) : — Waouh, j’ai cru que tu étais un fantôme, un rêve qui s’évapore à l’aube ! Amina, qui portait un panier rempli de feuilles, esquissa un sourire discret. Abdoulaye (s’approchant légèrement) : — J’ai demandé autour de moi, mais tu sembles presque invisible dans ce village. Es-tu sûre d’être humaine ? Cette fois, Amina éclata d’un rire cristallin, un rire qui fit vibrer l’âme d’Abdoulaye. Il observa ses dents blanches parfaitement alignées et sa gencive noire, symbole de beauté dans leur culture. Amina (amusée) : — Tu es un beau parleur, c’est tout. Abdoulaye se mit à rire à son tour. Abdoulaye : — Peut-être, mais ce n’est pas un mensonge. Leurs regards se croisèrent, et dans cet échange silencieux, quelque chose d’intangible mais puissant se créa. Un lien naissait, fragile mais inoubliable. ---Six mois plus tard* Sous le couvert des branches du grand baobab, Amina et Abdoulaye s’étaient retrouvés une fois de plus. Leur relation, secrète et précieuse, s’épanouissait dans les ombres, loin des regards curieux du village. Ce jour-là, Amina arriva avec un sourire radieux, mais elle s’arrêta en voyant qu’Abdoulaye n’était pas encore là. Une première. Elle s’installa contre le tronc de l’arbre, les bras croisés, prête à lui reprocher son retard. Mais bientôt, elle le vit arriver en courant, essoufflé, ses vêtements légèrement froissés. Amina (plissant les yeux) : — Tu as intérêt à avoir une très bonne excuse, Abdoulaye. Il s’agenouilla devant elle, tentant de reprendre son souffle. Abdoulaye : — J’ai… j’ai quelque chose à t’annoncer. Le sourire d’Amina s’effaça. Une ombre passa dans son regard. Amina : — Qu’est-ce qu’il y a ? Abdoulaye détourna les yeux un instant avant de plonger son regard dans le sien. Abdoulaye : — Je vais partir. En Europe. Le silence qui suivit fut lourd, presque oppressant. Amina éclata d’un rire nerveux, pensant qu’il plaisantait, mais le sérieux sur le visage d’Abdoulaye la désarma. Amina (incrédule) : — Tu es sérieux ? Abdoulaye : — Oui. Je ne t’en avais pas parlé parce que je n’étais pas sûr d’être accepté, mais… j’ai enfin reçu une réponse positive. Amina resta muette, fixant un point invisible devant elle. Abdoulaye (s’approchant doucement) : — Dis quelque chose, s’il te plaît. Elle le regarda enfin, les yeux embués de larmes. Amina : — Tu veux vraiment partir, Abdoulaye ? Me laisser ici, seule ? Abdoulaye posa ses mains sur son visage, son pouce effleurant doucement sa joue. Abdoulaye : — Ce n’est pas un adieu, Amina. Je fais ça pour nous, pour te donner la vie que tu mérites. Ce sera difficile, je le sais, mais je te promets que ce n’est qu’une question de temps. Un an, deux tout au plus. Ensuite, je ferai en sorte que tu me rejoignes. Les larmes coulèrent librement sur le visage d’Amina. Amina (en sanglots) : — Je ne veux pas être loin de toi, Abdoulaye. Je préfère mourir plutôt que de vivre sans toi. Abdoulaye la prit dans ses bras, serrant son corps tremblant contre le sien. Abdoulaye (d’une voix douce) : — Ne dis pas ça. Jamais. Tu es ma vie, Amina. Et c’est pour cette raison que je dois partir. Fais-moi confiance. Amina hocha faiblement la tête, le cœur brisé.