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1753 Mots
Amberly Prête pour le souper, je descends à la salle à manger où mon père, ma mère et ma sœur m’attendent déjà. Ma mère se dandine sur sa chaise attendant visiblement que je m’installe avant de prendre la parole. Je m’assieds face à ma sœur. Les domestiques s’animent autour de la table. Ma mère se décide à parler : — Changement de programme. Les préparatifs ont avancé plus vite que prévu. Nous partons ce soir. Je manque de recracher mon Champagne. — Ne penses-tu pas que c’est quelque peu…excessif, Amore ? demande mon père. — Du tout. Le plus tôt nous serons arrivés, le plus vite les festivités pourront commencer. Et puis, il me tarde d’éloigner nos filles de certaines mauvaises fréquentations. — Et c’est reparti, grommelle mon père en levant les yeux au ciel. Je serre les dents afin de réprimer un rire. Lui et moi échangeons un regard de connivence. Du coin de l’œil je peux voir ma mère se redresser sur sa chaise. — Je continuerai à m’entêter de dire que Kyle Woodwork n’est pas fait pour notre fille aussi longtemps que cela me plaira. — Un peu facile de juger sans connaître le garçon, tu ne crois pas ? rétorque mon père. — J’en sais suffisamment à son sujet pour savoir qu’il s’agit de l’enfant illégitime né… — De l’union involontaire d’une jeune domestique qui travaillait pour la famille Chiaro Di Luna et qui a été abusée par le Comte de Clarence, sorcier membre de la noblesse d’Europe du Nord. Ma sœur et moi laissons tomber nos fourchettes. Mon ventre se noue. Des sueurs froides me parcourent le corps. Abusée. La mère de Kyle a été…Je sens la bile remonter dans ma gorge à cette idée. Je me lève de table, tremblante. — Veuillez m’excuser. Sans attendre l’autorisation, je me rue hors de la salle à manger et regagne les jardins. La brise marine se mêle à la fraîcheur de l’air hivernal. Fermant les yeux, je prends une longue inspiration que j’expire lentement puis réitère. — Bella note, vero ? Je tressaute. Rouvrant les yeux, je jette un coup d’œil en direction de la voix. Mon cœur bondit dans ma poitrine. — Kyle ! Je cours à lui. Ses bras puissants m’attrapent au vol. Ses lèvres plaquées contre les miennes, il nous fait tourner sur place avant de me reposer au sol. La tête dans le creux de son cou, je me blottis contre lui. — Ma mère est décidée à me torturer, je soupire, elle me force à me rendre chez notre famille dans le Nord, alors que je n’en ai aucune envie. Il rit : — Je sais. Le Duc et la Duchesse de Monaco doivent s’y rendre, ils m’ont demandé de les accompagner. Je me colle un peu plus contre lui. — Il y a autre chose. Mon père… (Je m’interromps, me racle la gorge.) Mon père nous a dit ce qui était arrivé à ta mère avant ta naissance. Je le sens se crisper. — Tu comprends donc pourquoi je méprise les Royaux et leurs semblables. Excepté toi. Toi et des Alliés… — Amberly ! Je relève la tête. La voix de ma mère résonne à nouveau. Kyle se détache de moi. — Nous en reparlerons. Sans me laisser le temps de réagir, il m’embrasse et fuit aussi vite qu’il est arrivé. Je le regarde grimper le long du mur et disparaître de l’autre côté. — Amber… — Oui, j’arrive maman ! Je regagne l’intérieur du palais. Les domestiques courent dans tous les sens obéissant aux derniers ordres de ma mère. Cette dernière, déjà vêtue de son attirail hivernal, me jette un regard suspicieux. — Enfin ! Peut-on savoir où tu étais ? — Je profitais une dernière fois de nos jardins, je mens posément. Elle soupire tout en faisant signe à l’une de nos femmes de chambre qui m’apporte mon manteau, mon chapeau et mes gants. Je les enfile à la va vite et suis ma mère à l’extérieur. Nous montons dans la voiture à l’intérieur de laquelle mon père et ma sœur sont déjà installés. Le chauffeur claque la portière. — Enfin, soupire ma mère. J’ai bien cru que nous ne partirions jamais. Mon père lui lance un regard impassible avant de poser ses yeux sur moi. — Ça va ? je mime du bout des lèvres. Il me répond d’un signe de tête affirmatif. — Plus tard, ajoute-t-il silencieusement. — D’accord. Nous faisons route jusqu’au Nord de l’ancienne région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, limite entre notre royaume et une partie de celui d’Europe de l’Ouest. Les anciens départements situés au-delà sont devenus partie intégrante du royaume d’Europe du Nord. À notre arrivée, une horde de gardes nous escorte jusqu’à notre train. Malgré l’heure tardive, j’aperçois quelques photographes traîner par-ci par-là. Habituée à leur présence presque constante dans nos vies, je me contente de sourire sans m’attarder sur eux. Le train sécurisé, chacun regagne son wagon chambre. Bien trop nerveuse pour dormir, je demande à Blaire de m’apporter un plaid ainsi qu’un chocolat chaud et m’installe sur la banquette près de ma fenêtre. — Avez-vous besoin d’autre chose avant que je vous laisse pour la nuit ? — Non, ce sera tout merci. — Très bien. Bonne nuit, Altesse. — Bonne nuit. Elle se retire dans une révérence. La porte refermée derrière elle, je retire mes chaussures et déplie le plaid sur mes jambes remontées contre mon torse. Un drôle de frisson court le long de ma colonne vertébrale tandis que le train se met en marche. La tête appuyée contre la vitre fraîche, mon chocolat chaud entre les mains, je regarde l’extérieur défiler lentement puis de plus en plus vite. Royaume du Nord, nous voilà. ** — QUOI ?! Je me réveille en sursaut. L’esprit brumeux, il me faut quelques minutes pour me rendre compte que je me suis endormie sur ma banquette, sans même prendre la peine de me mettre en pyjama. — Il vaut mieux pour vous que cette malle soit à bord ma fille ! rouspète ma mère une pointe menaçante dans la voix. Je me lève et sors dans le couloir. Ma sœur me rejoint en robe de chambre, des bigoudis dans les cheveux et un masque de concombres sur le visage. J’en attrape un que je croque, juste pour l’embêter. Elle m’assène une tape sur la main, non sans sourire. Notre mère débarque, hors d’elle, notre père sur les talons. — Mes filles, je crains que nous ne soyons obligées de nous présenter devant les McCallister en robes de deuil. — Quelqu’un est mort ? je demande spontanément. Mon père émet un rire qu’il tente de faire passer pour une quinte de toux. Ma mère lui jette un regard furibond. Elle se laisse choir sur une chaise et, chose rare, allume une cigarette sur laquelle elle tire une longue bouffée. — Oncle Antonio. — Qui est Oncle Antonio ? — Bon sang…BLAIRE ! Ma servante attitrée entre dans la pièce. Elle s’incline dans une profonde révérence, l’expression impassible. — Aidez la Princesse Amberly à se préparer pour le petit-déjeuner. — Avec les vêtements de deuil, Majesté ? — Oui étant donné… — Je peux très bien garder ceux-là, je les interromps le plus calmement du monde. Ma mère ferme les yeux quelques secondes avant de les rouvrir : — Et demander à Greta de me servir un verre de Sherry. La jeune femme s’incline à nouveau et, d’un geste, m’invite à la suivre. — Je vais avec elles, intervient ma sœur en nous emboitant le pas. Nous rejoignons mon wagon où Elena fait mander sa servante Delia. Ma sœur et moi nous laissons aller aux bons soins des deux jeunes femmes puis rejoignons nos parents, chacune vêtue d’une robe noire en soie et tulle, à encolure en forme de cœur et aux manches trois-quarts légèrement bouffantes. Notre mère marmonne entre ses dents tandis que nous nous asseyons à table. — Ne vous gavez pas trop : pour plaire à ses Messieurs, il ne faut pas ressembler à des oies. Je m’apprête à rétorquer que Kyle m’aime aussi bien plate que ronde, mais Elena m’en dissuade d’un coup de pied discret. Je me contente donc de manger mon repas ravalant ma remarque cinglante. Le repas à peine fini, nous changeons de train. Malgré l’agitation, ma mère s’assure à ce que cette fois-ci rien ne soit laissé derrière. Le voyage parait interminable. Trois trains plus tard, nous montons enfin dans la limousine chargée de nous conduire jusqu’au château de Glamis. N’y tenant plus, je retire mes ballerines et me masse les pieds sous le regard réprobateur de ma mère et celui amusé de mon père. Elena aspire sa lèvre inférieure, les joues gonflées. Notre limousine file dans les fins fonds d’une Ecosse enneigée où la Cour a décidé de se retirer quelques temps. L’imposant château de Glamis se dresse dans la brume plus imposant et effrayant que jamais. Mon père se penche vers moi, le regard complice : — Entre nous, je dirais plutôt qu’il s’agit-là du château de Dracula. Je ris. Elena en fait de même. Ma mère roule des yeux au ciel. Notre véhicule à l’arrêt, j’attrape la poignée de la porte. L’ombre d’un sourire aux lèvres, je saute de voiture. Valets et domestiques s’inclinent instantanément. Le cœur soudainement plus léger, je fuis pieds nus. Le vent me fouette le visage. Derrière moi, j’entends les réprimandes de ma mère que j’ignore allègrement. Ce n’est qu’une fois à bout de souffle que je décide de faire une petite pause. La respiration haletante, je ris de soulagement et m’appuie contre un arbre. A ma gauche, un ruisseau coule tranquillement entre les arbres. Je m’y abreuve, accroupie dans la neige dont la fraîcheur me fait le plus grand bien. — Toujours aussi téméraire. Je me relève d’un bond. Mon regard croise celui espiègle de mon cousin Ethan. Je lui adresse une révérence tout en tendant une main dont il embrasse le dos. — Depuis le temps, il me semblait que nous étions convenus de passer outre les formalités entre nous, remarque-t-il. Content de te revoir Amber. — De même, Ethan. Sourire aux lèvres, il m’offre son bras. — Prête à retourner à notre Cour d’hypocrites ? — Naturalmente. Un rire silencieux s’échappe de ses lèvres étirées en un sourire complice. — Ne t’en fais pas. Nous allons bien nous amuser. — Mmm…, je rouspète tandis que le château entre dans notre champ de vision. Si tu le dis. ** ** ** ** **
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