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1704 Mots
Amberly  Le pas rapide, Ethan et moi regagnons le château à l’intérieur duquel mes parents et ma sœur ont déjà été introduits auprès du Roi Duncan, la Reine Ludivine et le Prince Aydan dans l’un des petits salons du palais où nous les rejoignons. — Leurs Altesses Royales le Prince Ethan McCallister d’Europe du Nord et la Princesse Amberly McAirgidLoch d’Europe du Sud ! annonce le Héraut de la Cour. Les mains moites, je suis mon cousin dans la pièce. Ethan s’incline brièvement puis regagne sa place à droite de sa mère, assise sur le canapé face à l’entrée. Mon regard dérive furtivement vers le jeune homme à sa gauche : vêtu d’un uniforme officiel, les cheveux en-dessous des oreilles, le dos droit, l’ensemble du corps musclé, les yeux d’un beau gris-vert…Aydan. Il me lance un sourire amusé tandis qu’il me surprend en train de le scruter. Les joues empourprées, je détourne la tête et me fend d’une profonde révérence. La voix de la Reine résonne à travers la petite pièce : — Approche mon enfant. Je m’exécute. Aydan me laisse sa place, non sans attraper ma main dont il embrasse le dos au passage. — Ravi de vous revoir Princesse Amberly. D’un signe de tête, il invite son frère à le rejoindre. Tous deux proposent à ma mère et ma sœur de jouer aux cartes avec eux, ce qu’elles acceptent volontiers. La Reine Ludivine me fait signe de m’asseoir. — J’imagine que ta mère t’a d’ores et déjà prévenu que tu allais passer beaucoup plus de temps parmi nous. — Je… — Cela veut dire qu’il va falloir que tu mettes fin à ta relation avec ce jeune Travailleur, poursuit-elle sans me laisser le temps de répondre. Aussi utiles soient-ils, les Royaux ne se mélangent pas aux Travailleurs. (Je me mords la joue pour me retenir de commenter.) Il va aussi falloir que tu approfondisses tes connaissances en Langues, en Histoire, en Géographie et en Politique. (Je fronce les sourcils.) Ton aînée et toi êtes promises à un bel avenir, ajoute-t-elle dans un sourire de convenance. Je serre les mains, horripilée par une telle prétention. Aydan s’approche de nous. Je lève la tête. Mon regard se perd dans le sien. — Cousine Amberly, accepteriez-vous de jouer au piano ? — Altesse… — Cela me ferait très plaisir, me coupe-t-il. Je vous en prie. Soupirant discrètement, je me lève et vais m’installer au piano situé dans un coin de la pièce. — Puis-je me joindre à ma sœur ? demande Elena. — Non, répond la Reine Ludivine, catégorique, Amberly peut très bien s’en sortir seule. Je grince des dents. Consciente des regards sur moi, j’attrape une partition au hasard. Une onde de soulagement s’empare de moi en voyant les notes de Deck the Halls. Après ça, j’enchaîne sur Le Mariage de Figaro. Du coin de l’œil, j’observe Aydan s’approcher de moi. Mon cœur bondit entre mes côtes. La chair de poule me parcourt de la tête aux pieds. La chanson finie, je referme le piano ainsi que les partitions. — J’espère que cela ne vous a pas trop écorché les oreilles, Altesse, je dis à voix basse de façon à ce qu’il soit le seul à m’entendre. — Au contraire. Vous avez fait de nombreux progrès. (Je le regarde. Il me tend sa main.) Puis-je vous escorter jusqu’à la salle à manger ? Je jette un coup d’œil à ma sœur qui cligne des yeux en guise de réponse. Je glisse ma main dans celle d’Aydan dont les doigts se referment fermement autour des miens. La porte du petit salon s’ouvre devant nous. Nous sortons dans le couloir, suivis de notre groupe. Le bruit de nos pas retentit contre le sol marbré, se mêlant aux rires hilares de nos pères au loin. Lorsque nous entrons dans la salle, tous deux sont à table une bouteille et demie de vin vide devant eux. — Ah ! Voici mes futures belles-filles ! s’exclame le Roi Duncan d’une voix rauque. — Rien n’est encore fait, intervient mon père la voix légère et pâteuse. Le Roi Duncan balaie sa remarque d’un geste de la main. — Mon cher Pietro, je me permets de vous rappeler que les discussions de fiançailles ne datent pas d’hier, intervient la Reine Ludivine, cela remonte à la plus tendre enf… — Blablabla, l’interrompt mon père non sans rouler des yeux au ciel. Son compère s’esclaffe au détriment de son épouse. Le visage de cette dernière vire au rouge pivoine. — Non avremmo mai dovuto concedere il beneficio del dubbio a uno sporco ribelle come voi! — Non avremmo mai dovuto concedere il beneficio del dubbio a uno sporco ribelle come voi, l’imite mon père d’un ton moqueur faisant rire le Roi Duncan de plus belle. Son cousin par alliance se lève tout en se tenant les côtes. Mon père en fait de même. Il attrape la bouteille de vin et boit une longue goulée, une lueur défiante dans le regard. — Pietro, arrête, ordonne ma mère. Il lui répond d’un rot. Son regard croise le mien : — Coraggio, mia cara. Il lève la bouteille à ma santé puis, attrapant le Roi Duncan par le bras, sort de la pièce en titubant. Les portes se referment derrière eux dans un claquement sourd. La Reine Ludivine s’apprête à les suivre. Aydan l’interpelle : — Moder. (La Reine se retourne, les poings serrés le long du corps.) Allt i sinom tid. Elle souffle. La mâchoire crispée, elle prend une longue inspiration. Son regard se radoucit. Son corps se détend. Ses lèvres s’étirent en un sourire forcé. — A table ! ** A la fin du repas, ma mère, ma sœur et moi souhaitons la bonne nuit à la Reine et ses fils, puis suivons les gardes chargés de nous escorter jusqu’à nos appartements situés dans l’aile Ouest du château. — Prête à retrouver les fantômes de Glamis ? me nargue ma sœur. — Ferme-là, je marmonne. Elle glousse. — Hush, nous intime ma mère. Les gardes se postent de chaque côté des portes à double battant. Nous entrons dans un petit salon auquel sont reliées nos chambres. Notre père est avachi dans un fauteuil près du feu, un livre en main. — Alors ? Ces jeunes Messieurs ont réussi à ne pas se jeter sur nos filles ? demande-t-il. Ma mère se fige sur place, le visage froid. — Les filles, dans vos chambres. Elena et moi nous exécutons sans broncher. Je laisse ma porte entrebâillée, l’oreille tendue. — Nos filles ! tonne mon père. Vendues ! — Pietro, moins fort, lui intime ma mère. — Ethan, à la rigueur, est un bon gaillard. L’un des rares membres de cette famille à avoir la tête sur les épaules malgré son statut. Mais cet Aydan… — Aydan est le futur souverain d’Europe du Nord. Mon père émet un rire amer : — Un gamin modelé par sa mère à tous les niveaux, oui ! Ce n’est qu’une question de temps avant qu’il ne se fasse renverser. — Mon cher époux, tu as encore trop bu, soupire ma mère. — Tu ne me crois pas ? Regarde ce qui se passe en Europe de l’Est et de l’Ouest ! Ce ne sont pas des alliances qui suffiront à calmer les Travailleurs. Et quand ils auront eu vent de cette légende de… — Ils n’en auront pas vent. Pas à temps en tous les cas. — C’est de l’avenir et de la sécurité de nos filles dont nous parlons. Je refuse de prendre le risque. — Trop tard. (Silence.) Les Accords signés lorsqu’elles étaient enfants ont été ensorcelés de manière à ce que nous ne puissions pas les modifier. Vu ta réaction, c’est la plus sage décision qui ait été prise. — Traditore ! Je ferme la porte que je verrouille derrière moi. Grâce à une petite tablette, qui fait office de sonnette, j’envoie un message à Blaire pour lui faire savoir que je me débrouillerai seule ce soir, puis m’empresse de retirer mes escarpins ainsi que ma tenue que je troque pour une robe de chambre toute simple. Après un petit tour rapide par la salle de bain, je me glisse dans le lit moelleux et éteint la lumière. Le silence finit par retomber sur le salon, signe que mes parents sont allés se coucher. N’y tenant plus, je me lève, revête un châle, une paire de ballerines et sors de nos appartements, l’esprit à vif. Personne dans les couloirs, hormis les gardes. Le château est plongé dans le calme. Tout le monde dort à poings fermés. Les bras croisés sur la poitrine, je regagne les cuisines où je prépare du lait chaud. — Insomnie ? Je me retourne dans un sursaut. Aydan se tient dans l’embrasure de la porte, vêtu d’un simple bas de pyjama et d’un peignoir. — On peut dire ça, oui. Il s’approche. Sa main effleure la mienne me faisant frissonner. Mon être entier s’emballe, conscient de notre proximité. — Je m’en occupe. (Il tire une chaise, m’invite à m’asseoir.) Vous auriez pu appeler les domestiques. — Je ne tenais pas à réveiller qui que ce soit en pleine nuit, je rétorque. (Ses lèvres s’étirent en un sourire en coin.) Qu’y a-t-il ? — Oh, rien. Il attrape deux mugs dans lesquels il verse le lait et ajoute une touche de miel. Chose faite, il s’installe face à moi. — J’ai eu vent du fait que vous aviez des projets avec ce jeune Travailleur, dit-il franchement. Je préfère être honnête avec vous, si c’est cela qui vous empêche de dormir, vous vous prenez la tête pour rien. Votre mère est prête à tout pour éviter ce qu’elle voit comme une mésalliance pour vous, et la mienne se fera un malin plaisir de l’aider. Je soupire : — Altesse… — Je sais que vous êtes de nature sauvage et indépendante, m’interrompt-il avec douceur, mais s’il vous plaît : profitez des jours et événements à venir pour réfléchir. — Réfléchir à… ? Il plonge son regard dans le mien, se penche vers moi. Nos souffles se heurtent l’un à l’autre. Ses lèvres effleurent les miennes et s’en emparent. ** ** ** ** **
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