Chapitre 5

1342 Mots
Chapitre 5Alcool Ambre Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Les cauchemars reprennent de plus belle et ils emportent avec eux le peu de confiance que je m’étais donnée durant cette dernière année. Je ne sais pas pourquoi ils sont de nouveaux présents. Ça faisait quelques mois que je n’en faisais plus, ça faisait quelques mois que je m’en portais mieux. Et cette nuit, alors que je m’assoupissais, je l’ai revu : Alec. Son odeur s’est répandue dans mes songes comme le poison dans mon être. Son rire rauque et diabolique s’est glissé dans mes oreilles jusqu’à me glacer les os. J’ai ouvert les yeux. Ils étaient trempés de larmes, mon corps était moite de sueur. Alec veut ma peau. Il veut me tuer pour ce que je lui ai fait. Je n’en avais plus peur. J’avais réussi à lui échapper, j’avais réussi à être au summum de ma vigilance et ça y est, c’est fini, j’ai la trouille. Pourquoi repenser à tout ça alors que ma vie prend un nouveau tournant chaque jour ? Ça fait un an. Un an que je me bats pour échapper au passé. J’ai mis un an pour me reconstruire. Et ce rêve détruit tous mes espoirs. Dans mon sommeil, il se tenait droit devant mon lit, un flingue à la main. Ses cheveux devenus gras collaient contre la peau de sa nuque, ses yeux verts étaient éteints de toute humanité. Derrière lui, un homme au visage flou, grand et imposant, qui ne cessait de ricaner à tout bout de champ, qui respirait la confiance et la dangerosité. La dangerosité… Comme Hugo Layers. Et s’il s’agissait de lui ? Et si mes songes et cauchemars étaient de sa faute ? Et si mon cerveau m’envoyait un signal d’alarme ? Je ne sais plus… Recroquevillée dans le fauteuil à côté de l’âtre, je tente de me concentrer sur ma respiration pour calmer l’angoisse qui me submerge. J’inspire. Je cale mon souffle et ferme les yeux. Je suis seule. Ils ne sont pas là, pas ici. Je suis seule dans cet appartement, il ne peut rien m’arriver. J’expire. J’écoute les battements de mon cœur, je les ressens, je visualise ma poitrine qui se lève et s’abaisse au gré de ma respiration. Je respire… Mal mais je respire. J’ouvre les paupières, fixe la vitre devant moi qui me renvoie le reflet d’une pauvre fille peureuse et complètement tétanisée. Depuis quand suis-je redevenue cette nana ? Je m’étais juré de ne plus avoir peur, de ne plus ressentir cette tristesse et ce désarroi qui me charcute l’âme, le cœur. C’est depuis ce regard, p****n ! Depuis le regard de Layers ! Depuis que j’ai la sensation qu’il sait pour moi ! Mais pourquoi ? Pourquoi, merde ?! Je me redresse, furieuse. Jamais je ne voulais repenser au passé. Je ne voulais plus penser à ce que j’ai laissé derrière moi, ni aux maux qui m’ont détruite. J’ai changé. J’ai grandi, je me suis forgée, et je me suis battue pour me faire oublier de tous. J’ai tellement souffert que le passé n’était pour moi qu’un mauvais rêve que je parvenais à oublier. En partant, j’avais décidé de vivre. Du haut de mes dix-huit ans j’avais tout plaqué. J’ai tout lâché, famille, amies, amour, pour me sauver. Uniquement pour me sauver. Je pensais être devenue plus forte, je le pensais réellement. Mais cette nuit, alors que je continuais à avancer, ma carapace s’est ébréchée un peu plus encore. Et ça ne me plaît pas. Ça me met complètement en rage d’avoir le pressentiment que le mal est à mes trousses, plus proche qu’il ne l’a jamais été quand j’ai tout fait pour le maintenir à distance. Je me sens perdue, triste et à la fois enragée. Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive, je ne comprends pas mes réactions, encore moins la folie qui fait courir le sang dans mes veines. J’ai envie de hurler, d’arracher mes larmes pour les lui jeter à la gueule et lui montrer à quel point je souffre. Mais Alec s’en ficherait… Parce qu’il veut me tuer. Il a toujours voulu me tuer. Je prends la bouteille de bourbon déjà bien entamée, en avale plusieurs grosses gorgées qui me brûlent la gorge. Je bois chaque soir. Je bois chaque soir pour m’endormir et arrêter de penser. Je bois chaque soir pour perdre momentanément le contrôle de ma vie, en toute sécurité, entre mes murs derrière ma porte verrouillée. Je bois chaque soir pour m’empêcher de rêver, pour empêcher aux démons de venir la nuit me foutre la frousse. Et dorénavant, même quand je suis ivre ils décident de venir me chercher. Je tremble. Je n’ai plus personne, p****n… Même l’alcool qui m’arrache la gueule et me réchauffe les chairs ne me sert plus à rien. Je suis seule et mal dans ma peau, mal dans mon être, mal dans ma vie… Et je vais crever bientôt… ∞ Un grognement s’échappe de mes lèvres quand je me réveille, allongée sur le tapis gris souris de mon appartement. Je me suis endormie là, comme une pauvre alcoolo qui n’est pas capable de se déplacer jusqu’à son lit. Aveuglée par la clarté que filtrent les stores entrouverts, je cligne des yeux, les referme et les rouvre avant de jeter un œil à l’horloge murale. Il est quatorze heures. J’ai raté le départ de Layers. Quelle triste détective je fais. Le mal de crâne que j’ai quand je bois trop se réveille, le flux d’hémoglobine qui parcoure mes veines cogne violemment dans mes tempes. Je suis morte. À mes côtés, la bouteille en verre s’est renversée sur le tapis, noyant mes cheveux, humidifiant exagérément mon haut de pyjama. Je pue l’alcool, je pue la peur, je pue le désespoir, j’ai besoin de pisser, l’envie de dégueuler. Et pourtant le monde ne s’est pas encore arrêté de tourner. Je dois y aller. Mais je n’irai pas. Je n’ai pas envie de rejoindre ma voiture mais je finirai ma journée sur le parking de la Cie Corporations WendyFeelings. Parce que malgré la peur, malgré cette gangrène qui me bouffe de l’intérieur, je veux des preuves… Des réponses aussi. Je veux savoir ce qu’il a à voir avec mon passé. Je veux tout savoir de lui. Je veux savoir pourquoi sa présence est apparue dans mes rêves. Je veux comprendre. ∞ Après une douche bien méritée, j’enfile un jeans, un pull, mes Converses et mon fidèle imperméable. J’ai vomi, plusieurs fois d’affilée. Et comme chaque lever catastrophique qui suit une nuit trop arrosée, je jure de ne plus acheter d’alcool. Je le ferai pourtant. Je me connais assez pour savoir que je céderai à la bouteille une fois que la fatigue commencera à me faire bâiller. Le temps est aussi maussade qu’hier, les nuages n’ont pas encore fini de déverser leur pluie sur la ville de Clast. Sur le trottoir qui longe les immeubles de ma rue, une petite fille à l’anorak rose bonbon saute dans les flaques. Sa mère la gronde, m’irritant au passage. J’adorais faire cela quand j’étais gamine, et ma mère s’énervait contre moi aussi. « Tu te dégueulasses, merde, Ambre ! ». Elle gueulait aussi exaspérée qu’elle pouvait l’être, mais d’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours pensé que les flaques d’eau avaient été créées pour sauter dedans. Je me ressaisis quand la maman avance, la main de sa fille logée dans la sienne, puis trottine jusqu’à ma voiture. Il est quinze heures passées, et je ne suis même pas encore sur mon lieu de travail improvisé. Je n’ai pas la tête à bosser mais je n’ai pas le choix. Durant ma douche, j’ai réfléchi, j’ai pensé, même trop pensé. Je ne dois plus me laisser dicter mes pas par mon intuition. Mon instinct m’a déjà embourbée plus d’une fois. Notamment avec Alec. Mon jugement était nul, mon amour tellement puissant que j’étais devenue écervelée, incapable de voir plus loin que le bout de mon nez. Je dois rester prudente, mais je ne dois pas abandonner. Je ne connais pas Layers, il n’y a pas de raison pour que ma mémoire l’ait effacé, il n’y a pas de sens à ce qu’il sache ma véritable identité. Il m’aurait attrapée sinon. Ce gars travaille dans un bureau de la plus grosse compagnie de la métropole, il est marié depuis deux années à une femme magnifique, il a une vie correcte, une vie banale. Je deviens folle à lier à force de penser que chaque être humain est un potentiel tueur. Je grimpe dans ma voiture, clos les yeux après avoir fermé la portière et bouclé ma ceinture. Je prends une brève inspiration. Faut que je me ressaisisse, faut que j’arrête de divaguer, faut que je finisse cette mission et que je reprenne ma vie en main, comme hier.
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