Chapitre 1-1

1845 Mots
1 Trisha Grove grimaça devant les légères cicatrices sur son ventre plat. Une grande et une demi-douzaine, plus petites, se dispersaient dans plusieurs directions. Elle tira le haut noir de son uniforme pour les recouvrir et se détourna du miroir. Dans son esprit, elle se représenta un meuble classeur métallique, solide et joli. Lorsqu’elle eut une vision nette de celui-ci, elle mit mentalement tous ses mauvais souvenirs dedans et le referma à double-tours avant de jeter la clé au loin. Le fichu meuble trouvait toujours un moyen de se rouvrir, mais il lui fallait de plus en plus de temps pour y arriver, pensa-t-elle avec satisfaction. Trisha sortit son sac de voyage en toile noire avec le logo Boswell International dessus et y rangea deux tenues de rechange, une pour le travail et une pour jouer. Non pas qu’elle jouait encore beaucoup. Oups, pensa-t-elle avec un sourire réprobateur qui ne visait qu’elle, oublie ça. Après avoir fait son sac, elle retourna devant le miroir, releva ses cheveux châtains et fit une tresse torsadée. Ses cheveux étaient extrêmement bouclés, des racines aux pointes. Une fois, elle avait essayé de les couper court et avait découvert que c’était une énorme erreur ! Elle avait fini avec une coupe Afro qui aurait rendu le comédien Carrot Top fier, si ses cheveux avaient été roux. Après cette décision stylistique désastreuse, elle les avait laissés pousser, en se disant que leur poids lui permettrait au moins de les tresser ou de les coiffer dans son style préféré du moment, la tresse torsadée. Elle étudia son visage pendant un moment avec un soupir. Elle devait admettre qu’à vingt-huit ans, elle n’était pas trop mal, au moins avec ses habits. Avec son mètre soixante-sept, sa fine silhouette était bien proportionnée. Elle était un peu forte en haut, mais pas au point que cela devienne un problème lorsqu'elle s'attachait dans un cockpit. Ses cheveux qui descendaient presque jusqu’à sa taille encadraient son long visage étroit. Elle avait un nez droit et des lèvres qui n’étaient pas trop pleines mais pas trop fines. Son plus grand atout était ses yeux brun chocolat. Ils étaient si foncés que la plupart du temps, il était difficile de voir ses pupilles. Son père lui disait encore qu'ils n'étaient pas bruns pour rien chaque fois qu'elle lui faisait passer un mauvais quart d'heure, pensa-t-elle avec un sourire. Ses yeux s’assombrirent lorsqu’elle réalisa que son père attendait sa visite depuis longtemps. Elle devait y aller le mois précédent, mais elle était à court d’excuses à lui donner pour expliquer pourquoi elle ne fréquentait toujours personne. Désolée, papa, je ne peux pas te donner ces petits-enfants dont tu as envie, les médecins disent que c’est trop dangereux. Non je ne vois personne. J’ai été trop occupée par le travail. Non, je n’ai pas eu de nouvelles de Peter depuis le divorce… et ta petite conversation privée avec lui. Oui, je sais qu’il y a d’autres hommes qui… Trisha referma son esprit. Assez ! se dit-elle férocement. Ça fait trois foutues années. Remets-toi ! Trisha imagina un profond trou noir et jeta tous ces mauvais souvenirs dedans avant de les sceller avec un immense couvercle en métal. Après réflexion, elle le rouvrit juste assez pour y jeter aussi Peter avant de le refermer. C’est bien mieux. Trisha gloussa. Après avoir ramassé son sac, Trisha regarda autour d’elle afin de vérifier si elle avait pu oublier quoi que ce soit. Alors qu’elle se dirigeait vers son SUV, elle leva les yeux vers le ciel noir. Ouais, il semblait refléter son humeur. Elle sortit du garage qui se trouvait sous l’immeuble de son appartement et sourit. Au moins, aujourd’hui elle volait. Les prévisions météo indiquaient que le temps devait se dégager plus tard dans l'après-midi. Ses meilleures amies, Ariel Hamm et Cara Truman, et elle, devaient ramener une artiste de l’autre côté du pays dans un jet privé expérimental qui était presque prêt pour la production à grande échelle. Ariel et elle lui avaient fait réaliser des vols de test partout dans le monde. C’était une merveille, avec une navigation et une instrumentation de pointe. Le design profilé était conçu pour la vitesse, et jusqu’à présent, il avait géré à merveille une grande diversité de conditions environnementales. Le téléphone de Trisha sonna tandis qu’elle s’insérait sur l’autoroute qui se dirigeait vers l'aérodrome privé appartenant à Boswell. Elle fronça les sourcils et grommela entre ses dents lorsqu’une voiture faillit heurter son pare-chocs sur la gauche. Le mauvais temps semblait faire ressortir le pire chez les conducteurs. Trisha appuya sur un bouton sur le volant pour prendre l’appel. — Salut, Ariel. — Salut, Trish, dit-elle. Trisha sourit en entendant la voix essoufflée d’Ariel. Apparemment, elle venait de détruire un autre réveil. — Tu as raté ton réveil ? demanda Trisha en souriant. Elles avaient toutes les deux dormi tard en raison de leur longue soirée passée dans le simulateur d’entraînement au centre de recherche de Boswell la nuit précédente, et Trisha n’aurait pas été surprise si Ariel s’était rendue directement du laboratoire de recherche au chenil où elle faisait du volontariat. Ariel aurait vraiment dû être vétérinaire, pensa Trisha en changeant de voie. — Mes fichus réveils tombent toujours en panne. Je ne sais même pas pourquoi je m’embête à en acheter un nouveau. Ils ne durent pas plus d’une semaine avant de cesser de fonctionner, grommela Ariel entre ses dents. — En tout cas, je regardais les prévisions météorologiques et il semble qu’il y aura un éclaircissement pour le début ou le milieu de l’après-midi. Je sais qu’Abby avait hâte de rentrer chez elle. Je n’ai pas eu de nouvelles de Cara, mais elle devrait venir. Je sais qu’elle était soit à Detroit, soit à Philadelphie, je ne me souviens pas de laquelle il s’agit. Enfin, tu sais comment elle est en vol. Nous aurons de la chance si elle n’essaye pas de démanteler le foutu truc à neuf mille mètres sans aucune raison. Oh, et Carmen vient aussi, ajouta rapidement Ariel à la fin. Trisha réprima un petit rire. Elle savait qu’Ariel n’apprécierait pas son humour en ce moment. Carmen était un point sensible pour Ariel. Si la vérité était connue, Trisha pourrait comprendre comment Carmen se sentait. Carmen avait perdu son mari trois ans auparavant d’une façon traumatisante. Trisha pensait qu’elle s’en sortait plutôt bien compte tenu des épreuves qu’elle avait traversées. Elle se reconcentra quand elle entendit une pause à l’autre bout de la ligne et comprit qu’Ariel attendait qu’elle réponde. — C’est super ! Je n’ai pas vu Carmen depuis quelques mois. Est-ce que tu penses que Cara nous a déjà pardonné pour le « blind date » que nous lui avons organisé la semaine dernière ? demanda Trisha. Elle sourit en entendant le soulagement dans la voix d’Ariel quand elle changea de sujet pour quelque chose de moins stressant. — J’espère, ou on pourrait bien devoir aller jusqu’en Californie en battant des bras, dit Ariel en riant. Elles avaient appris une leçon précieuse : ne jamais organiser un « blind date » pour quelqu’un qui non seulement est hyperactif, mais qui est aussi plus intelligent qu’Einstein, en particulier lorsque vous êtes soûles. Le pauvre gars avait fini avec une crise d’asthme au milieu du restaurant. Ni Ariel, Ni Trisha, qui avaient un sérieux coup dans l’aile, ne l’avaient réalisé jusqu’à ce qu’il ne parvienne à récupérer assez de souffle pour demander que quelqu’un appelle une ambulance. — En tout cas, je suis en route et je devrais arriver dans environ vingt ou trente minutes, dit Ariel. — Très bien, j’aimerais refaire les contrôles encore une fois. Je sais que nous avons passé beaucoup de temps dans le simulateur cette semaine pour qu’on soit certaines d’être à l’aise, mais je veux revérifier quelques petites choses, dit Trisha. Elles parlèrent encore quelques minutes avant de raccrocher. Trisha savait qu’elle devait passer encore un appel avant son vol. Elle voulait prévoir un moment pour voir son père afin de lui expliquer enfin ce qu’elle prévoyait de faire. Elle appuya sur le numéro pré-enregistré et attendit d’entendre sa voix grave. — Salut, ma chérie, dit doucement Paul Grove. Comment tu vas ? Trisha sentit le sourire qui se dessinait sur ses lèvres. Elle aimait tant son père. — Je vais bien, Papa. Tu me manques. Paul Grove rit. — Ok, quand est-ce que tu viens pour que nous puissions passer quelques jours dans les montagnes ? — Comment peux-tu si bien me connaître ? dit Trisha avec un soupir. — On est fait du même bois, ma chérie. Donnez-nous l’extérieur avec de la place pour vagabonder, et la paix et la tranquillité du monde autour de nous, et nous pouvons résoudre tous les problèmes du monde, répondit Paul Grove en riant. Alors, sur ces sages paroles, tu viens quand ? — Je fais un vol test jusqu’en Californie pour Boswell International. Je devrais rentrer demain dans la journée. J’ai posé mes congés à partir de lundi. J’arriverai lundi en fin d’après-midi, dit Trisha. Elle avait utilisé le mot « congés » au lieu de « démission » car elle ne voulait pas inquiéter son père et elle n’avait pas le temps de lui expliquer sa décision. Il y avait des choses qu’il valait mieux dire en personne. — Ça me va. Je n’ai aucun client de prévu avant la fin du mois. Je garderai un emploi du temps libre. Combien de temps prévois-tu de rester ? demanda Paul d’une voix bourrue. Il ne voulait pas admettre à quel point Trisha lui manquait. Il savait qu’elle avait sa propre vie à présent, mais cela ne signifiait pas qu’elle ne lui manquait pas. — Je ne travaille pas jusqu’à la fin du mois. Je me disais que nous pourrions parler quand je serai là. Je veux voir quelques petites choses avec toi, répondit doucement Trisha. — Bien sûr, ma chérie. J’ai hâte de te voir. — Merci, papa. Je t’appellerai avant de partir lundi. Je t’aime, répondit-elle. — Je t’aime aussi, Trisha, dit Paul Grove. Fais attention à toi. — Toujours ! répondit Trisha avec légèreté. Elle se sentait déjà mieux. Trisha mit fin à l’appel et se concentra sur le reste du trajet jusqu’à l’aéroport. Il y avait beaucoup de choses auxquelles elle devait réfléchir. Elle avait besoin de parler à Ariel. Trisha avait décidé qu’il était temps de faire des changements. Elle avait donné sa démission à Bosswell International et elle allait rejoindre son père à Grove Wildness Guides. Après son accident, elle avait réalisé qu’elle ne serait jamais acceptée au programme spatial. Qu’elle ne serait jamais capable de toucher les étoiles. Elle avait espéré que rester active dans une carrière dévouée au vol aurait suffi à la satisfaire, mais il lui manquait encore quelque chose. Elle avait finalement réalisé que les soirées tranquilles avec son père et la liberté d’explorer les bois et les montagnes lui manquaient. Mais ce qui lui manquait le plus, c’était le sentiment de faire partie d’une famille. Il était temps de rentrer à la maison.
Lecture gratuite pour les nouveaux utilisateurs
Scanner pour télécharger l’application
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Écrivain
  • chap_listCatalogue
  • likeAJOUTER