— Je ferais mieux d’y aller.
— Bonne idée.
Je lui ai répondu sur un ton froid et avec empressement. Je vois bien que mon comportement le blesse, mais c’est plus fort que moi ! S’il avait réfléchi avant de tout abandonner, nous n’en serions pas là.
Il m’adresse un dernier regard puis tourne les talons. Une fois que je suis certaine qu’il est bien parti, je ferme rapidement la porte et m’y adosse. Sa visite m’a perturbée… C’était bien la dernière personne que je m’attendais à voir ici, chez moi, à New York. J’ai besoin d’aller prendre l’air, pour effacer l’image de Brad dans mon appartement.
Sans attendre une minute de plus, je me dirige vers ma chambre, balance son cadeau sur le lit, me change en moins de deux minutes et sors pour sentir les rayons du soleil se refléter sur ma peau.
Je laisse ma tête me guider. J’en profite pour découvrir un peu plus cette ville que tout le monde adule. Ça fait plus d’un mois que je suis ici, et je n’ai pas pris le temps de visiter ne serait-ce que les lieux touristiques. Pour être honnête, je crois que je n’en avais pas réellement envie, mais peut-être qu’aujourd’hui est le bon jour, celui qui va me permettre de voir les merveilles de la Grande Pomme.
Je laisse mes yeux observer les moindres recoins de l’Upper West Side. C’est le quartier dans lequel je réside, cependant, je n’ai jamais réellement regardé à quoi il ressemblait, trop absorbée par mes pensées et mes soucis.
J’ai vraiment été stupide de ne pas y prêter attention, car ce coin de Manhattan est très sympathique. Malgré les buildings, il y a de nombreuses maisons en brique rouge. Ça a un côté très « british » que j’aime beaucoup. C’est aussi plus intimiste et familial, ça nous ferait presque oublier que nous sommes en zone urbaine.
De nombreux taxis new-yorkais, reconnaissables à leur couleur jaune, défilent à mes côtés. L’idée d’en prendre un pour arpenter ma ville d’accueil est très tentante, mais je décide de rester à pied pour prendre le temps d’admirer chaque petit détail. La découvrir me donne du baume au cœur, m’apaise. J’ai toujours rêvé d’y mettre les pieds et il s’avère que c’est le cas aujourd’hui. Grâce à Madame Fletcher, je réalise un de mes souhaits les plus chers. Je dois avoir des étoiles plein les yeux et un air émerveillé sur le visage.
J’avance dans les rues avec le sourire aux lèvres. Cette promenade me fait oublier la raison de celle-ci. Je suis bien, vraiment bien ! J’ai envie que rien n’entrave mon bonheur, je veux juste profiter des beaux jours et de New York. J’ai enfin l’impression de respirer convenablement, d’avoir trouvé ma place, et d’avoir fait le bon choix en emménageant ici. Je salue chaque passant que je croise même si je n’ai pas de réponse. Je veux leur montrer que je rayonne, ce qui me vaut généralement des regards de travers, mais je m’en tape royalement ! Ils devraient s’estimer heureux de croiser la Sara tout sourire et non celle qui fait la gueule !
Lors de mon escapade découverte, je tombe sur un magasin qui attire tout de suite mon attention, un « French Shop ». Jamais entendu parler ! Mais ma curiosité guide mes pas. À peine entrée, je vois des drapeaux français partout. J’ai l’impression de me reconnecter avec mes racines et mon pays alors que je viens d’y poser les pieds il y a moins de dix secondes. Comment peut-on se sentir aussi à l’aise dans un magasin ? Je décide de l’explorer, peut-être que je dénicherais les produits du terroir qui me manquent affreusement.
En défilant dans les allées, j’ai le sentiment d’être à Paris, d’être dans un supermarché français et je trouve ça incroyable ! Les propriétaires ont parfaitement agencé le tout. Je retrouve beaucoup de choses que je n’ai trouvées nulle part ailleurs. Il y a de la moutarde de Dijon, du vin comme le Chardonnay, du camembert, des baguettes et même des croissants. Je crois que je vais rapidement tomber amoureuse de cette boutique. Même si ce ne sont que des petits riens, pour une expatriée, retrouver ce à quoi on a été habitué toute notre vie fait du bien.
— Est-ce que je peux vous aider ?
Ces quelques mots ont été prononcés dans un français impeccable. Entendre ma langue maternelle ne fait qu’accentuer le sourire que je porte depuis un moment maintenant. Même si je l’entends lorsque j’ai ma sœur ou encore mes amis au téléphone, écouter quelqu’un parler ma langue maternelle en plein New York est exaltant.
Je finis par me retourner et me trouve nez à nez avec une jeune femme d’une trentaine d’années. Elle a la peau claire, les yeux gris et ses longs cheveux sont d’un blond cendré magnifique. Elle fait à peu près ma taille et semble d’excellente humeur.
— Comment vous avez su que j’étais française ?
— Depuis que j’ai ouvert ce magasin avec mon mari, je reconnais toujours l’un de mes compatriotes. Généralement, vous portez tous cet air émerveillé comme si vous étiez de retour en France. Ça fait longtemps que vous êtes ici ?
— Bientôt deux mois ! Ça fait peu de temps, mais parfois j’ai l’impression que ça fait une éternité. Et vous ?
— J’ai emménagé à New York il y a maintenant huit ans et je crois que je ne quitterais cette ville pour rien au monde ! Même si la France et ma famille me manquent par moment, j’ai trouvé l’endroit qui me convient et puis, je peux toujours me raccrocher à mon magasin si j’ai un coup de blues.
Cette femme m’impressionne ! Elle a l’air déterminée à rester sur le continent américain pour le reste de sa vie. Je ne sais pas si j’aurais le courage d’en faire autant. Mais qui sait, peut-être qu’avec le temps, je me construirais mon chez-moi et une famille. Je ne peux pas m’avancer et dire des choses alors que je n’ai aucune certitude.
— Moi c’est Cléo, et vous ?
— Je m’appelle Sara.
— Enchantée, Sara ! Alors ? As-tu trouvé ton bonheur ? Ça ne te dérange pas que je te tutoie au moins ?
Cléo est une boule d’énergie et j’adore ça, elle me fait penser à Agathe… Je crois que c’est la première personne depuis mon arrivée aux États-Unis, avec qui j’échange plus de deux mots. Bizarrement, je me dis que je pourrais bien m’entendre avec elle !
— Non, aucun souci ! À vrai dire, je suis rentrée ici un peu par hasard. Le nom de ta boutique m’a interpellée, j’ai donc voulu assouvir ma curiosité et me voilà !
— J’espère que tu y trouveras tout ce que tu souhaites ! Je te laisse continuer ton petit tour et si tu veux, il y a la presse française au fond du magasin. Elle arrive avec quelques jours de retard, mais c’est toujours ça ! À plus tard Sara.
Sans en dire plus, elle part aussi vite qu’elle est arrivée. Cette femme est vraiment intrigante ! Je ne cherche pas à comprendre et continue de déambuler dans les rayons.
Depuis qu’elle m’a laissée seule, j’ai cette même phrase qui fait écho dans ma tête « il y a la presse française au fond du magasin ». Habituellement, les flashs infos sur mon téléphone me suffisent et si c’est de la presse people, ça m’intéresse encore moins. Mais je ne sais pas, sans réellement réfléchir je me dirige vers l’arrière de la boutique. Peut-être que la France me manque plus que je ne le pensais et que je veux avoir de ses nouvelles ? Pathétique, je suis pathétique ! Si je m’intéresse soudainement à toutes ces merdes, c’est pour avoir des nouvelles de Noah… C’est incroyable, même à l’autre bout du monde il arrive à me faire faire n’importe quoi !
Arrivée devant mon but, je reste plantée là à regarder tous ces magazines qui me font de l’œil.
Sara, ce n’est pas une bonne idée, pars d’ici tout de suite !
J’ai un mauvais pressentiment… Je le sais, je le sens, il y a un truc qui cloche, mais quoi ? J’aimerais seulement que mon instinct fasse fausse route, qu’il ne me pousse pas à regarder les gros titres de cette presse poubelle. Mais, c’est à croire qu’il ne m’a pas entendue, car il ne m’en faut pas davantage pour m’accroupir et jeter un coup d’œil.
Dans un premier temps, je n’ai le droit qu’aux frasques de ces personnalités de la téléréalité et des derniers exploits de Britney Spears. Mais, le dernier Closer m’interpelle et d’une main tremblante, je finis par le saisir.
J’ai peur… Peur de retrouver Noah sur cette couverture dans une position délicate et de souffrir une nouvelle fois, car le titre n’a rien de rassurant « Noah Davis de nouveau célibataire ? ». Pourquoi lire ça me fait mal ? Après tout c’est la stricte vérité, mais ça ne veut pas dire que je l’ai oublié pour autant…
Sur la première de couverture, il est tout sourire, un verre à la main et certainement en boîte de nuit. Apparemment, nous n’avons pas la même définition de la tristesse et du malheur… Connard ! Je me déteste de ressentir tout ça à son égard, mais c’est plus fort que moi, je ne contrôle rien. Il m’est plus difficile de tourner la page que je ne le pensais.
Je fais défiler les pages pour tomber sur l’article qui le concerne, mais j’aurais mieux fait de m’abstenir. Bordel de merde, dites-moi que j’hallucine ! Sur une des photos qui habillent l’écrit, je vois la langue de Noah dans la bouche d’une p*****e !
Je referme immédiatement cette merde, voir Noah agir ainsi me détruit. Les larmes montent sans mon accord… Je ne dois pas pleurer pour lui, à cause de lui, il ne le mérite pas… J’ai trop souffert par sa faute pour déverser ne serait-ce qu’un millième de ma peine pour lui. Qu’il s’éclate avec ses pouffes, qu’il fasse ! Mais, il anéantit l’infime chance qu’il pouvait rester entre nous.
Pour m’assurer que je ne rêve pas, pour prendre conscience de ce qu’il fait, je décide de rouvrir le magazine et lire ce qui est noté. Je sais que je vais encore me faire du mal, mais si je dois arracher le pansement autant le faire maintenant et d’un coup sec…
Je m’arme de courage et commence à lire.
« La vie du célèbre Noah Davis aurait-elle pris un virage à 180 degrés ? Il en est bien possible !
Eh oui ! Il y a plusieurs mois, nous évoquions sa relation amoureuse avec l’une de ses danseuses. Au début inconnue du grand public, nous avons finalement découvert son prénom. Cette jolie jeune femme qui s’avère être très mystérieuse s’appellerait Sara ! Mais qu’en est-il de leur couple ?
Alors que nous nous attendions à une folle complicité sur scène, Sara aurait finalement laissé sa place à une autre sous les feux des projecteurs, mais aussi dans la vie du chanteur.
Depuis plusieurs semaines, Noah a fait son apparition lors de nombreuses soirées à chaque fois accompagné d’une femme différente.
Nous le savons tous, en plus de ses chansons, le jeune homme s’est aussi fait connaître pour ses frasques. Alors qu’il s’était calmé depuis un certain temps, les bonnes vieilles habitudes semblent revenir au galop. Adieu stabilité et bonjour la liberté !
Alors que s’est-il passé dans le jeune couple pour qu’ils mettent fin à leur idylle ?
Noah aurait-il préféré les coups d’un soir à celui de toute une vie ? Nous n’avons aucune certitude, mais les images parlent d’elles-mêmes ! Et il paraîtrait que le chanteur préfère profiter, s’amuser sans retenue et sans penser aux lendemains.
Mesdames, la voie est donc libre ! Si vous voulez tenter votre chance c’est le moment ! »
Les larmes qui perlaient aux coins de mes yeux ont fini par couler… Comment peut-on prendre tout ça avec autant de légèreté ? Il s’agit de la vie des gens, de leurs sentiments, mais cette presse poubelle n’en a visiblement rien à foutre.
Et Noah, alors lui, je crois que c’est le champion ! Le champion de la manipulation et des faux semblants. Je ne veux plus jamais entendre parler de cette ordure. Je l’ai rayé de ma vie, définitivement. Il n’est plus rien, il ne représente plus rien à mes yeux. Il a voulu me traiter comme un vulgaire morceau de viande qu’il pourrait jeter lorsqu’il en aurait marre, mais quel enfoiré !
Je le déteste tellement… Mais je me déteste aussi… Comment ai-je pu croire un seul instant que nous deux c’était possible ? Je suis naïve et vraiment trop conne ! Toute cette histoire, nous deux, la place dans sa troupe, c’était trop beau pour être vrai. Cependant, j’y ai cru de toutes mes forces. Je me suis convaincue d’une seconde chance alors que c’était monté de toute pièce ! Et puis, qui me dit que cette Mia ce n’est pas des âneries ? Ça se trouve c’est le chien qu’il a perdu enfant.
Je me mets à glousser toute seule, de plus en plus fort jusqu’à ce qu’un fou rire incontrôlable me prenne. Je n’arrive pas à m’arrêter, mon Dieu c’est si bon ! Mais, je reviens rapidement sur terre et mes pleurs reprennent de plus belle…
Sans que je ne comprenne réellement comment, je me lève et sors en courant du magasin. Cléo ne comprend pas ma réaction, mais je m’en fiche ! Il faut que je me défoule, que je décharge ma haine. Je ne m’arrête pas et continue ma course en slalomant entre les passants des rues bondées.