J’aimerais tellement pouvoir fuir sans m’arrêter. Aller toujours plus haut, toujours plus loin. Braver les océans pour m’éloigner de tout ce qui me fait du mal. Je ne veux plus souffrir, j’en ai marre, c’est trop pour moi. Je veux éteindre cette douleur tapie au fond de moi… Si j’en avais le courage, je traverserais la rue et un taxi engloutirait mon mal-être. L’idée est tellement tentante qu’elle s’est installée bien confortablement dans ma tête. Mourir pour ne plus subir. Le compromis est plutôt intéressant...
Sans savoir comment, j’arrive devant la Fletcher School. Je ne réfléchis pas plus longtemps et y entre. Je n’adresse pas un mot aux personnes que je croise dans les couloirs. Ils doivent tous me prendre pour une dingue avec mes yeux rouges, à renifler et avec le maquillage qui a certainement coulé. Non je ne suis pas folle, juste une victime de l’amour et des hommes…
Afin de n’être dérangée par personne, je file dans une salle de danse libre. J’aimerais pouvoir me défouler sur la musique comme j’en ai l’habitude pour extérioriser, mais je n’y arrive pas. Ma peine est tellement grande, intense, qu’elle me broie de l’intérieur. Je n’ai plus la force de rien.
Je m’adosse au miroir et me laisse glisser contre celui-ci. J’encercle mes jambes de mes bras, laisse tomber ma tête sur mes genoux et ouvre de nouveau les vannes. Je pleure sans pouvoir m’arrêter, je hurle… Je libère tout ce qui est enfoui au plus profond de moi. J’aimerais repartir d’ici et me dire que tout n’est plus que du passé, mais je sais que c’est impossible. Mon malheur est ancré dans mes veines, dans mon cœur, dans mon âme.
— Est-ce que tout va bien ?
Je lève les yeux vers la personne qui ose interrompre mon apitoiement personnel avant de reprendre ma position initiale. C’est un homme d’environ mon âge. Il porte un air prévenant sur le visage qui me donne la nausée. Je fais tant pitié que ça ?
— Vous savez, vous n’êtes pas obligée de parler, je peux juste vous tenir compagnie.
— Je ne risque pas de sauter par la fenêtre si c’est ce qui vous inquiète, on est au rez-de-chaussée.
— En plus d’être triste, vous êtes une marrante ! Une raison de plus pour rester.
Je ne sais pas ce qu’il me veut, mais s’il continue, il risque de m’énerver.
— Vous êtes peut-être canon, mais ça ne vous donne pas tous les droits !
— Tout gentleman qui se respecte ne laisserait pas une aussi jolie fille seule à broyer du noir.
C’est moi ou il me fait du rentre-dedans ?
— Si c’est un de vos plans drague tout pourri, vous pouvez rentrer chez vous ! Je ne veux pas d’un homme dans ma vie.
— Je ne veux pas que vous restiez seule, c’est tout ! Vous avez l’air tellement malheureuse.
Mon regard se pose sur celui qui se veut être mon bienfaiteur. Il me semble honnête et ne me vouloir aucun mal. Enfin pour l’instant.
Cet inconnu, sorti de nulle part, s’avance vers moi et s’installe à mes côtés. Il ne dit pas un mot, il se contente juste de regarder droit devant lui et il attend.
Il attend… avec moi.
Chapitre 4
Fix You, Coldplay
Noah
— Noah ? Est-ce que tout va bien ?
Ma mère me sort de ma contemplation. Je suis assis sur la plage en contrebas de la maison de mes parents à observer l’horizon. La mer est agitée, elle cogne contre les rochers, d’immenses vagues se dressent puis finissent pas s’écraser. Le vent s’engouffre dans mes cheveux courts. Les mouettes s’égosillent dans le ciel. Tout ceci combiné me prouve que je suis encore sur la terre ferme.
Ça fait trois jours que je suis à Saint Malo. Durant ces soixante-douze heures, j’ai pu me reconnecter avec moi-même et ça fait mal. J’ai pris conscience d’avoir foiré, d’avoir tout foutu en l’air. J’ai agi comme un gamin. C’était plus facile de faire semblant en se noyant dans l’alcool, les soirées et les filles. Mais j’ai été trop bête, car le retour à la réalité est encore plus douloureux. p****n, j’ai vingt-huit ans et je suis incapable d’être un adulte responsable.
— Non… J’ai tout perdu, maman.
Je la regarde, les yeux larmoyants. Depuis que je suis ici, elle ne m’a pas vu une seule fois sourire. Je suis constamment triste à ressasser les évènements du passé. Car oui, Sara fait partie de mon passé même si j’aimerais arranger les choses et me dire qu’elle sera mon futur.
Celle qui m’a donné la vie s’installe à mes côtés et me prend dans ses bras. Ma tête vient reposer sur sa poitrine. Je sens son cœur tambouriner contre sa cage thoracique. J’ai l’impression de me retrouver vingt ans en arrière lorsqu’elle venait me consoler parce que j’avais fait un cauchemar. J’aime sentir la chaleur de ses bras autour de moi, je me sens protégé et plus ce petit-être sans défense…
— Mon chéri, je sais que tu apprécies beaucoup Sara, mais…
— C’est bien plus que ça, maman. Je l’aime…
— Alors bats-toi ! Bats-toi pour elle, pour vous et surtout pour toi.
— Et je fais comment ? Tu peux me le dire ? Elle est partie vivre à des milliers de kilomètres !
— Noah regarde-moi.
Je lui obéis et plonge dans son regard azur, le même que le mien. Voir l’amour qu’elle me porte m’indique que je ne suis pas seul pour traverser cette épreuve. Elle sera toujours là, derrière moi, à m’encourager et me dire si je fais les bons choix ou non.
— Si tu l’aimes vraiment, si tu sens que c’est elle alors écoute ce qu’il y a là.
Ma mère vient poser sa main avec une délicatesse infinie sur mon cœur.
— Je sais qu’il y a trois ans, ta vie a totalement basculé. Depuis Mia, tu n’avais plus foi en rien. Sara t’a redonné espoir alors s’il te plaît, n’abandonne pas. Tu t’étais perdu et tu as su te retrouver auprès d’elle. Et moi, en tant que maman j’ai pu récupérer mon petit garçon. Je ne veux pas que tu fasses chemin inverse, je ne veux plus que tu sois l’ombre de toi-même, ça fait trop mal, Noah… Alors si tu dois te battre pour elle, pour celle que tu aimes, fonce ! Ne te laisse pas guider par ta douleur, elle te nuira. Utilise-la pour devenir plus fort.
Des larmes coulent sur ses joues. Je sais que ma descente aux enfers l’a beaucoup affectée, car, en plus de sa souffrance, elle avait aussi la mienne. Elle voulait être là pour moi, m’aider du mieux qu’elle pouvait, mais elle s’est vite rendu compte que tous ses efforts étaient inutiles. Je n’arrivais pas à remonter la pente et ça l’affectait énormément. Elle voyait son fils dépérir sans pouvoir faire quoi que ce soit. Elle ne pouvait pas honorer son rôle de mère…
— Tu sais, maman, Sara est la seule depuis Mia qui a réussi à me prouver que la vie méritait d’être vécue. Elle a du caractère, une rage de vaincre que je n’ai vue chez personne d’autre. La toute première fois où j’ai rencontré Sara, elle était en pleine crise de panique et j’ai tout de suite voulu l’aider, l’apaiser, protéger ce petit être qui semblait tellement fragile, comme j’aurais pu le faire avec Mia. Mais dès que je l’ai vue danser, j’ai su que c’était une force de la nature. Elle était tellement… époustouflante ! Elle nous transmettait des émotions, nous montrait ce qui était caché derrière cette carapace. En réalité, je crois qu’avec moi elle a tout de suite baissé les armes et j’en ai fait de même avec elle… Je lui ai montré ma part d’homme blessé sans pour autant la lui révéler.
Repenser à notre toute première rencontre, ce jour qui a fait basculer ma vie, me réchauffe un peu le cœur. Je n’ose pas imaginer comment aurait évolué notre relation si je n’avais pas rebroussé chemin cet après-midi-là. Je suis convaincu que mon existence serait totalement différente ! Mais surtout, est-ce que j’aurais vécu cette histoire passionnelle avec Sara ? Cette histoire qui m’a rendu heureux et amoureux, mais qui m’a aussi déchiré et a fait ressortir le pire en moi…
— Si tu as tant confiance en elle, pourquoi ne lui avoir rien dit ?
C’est exactement la question que je me pose chaque jour depuis son départ…
— Je ne sais pas. Je crois que j’avais peur, que j’ai peur…
— Mais de quoi ?
— Qu’elle ne me comprenne pas. Qu’elle ne voit plus le Noah qu’elle a connu, mais le Noah meurtri. Qu’elle ait honte de moi…
— Si elle t’aime autant que tu l’aimes, ce dont je suis convaincue, elle t’épaulera. Tu ne peux pas prévoir le futur sans t’être confronté au présent. En lui cachant la vérité, tu as fait prendre un tournant à votre histoire qui n’avait pas lieu d’être. Ce n’était pas à toi de choisir pour elle, mais maintenant, fais en sorte qu’elle te choisisse ! Tu peux revenir sur tes erreurs et pour ça il faut que tu le veuilles toi-même. Réfléchis-y Noah, toi seul peux décider.
Elle me dépose un b****r sur le haut du crâne avant de repartir et de me laisser seul sur cette plage déserte. En contemplant l’océan, je constate que nous sommes tous deux d’humeur égale. La mer est houleuse tout comme mes pensées. J’aimerais une accalmie afin de pouvoir réfléchir correctement. Si je dois récupérer Sara, je dois faire les choses bien, il faut que ça soit réfléchi. Je ne peux pas me permettre de le faire dans la précipitation. Je veux pouvoir retrouver la femme que j’aime, retrouver notre relation du premier jour. La seule chose qui peut m’aider à y voir plus clair est la musique.
Je décide de laisser cette plage sur laquelle règne le calme pour rejoindre mon piano.
Le piano a ce pouvoir magique de m’apaiser et de me faire réfléchir. C’est le premier instrument dont j’ai su jouer et c’est d’ailleurs le seul. Je me suis tenté à la guitare, mais ça n’a pas duré longtemps. J’ai voulu faire comme tout le monde et essayer la gratte, l’atout incontestable pour draguer les filles. J’ai pris quelques cours sans m’y retrouver. Je n’ai pris aucun plaisir à pincer des cordes alors que le rendu peut être superbe si on prend le temps de les apprivoiser. J’ai toujours préféré faire voler mes doigts sur les touches noires et blanches. À dix ans, je suis tombé en admiration devant cet instrument.
Je ne perds pas une minute de plus et m’assieds sur l’assise en cuir noir. Le jour où mes parents ont acheté un piano, j’ai cru devenir fou ! J’étais tellement heureux que je passais tout mon temps à jouer, et c’est exactement ce qu’il se passe depuis trois jours. Si je ne suis pas à la plage, je suis ici avec ma musique pour jeter mon dévolu sur une partition qui me fera soit oublier, soit me souvenir. Dès que je suis arrivé à Saint Malo, Fix You de Coldplay a résonné dans la maison. Les paroles me font penser à Sara, à notre histoire. C’est dingue, tout me fait penser à elle ! Une odeur, un rire, une chanson. Parfois, j’imagine qu’elle est derrière moi, qu’elle m’attend pour que nous reprenions tout à zéro. Et lorsque je me retourne, il n’y a personne… Sara n’est pas là… Tout ce que j’ai pu ressentir n’est en réalité qu’illusion et ça me brise encore un peu plus.
Je prends une grande inspiration, fais craquer mes doigts et m’active à sortir une mélodie. Je ne déroge pas mon habitude et joue la ballade du groupe américain. Ma voix s’élève sur les notes et je fais abstraction de tout. À cet instant il n’y a que la musique et moi. Nous sommes en tête à tête et rien ne peut nous déranger. J’aime ce moment de solitude qui permet de me rappeler qui je suis vraiment, qui me remémore pourquoi j’ai choisi de vivre de ce métier.
Je pousse mes cordes vocales à donner le meilleur d’elles-mêmes. Il n’y a aucune retenue, je me libère. Je n’hésite pas et utilise ma puissance pour que chaque note s’envole et s’évapore dans les airs.
J’ai agi comme un imbécile… J’ai blessé Sara avant son départ et je ne me le pardonnerai jamais. Je suis la raison de son départ à New York, et maintenant c’est à mon tour de n’avoir que mes yeux pour pleurer. J’ai vu les larmes sur ses joues, je l’ai détruite alors qu’elle voulait juste m’aider. Je suis inexcusable…
Tears stream down on your face
(Des larmes coulent sur tes joues)
I promise you I will learn from my mistakes
(Je te promets que mes erreurs me serviront de leçon)
Tears stream down on your face
(Des larmes coulent sur tes joues)
And I…
(Et je…)
Ces dernières semaines m’ont prouvé à quel point j’ai eu tort. Au lieu de faire comme si tout allait bien, comme si ma vie était un long fleuve tranquille et qu’il n’y avait aucune ombre au tableau, j’aurais dû réparer mes conneries, j’aurais dû, mais je n’ai rien fait… Je n’ai pensé qu’à moi, en aucun cas à Sara et à ce qu’elle pouvait ressentir. J’ai préféré éteindre mes émotions plutôt que de voir mes erreurs. Mais dorénavant les choses ont changé, j’ai bien l’intention d’apprendre de mes fautes et de mes maladresses.
Dorénavant, je souhaite lui montrer la voie. Je veux que Sara revienne à Paris, qu’elle retrouve le chemin qui nous a unis afin que nous puissions tous deux décrocher la clé qui le scelle. Je ferais en sorte de panser ses blessures, de lui donner à nouveau le sourire, de la voir heureuse. Son bonheur est tout ce qui m’importe maintenant.