6
Petit village. Petit pays. Ils m’ont regardé d’un drôle d’air au café. J’ai intérêt à repartir rapidement. Il faut absolument que je passe inaperçue. Je dois atteindre une ville, une vraie, où je pourrai acheter des vêtements confortables et retirer de l’argent. Je n’ai même pas demandé où j’étais. Mais vu le désert dans lequel je suis tombée, je ne suis pas bien loin. Je me sens à présent l’énergie de me mettre en route. Je dois trouver une ville, absolument. Je lis sur le panneau d’entrée du village, duquel moi je sors : Vaas. Bon sang, c’est où ça !
Tant pis, je repars. Quelques rares voitures passent à vive allure. Ça y est ! Un panneau ! « Le Mans 54 kilomètres ». C’est parfait. Je lève le pouce et offre mon plus beau sourire aux voitures qui filent sur la route. Le soleil est caché à présent. Il est temps que je trouve un hôtel pour cette nuit. Une vieille Peugeot 206 blanche finit par s’arrêter. Un homme la conduit. Un fermier sans doute, un paysan assurément. Tant mieux, il ne sera pas bavard.
— Je vais au Mans, monsieur, si vous pouvez me rapprocher.
— Oui, j’y passe.
— Merci beaucoup. Ma voiture est tombée en panne.
— Ah !
Puis le silence. Presque une heure de silence. Il me dépose devant la gare à ma demande. Enfin, je vois l’heure sur la grande horloge qui trône en haut du bâtiment. 18 h 20. Les enfants ! Tout à coup, je pense aux enfants. Où sont-ils à présent ? Et Pierrick ?
Je ne dois pas. Sinon je vais être ravalée. Je quitte la gare et marche au hasard dans la ville. Je m’enfonce dans une rue piétonne et pénètre dans une boutique de vêtement. J’y achète un jeans, un grand pull de laine blanc, trois tee-shirts, un sweat, cinq culottes, un soutien-gorge, quatre paires de chaussettes, un pyjama. Je paie avec ma carte bancaire. Erreur. Grave erreur. Tant pis. J’entre ensuite dans le magasin de chaussures qui se situe à peine quelques pas plus loin. J’achète une paire de baskets. Je me dirige vers un distributeur et je retire tout ce que je peux. Je tente 1500 euros, mon plafond de retrait maximum. L’appareil refuse et m’autorise 900 euros.
Je cherche un hôtel, m’aventurant dans des rues plus reculées, espérant dépenser le moins possible. Je pénètre dans un vieil immeuble. Au rez-de-chaussée, se trouve visiblement un petit hôtel suffisamment minable pour ne pas me coûter bien cher. Une femme d’âge mûr m’accueille et me conduit dans une chambre qui donne sur la rue. De lourds rideaux roses assortis au-dessus de lit donnent à la chambre un air désuet.
Je me sens hors du temps. Je m’allonge sur le lit, je ferme les yeux. Le silence m’apaise, je ne pense à rien. Je respire à pleins poumons cette odeur d’air un peu vicié, ou peut-être un léger effluve de naphtaline. Tout est neuf. Tout sera neuf. Je vais tout recommencer. Mon ventre fait entendre quelques grognements et je me rends compte que je n’ai rien avalé depuis ce matin à part les trois cafés que j’ai bus tout à l’heure. Je redescends en trombe après avoir enfilé un jeans. Je sens une énergie me déborder tout à coup. J’ai envie de courir, de crier. J’arpente les rues de cette ville que je ne connais pas. J’évite le centre, des fois que….
Pierrick doit à présent être inquiet. Il a dû contacter Pierrot. Il lui a peut-être parlé de mon message. Je dois chasser ces idées. Je pose mes deux mains sur mes oreilles et j’appuie de toutes mes forces, comme si cela pouvait m’empêcher de penser. Je dois apprendre à me fuir. Je ne veux plus de cette vie. Plus jamais. Je vais vivre libre à présent. Je rentre dans une pizzeria et me restaure. Les trois bières que j’avale coup sur coup me font tourner la tête. Le serveur tente une approche. Je lui chuchote de foutre le camp, ce à quoi il obtempère. Je paie en liquide cette fois. J’arpente les rues. Il est tard. La nuit est tombée. Les étudiants envahissent la ville et ses bars. J’ai envie de m’enivrer. Mais c’est trop dangereux. Je dois garder le contrôle.
Je rentre à l’hôtel, j’enfile mon pyjama. D’un geste rapide, je vide mon sac : je casse ma carte bancaire, mes pièces d’identité, déchire mon permis, mon carnet de chèques. Je remets tout dans le sac et le jette à la poubelle. J’ouvre les rideaux et la fenêtre. Je veux sentir l’air envahir la pièce. Avoir froid, avoir faim, avoir peur. Vivre.