12
Pierrick rentre chez lui d’un pas rapide. À peine pousse-t-il la porte qu’il aperçoit André, attablé devant une tasse de café. Il lui raconte son entrevue avec le gros homme et sa détermination à le convaincre. Pierrick explique à son ami qu’il obtenu, non sans mal, une enquête administrative, sans doute parce qu’il a insisté sur les problèmes de dépression.
André acquiesce et Pierrick s’agace. Il assène à André qu’elle n’est pas dépressive et qu’il peut se passer de ses mimiques qui en disent long sur ce qu’il pense d’Anouk. André, touché par la souffrance que traverse son ami, ne dit mot. Pierrick a envie d’être seul à présent. Il demande à André de partir, le rassurant sur sa capacité à faire face. Il ment, disant qu’il va aller travailler, que cela lui fera du bien. Il ajoute que sans doute elle va revenir, qu’il sait, qu’il sent qu’il ne lui est rien arrivé. André s’en va, soulagé de retrouver son univers et de quitter Pierrick et la tension qui l’accompagne.
Pierrick s’est littéralement débarrassé d’André. Il veut se rapprocher d’Anouk, de ses affaires, de ses vêtements. Une part de lui est persuadée qu’elle va revenir. Elle va rentrer, maintenant, ce soir, demain. Cependant, il est assailli par des images de son Anouk enfermée, torturée, noyée, suicidée. Pierrick ferme les yeux et tente de chasser toutes ces pensées. Il asperge son poignet du parfum d’Anouk. Une forte odeur pimentée l’envahit. Pierrick s’allonge sur le canapé, le manteau d’Anouk en guise de couverture. Il s’endort, enveloppé par le parfum de sa femme.
Après deux heures d’un sommeil agité, il est réveillé par la sonnerie du téléphone. Il lance un regard à l’horloge : 13 h 15. Et si c’était elle ou la police ? Il répond. Le téléphone est le dernier vestige de sa timidité maladive. La sonnerie le panique, car elle masque l’inconnu. Il répond cette fois sans même regarder le cadran qui lui indiquerait peut-être qui est son interlocuteur. Françoise. Elle hurle. Une voix stridente qui ne le laisse pas s’exprimer, trouver des excuses. Pauvre Anouk ! Il comprend ce qu’elle disait de sa mère qui pouvait passer d’une extrême douceur et gentillesse à une agressivité et une violence dévastatrice. Pierrick, d’ordinaire si calme, sort de ses gonds. Il explique à sa belle-mère qu’une enquête est ouverte, qu’il n’a pas de nouvelles d’Anouk et qu’il est hors de question qu’elle lui parle sur ce ton, sinon il rompra tout contact avec eux. Françoise se radoucit.
Admettant qu’il est juste qu’il prévienne les personnes qu’il a inquiétées, Pierrick envoie un SMS à Pierrot pour lui donner des nouvelles. Ce soir, il dira la vérité aux enfants. Est-ce cela qu’elle veut ? Est-elle en danger ? La peur, mêlée à son amour et au manque de sa femme, son Anouk, sa moitié, le décide à se battre pour elle, la chercher, alerter quiconque peut l’aider. Pierrick est déterminé. Il rappelle la gendarmerie et demande à parler au lieutenant Laroche.
— J’allais vous appeler monsieur Gabier. Nous avons retracé le parcours de votre femme grâce à sa carte bancaire et à son mobile. Elle est au Mans. Nous avons informé nos collègues.
— Comment ça elle est au Mans ? Vous l’avez retrouvé ?
— Non, pas encore.
— Pouvez-vous m’indiquer les achats qu’elle a faits et les appels qu’elle a passés ?
— Passez à la gendarmerie. Je vous montrerai tout cela. Ne vous inquiétez pas. La ville du Mans n’est pas si grande. Il n’y a pas eu d’agression grave récemment dans ce secteur.
— Je viens tout de suite. Je peux ?
— Oui, je vous attends.
Pierrick attrape son blouson, sa sacoche et file d’un pas alerte à la gendarmerie. Anouk. Il y a trace d’Anouk. Il adresse à peine un regard à la femme pincée.
— Je vais voir le lieutenant Laroche, il m’attend.
— Allez-y, dit-elle sans lever le nez de son guichet.
Pierrick se précipite vers le bureau déjà connu. La porte est entrouverte. Il tapote à la porte et entre. Il ressent une détermination bien nouvelle. L’absence d’Anouk et son besoin d’elle, l’élan à devoir la protéger, son amour pour Judith et Tom lui donnent une assise qui peut lui permettre de passer toutes les barrières. Il s’assied face à Laroche.
Celui-ci sort deux feuilles. L’une contient une série de noms de ville, l’autre un relevé bancaire : 138 euros pour des vêtements. Le gros homme explique à Pierrick avoir appelé la boutique qui ne se souvient pas particulièrement de la femme ayant effectué ces achats. Ils ont pu détailler les vêtements achetés : tout le nécessaire pour se vêtir le jour et la nuit, ajoute Marc Laroche.
— Et vous en concluez ?
— Que votre femme était sûre de ne pas rentrer de sitôt. Connaît-elle quelqu’un au Mans ?
— Non. Enfin, pas à ma connaissance.
— Monsieur Gabier, pensez-vous qu’il est possible qu’elle ait un amant ?
— … Non, non. Elle n’est pas comme ça Anouk.
Cependant, le lieutenant de gendarmerie vient d’immiscer dans l’esprit de Pierrick un poison insoupçonné jusque-là. Il n’avait, pas une seconde, imaginé qu’elle ait pu rejoindre un amant.
Pierrick quitte Marc Laroche, ralenti par une douleur physique qui lui serre le torse, la poitrine et le cœur. Il rentre chez lui et réalise qu’il lui reste trois quarts d’heure avant d’aller chercher les enfants.