Chapitre 1-2

1417 Mots
— Comptez sur moi, assura Mériadec. — C’est simplement pour accorder les violons, précisa-t-elle avec malice. Mériadec hocha la tête en souriant. Puis elle demanda : — Le patron n’est pas arrivé ? — Pas encore. Mais Fortin est là. Derrière la vitre, dans la salle de police, les « en tenue » prenaient le café du matin en attendant les directives qui leur seraient données par les OPJ après la conférence avec le patron. Parmi ces briscards qu’elle connaissait bien, une silhouette lui parut familière ; cependant, en dépit de ses efforts, elle n’arrivait pas à la situer. C’était un jeune homme qui se tenait gauchement parmi les anciens. Visiblement, il était un peu perdu et ne savait quelle contenance adopter. Elle regarda le brigadier : — Un nouveau venu ? Mériadec acquiesça : — C’est justement Bensalem, un petit jeune qui vient voir si le job lui convient. — Ah… Elle continuait à fixer le jeune homme qui se tenait timidement dans son uniforme trop neuf. Intriguée, elle passa derrière la banque d’accueil et entra dans la salle de police. — Salut messieurs ! dit-elle enjouée. Les hommes se levèrent pour répondre à son salut. Mary était très populaire chez les gardiens. L’un d’entre eux proposa : — Un café, capitaine ? — C’est pas de refus, Moulin. Elle s’était souvenue du nom du gardien in extremis et elle vit, à son sourire, que cette attention lui avait fait plaisir. Il versa le café dans un verre qu’il lui tendit. — Un sucre ? — Pas de sucre, merci. Elle s’appuya sur un coin de table, le verre à la main et dit aux hommes qui affectaient une indifférence qu’ils ne ressentaient pas : — Restez assis, je ne fais que passer. Elle but une gorgée de café et demanda à Moulin : — C’est vous qui l’avez fait ? Un autre gardien rigola : — C’est toujours lui qui le fait, capitaine. — Il est bon ! apprécia Mary. L’autre rigola de plus belle : — Quand il sera viré de la police, il pourra se reconvertir dans la limonade ! Mary rit avec les hommes : — Il n’y a pas de sot métier. Puis elle s’approcha du jeune gardien. — J’ai l’impression de vous connaître, dit-elle. Le garçon la fixait, mi-gêné, mi-goguenard. — Quel est votre nom ? — Bensalem, dit-il avec cet accent des banlieues qui avale une syllabe sur deux. Elle répéta : — Bensalem… Il précisa : — Thierry Bensalem… — Et vous venez d’où ? — De Brest, capitaine, de Pontanézen… Pontanézen, ça fit tilt sous le scalp de Mary Lester. — Ce n’est pas toi… Elle avait usé du tutoiement tout naturellement, Bensalem ne parut pas s’en offusquer. — On a failli faire un tour de scooter ensemble, dit-il. Mais il y avait de la brume. Elle s’exclama : — Bon Dieu ! Bensalem, bien sûr que je me souviens ! Mais qu’est-ce que tu fiches là ? Le jeune homme se regarda dans la vitre avec une sorte de gêne. Visiblement, il n’était pas encore habitué à porter l’uniforme. — Ben, j’voulais faire vigile, mais m’sieur Fortin m’a dit qu’il valait mieux faire flic… — Ah… Mary en resta sans voix. Elle s’en tira comme elle pouvait : — Le lieutenant Fortin est toujours de très bon conseil, assura-t-elle. Elle regarda sa montre : — D’ailleurs, il est temps que j’aille le voir. Salut, Bensalem, et si tu as besoin de quelque chose, je suis là, moi aussi. Puis elle lança à la cantonade : — Merci pour le café ! Elle s’engagea dans l’escalier en pensant aux incidents que Mériadec venait d’évoquer. Ils se répétaient, hélas, à longueur de semaine, à longueur d’année, et la laissaient toujours très mal à l’aise. Les flics, les gendarmes, les pompiers étaient véritablement les éboueurs de la société et il leur fallait souvent avoir le cœur et l’estomac bien accrochés pour ne pas sombrer dans le découragement devant les horreurs auxquelles ils étaient quotidiennement confrontés. Du petit bureau qu’elle partageait avec le lieutenant Fortin sortait le bruit d’une conversation animée. Trois personnes l’occupaient : Fortin, écrasant son siège de sa masse de muscles et d’os, Bertrand et Le Clinche. Le lieutenant Bertrand, un quinquagénaire aux tempes grises, poussait devant lui une brioche de bon vivant. Il venait de la région parisienne, espérait « finir son temps en roue libre » - pour reprendre son expression - et n’aspirait qu’à rester au commissariat pour assumer les tâches administratives qui rebutaient tant Mary Lester. Le Clinche était un jeune gardien « en tenue » qui faisait partie des espoirs de l’équipe de rugby locale. Pour autant, Le Clinche n’était pas bâti en colosse. De taille et de corpulence extrêmement moyennes, il compensait ce manque de gabarit par une vision du jeu peu commune, des jambes de feu et une précision diabolique dans la transformation des coups de pied de pénalité. Dixit Fortin. En la matière, le grand lieutenant était crédité d’une compétence irréfutable. Le point de discussion portait sur le « coaching » du nouveau sélectionneur de l’équipe de France : devait-il faire confiance au talonneur toulousain ou au biarrot pour le premier match du tournoi des Six Nations ? Mary serra les mains et fit la bise à Fortin : — J’espère que vous n’attendez pas mes lumières pour vous mettre d’accord ? Bertrand lança avec bonne humeur : — Tout ce qu’on en dit, c’est histoire de causer. Le sélectionneur fera ce qu’il voudra. — Ouais, fit Fortin en repliant l’Équipe qui était déployé sur son bureau. Le sélectionneur est comme le capitaine Lester, il a toujours raison ! Mary tempéra l’affirmation : — Tant que l’équipe gagne, Jipi, tant que l’équipe gagne ! Les deux autres sortirent en rigolant et Le Clinche glissa : — De toute façon, les femmes ont toujours raison ! Mary ironisa : — Tu sais déjà ça, toi, à ton âge ? Le Clinche rit de plus belle : — Et comment, capitaine, c’est pour ça que je suis toujours célibataire ! Les deux hommes quittèrent la pièce et Mary entendit encore leur rire alors qu’ils s’éloignaient. Elle revint à Bensalem : — Dis-moi, Jipi, j’ai entr’aperçu un jeune gardien en bas, et il m’a semblé l’avoir déjà vu. — Ah, dit Fortin, Bensalem ! Mary joua les candides : — C’est qui ce Bensalem ? Fortin plissa les yeux d’un air rusé : — Bensalem, tu ne me feras pas croire que tu l’as oublié ? Mary s’assit sur son bureau : — Qu’a-t-il d’inoubliable ? — Eh eh ! Le scooter, au port de Brest… Bensalem qui devait te conduire à… Elle feignit d’être soudain visitée par l’Esprit-Saint : — Ah, Bensalem… L’émissaire qui devait m’amener jusqu’à Bourgeon ! Ce n’est pas Thierry son prénom ? — Si ! — Qu’est-ce qu’il fait ici ? — Ben, la même chose que nous ! — Mais encore ? — La police, le maintien de l’ordre… Enfin, il débute. — Tu veux dire que… — Je veux dire qu’il s’est engagé chez les poulets, oui. Ça te surprend ? — Un peu. Les premiers pas dans la vie active de Bensalem Thierry ne semblaient pas le prédisposer à faire carrière chez les flics. Le grand lieutenant haussa ses épaules massives : — Ça ne sera pas le premier qui aura fait des conneries avant d’entrer chez les poulets, dit-il avec indulgence. Tu savais qu’il était venu me voir à l’hôpital ? — Sans blague ? Après la pétoche que tu lui avais fichue ? — Bof, fit Fortin d’un air modeste, il n’avait pas eu tellement peur de moi ! Ce sont plutôt ses employeurs qui lui ont foutu la pétoche. — Sauf que tu l’as menacé de le foutre à l’eau avec son scooter. Le grand prit un air dégagé : — Oh… c’est rien, ça ! Je ne lui ai même pas collé une calotte ! Mary dut convenir que c’était vrai. Fortin s’en était tenu à des menaces verbales, mais d’un air si terrible que Bensalem avait avoué tout ce qu’il savait. — Tu te souviens, poursuivit le lieutenant, il était menotté dans la bagnole, j’ai fait une fausse sortie, histoire de l’éloigner de la zone de tir et j’ai eu le temps de lui dire que je lui trouverais peut-être un job plus intéressant que vigile dans une boîte de gardiennage. — C’est pour ça qu’il est venu te voir à l’hôpital ! — Peut-être bien. Je ne sais pas… Peut-être parce que je lui ai sauvé la mise ce jour-là ? Mary se souvint de l’intensité de la fusillade en cette nuit où Fortin et elle avaient bien failli rester sur le carreau. S’il n’avait pas été évacué de la voiture du lieutenant, sûr qu’à cette heure Bensalem serait mort. — C’est à ce moment que je lui ai proposé de l’aider à entrer dans la police. — Et tu l’as converti, comme ça… Dire que Mary paraissait sceptique était un euphémisme. — C’est toujours aussi bien que de le voir devenir un voyou, non ? Elle acquiesça : — De ce point de vue, tu n’as pas tort. Puis, après un silence, elle demanda : — Si je comprends bien, tu vas t’occuper de sa formation ? — Comme de celle des autres bleus, dit Fortin. Je vais sortir en patrouille avec lui. Je l’emmènerai dans la ZUP. Il se mit à rire : — Ça lui rappellera quelque chose. Et toi, tu es branchée sur quelque chose ? Elle n’eut pas le temps de répondre, le téléphone sonna. Fortin décrocha et dit très respectueusement : — Bonjour, Monsieur le Divisionnaire. Puis il tendit l’appareil à Mary en couvrant le récepteur de sa large paume : — Pour toi, c’est le patron ! Instinctivement, il avait baissé le ton, comme s’il annonçait un secret. Mary prit l’appareil et échangea quelques formules de courtoisie avec le commissaire Fabien, et annonça : — J’arrive, patron. Puis, s’adressant à Fortin qui venait de reposer l’appareil sur son support : — Pour répondre à ta question, je vais voir sur quoi on va me brancher. Fortin hocha la tête d’un air entendu et glissa avec une mine de chanoine qui lui allait comme un casque à pointe à une sœur mariste. — Allez mon enfant, mais ne l’agacez pas trop, on n’est que lundi !
Lecture gratuite pour les nouveaux utilisateurs
Scanner pour télécharger l’application
Facebookexpand_more
  • author-avatar
    Écrivain
  • chap_listCatalogue
  • likeAJOUTER