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Tim avait trouvé cet homme étonnant. Il s’était senti bien en sa présence. Il était très différent des professeurs. Il l’avait écouté sans le juger. Tim était très touché qu’il aime ses dessins. Il ne les avait jamais montrés à personne, pas même à Alban.
C’est la première fois qu’il avait révélé son secret quant au lever du soleil. Il s’était alors rendu compte que le dessin et la peinture l’aidaient à tenir debout. Chaque jour. Aller au cœur de la forêt au lever du jour lui faisait du bien. Il s’y ressourçait et y puisait l’énergie nécessaire pour affronter la journée. Il marchait dans la nuit noire, s’asseyait au pied de son arbre avec tout son matériel. Dès que le soleil apparaissait et donnait sa lumière aux arbres, Timothé commençait à dessiner. Il était calme, apaisé, plus rien ne comptait que le trait, le regard, la couleur. Il savait qu’il était l’heure de partir grâce à la couleur du ciel et à la force de la lumière.
Il était dubitatif sur le fait que cet homme puisse l’aider, mais il était persuadé qu’il ferait tout son possible. Et cela lui suffisait. Peut-être pourrait-il alors aller au lycée avec Alban, Robin et les autres. Tim passait et repassait dans sa tête l’entretien avec Monsieur Galliaci. Il ne pouvait oublier le regard de cet homme sur ses dessins. Il montrerait ses cahiers aux professeurs. Tim tentait de repousser ces pensées quand elles le menaient vers l’autre éventualité, celle que tout le monde maintienne la décision initiale. Il s’imaginait alors arrêter l’école, faire des économies jusqu’à 18 ans, partir à Paris, faire son trou dans le dessin ou la peinture. Il sentait qu’il avait des choses à dire. Des histoires à raconter. Des idées à défendre. Il rentra chez lui assez tard. Il était passé au café du bourg boire quelques verres. C’était la première fois qu’il buvait de l’alcool. Il avait pris trois demis d’affilés. Seul, au comptoir.
— Tu ressembles à ton père, petit.
— Mmmm.
— Qu’est-ce que je te sers ?
— Un demi.
— T’as l’âge ?
— Oui
Puis ce fut tout. Même dans les bars les hommes étaient silencieux. Tim voulait rester au comptoir, comme un homme. Digne et mature. Il but dans un temps record trois bières. Puis s’en alla. La tête lui tournait. C’était donc ça l’alcool. Il rentra chez lui vers 21 h 30. Dès qu’il passa la porte, son père le reçut avec fracas.
— C’est maintenant que tu sors de l’école ? Reprends-toi, mon garçon. Regarde ta mère ! Ça fait trois heures qu’elle pleure.
— J’ai cru que t’avais eu un accident, lui dit sa mère, dont il perçut les yeux rougis.
— Oh, ça va !
— Et on peut savoir où t’étais, lui dit son père.
— C’est pas tes affaires. Je vais me coucher.
Il avait un peu faim, mais il ne voulait pas que ses parents remarquent qu’il avait bu. Sa chambre jouxtant le salon, il s’installa derrière la porte, curieux de savoir s’ils parleraient de lui. Ce fut effectivement le cas.
— Il ne va pas bien Tim, en ce moment, dit sa mère.
— …
— T’as pas vu ? Il a bu !
— Haha, t’es bien placée, toi ?
— …
Et voilà, c’était tout. Ils allumèrent la télé, comme tous les soirs. Trois secondes de conversation, peut-être cinq ! Il se coucha et s’endormit dans les secondes qui suivirent. Le lendemain matin, il se leva en même temps que son père. Sa mère était déjà partie au travail. Tim décida d’arrêter de l’éviter et prit son petit déjeuner face à lui. Pour la première fois, il but un café au lieu de son habituel chocolat chaud. René lui proposa du lait d’un geste. Timothé fit non la tête.
Les deux hommes ne se regardaient pas, chacun ayant le visage rivé sur son bol. Tim n’était pas mal à l’aise face à son père. Pour la première fois, il assumait son silence. Il n’avait plus peur. Il n’attendait plus rien lui.
René se leva le premier et lui jeta un :
— Au revoir, fils.
— Au revoir.
Tim détestait qu’il l’appelle « fils », il avait un prénom bon sang ! Tout l’énervait chez son père. Il prit son sac et partit pour l’école. Il retournerait voir Monsieur Galliaci pour savoir où en était son affaire. Il frappa à la porte de son bureau. Mathieu Galliaci le fit entrer.
— Nous nous réunissons demain soir pour évoquer ta situation.
— Viens lundi matin à 9 h, je te donnerai nos conclusions. Va vite en classe.
— Merci, Monsieur.
Lundi. Il devait attendre. Deux chemins s’offraient à lui et ce ne serait pas lui qui déciderait lequel prendre. Était-ce toujours cela ? S’imposerait-il constamment des limites à ses désirs ? Il repensa alors à sa mère et à Tino. Était-ce elle qui avait choisi l’homme avec qui elle allait partager sa vie ou était-ce d’autres personnes qui avaient décidé à sa place ?
Il passa les deux jours d’école qui restaient avant le week-end à tenter de donner une bonne image aux professeurs. Il les écoutait et essayait déjà de se raccrocher au contenu des cours. Les enseignants, bien que la fin de l’année approche à grands pas, maintenaient une ambiance studieuse dans la classe. Ils s’étaient donné le mot pour reprendre les chapitres qui avaient été les plus difficiles pour les élèves afin qu’ils partent avec le plus de chance possible de réussite au lycée. N’étaient encore présents que les adolescents qui passaient en seconde et Timothé. Tim posait des questions et tentait d’appréhender ce qui restait obscur à ses yeux. Il ressentit pour la première fois du plaisir à penser et à comprendre quelque chose qui, juste avant, lui semblait si loin de ses préoccupations. Les professeurs n’étaient pas dupes sur l’objet de la réunion de vendredi soir, le changement soudain du comportement de Timothé Barral en indiquait l’objet.