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River regarda l’avant du vaisseau spatial à bord duquel elle avait embarqué clandestinement pour ce qui lui sembla être la millième fois. Le vaisseau spatial utilisé par les créatures sur Terre s’était avéré n’être qu’une simple navette utilisée pour rejoindre un vaisseau bien plus grand. Après l’avoir amarré au grand vaisseau, les créatures avaient emmené Jo et Star. River était restée cachée jusqu’à ce qu’elle soit certaine que toutes les créatures aient quitté la navette. À présent, elle parcourait la navette vide, essayant de se familiariser avec ce dans quoi elle s’était lancée pendant qu’elle attendait que la zone autour de la navette se vide un peu.
River jeta furtivement un coup d’œil depuis le tableau de bord avant et vit environ dix créatures déplacer des conteneurs. Elle vit la créature qu’elle suspectait être le chef de l’équipage de la navette qui avait enlevé Jo et Star se disputer avec une autre créature faisant presque deux fois sa taille.
La plus grande créature siffla bruyamment et désigna les corps inconscients de Jo et Star enveloppés dans les couvertures. La plus petite créature répondit quelque chose en sifflant puis eut un mouvement de recul quand l’autre rugit. Les deux autres créatures firent un pas en arrière et eurent l’air de personnes qui auraient préféré se trouver partout sauf là. Finalement, l’immense créature siffla quelque chose à l’attention des deux qui tenaient les amies de River et elles la suivirent. L’autre créature se contenta de siffler et quitta la baie à navette par une autre sortie.
River savait qu’elle devait trouver un moyen de se déplacer dans le vaisseau sans être vue. Ces créatures étaient immenses comparées à Star, Jo et elle. Elle leva les yeux et remarqua une série de plateformes menant au système de ventilation. Si elle parvenait à l’atteindre sans être vue, elle pourrait se déplacer en passant par les conduits d’aération. Les créatures étaient trop grandes pour y entrer. De plus, n’était-ce pas ce qu’ils faisaient dans les films ? Si elle parvenait à les suivre, elle pourrait retrouver ses amies et ensuite, elles se cacheraient le temps de trouver un moyen de quitter le vaisseau.
Satisfaite de son plan, elle devait simplement attendre que les choses se calment un peu. Pendant ce temps, elle explora la navette à la recherche de nourriture ou d’eau et de toilettes. Après avoir trouvé une boîte de ce qui semblait être des rations de survie, elle en fourra autant qu’elle pensait pouvoir transporter sans problème dans son sac de voyage. Elle devait être prête au cas où elle aurait à se défendre.
Elle ouvrit son sac et en sortit certains des harnais qu’elle utilisait pour transporter ses couteaux lors de ses performances. Elle retira son pull et le mit dans le sac. Elle en aurait peut-être besoin plus tard, mais pas pendant qu’elle escaladait.
Après avoir enfilé un maillot noir moulant en Lycra à manches longues, elle attacha à ses poignets deux de ses bracelets en cuir qui contenaient sept petits couteaux chacun. Ensuite, elle attrapa le harnais pour son torse. Il se croisait sur sa poitrine et dans son dos et lui permettait d’y mettre toutes sortes de couteaux et de shurikens, dont deux petites épées qui s’inséraient pour former un X dans son dos. Elle mit sa ceinture et y ajouta des petits shurikens supplémentaires. Elle utilisait cette ceinture lorsqu’elle montait à cru et les lançait sur des bougies allumées autour de la piste. Elle contenait peut-être vingt-cinq shurikens très aiguisés.
Enfin, elle sortit plusieurs de ses couteaux de lancer favoris et les mit dans les étuis de ses bottes en cuir. Après avoir refermé le sac de voyage, elle resserra les sangles pour pouvoir courir plus vite si elle le devait.
River attendit presque deux heures avant que la zone autour de la navette ne soit plongée dans un silence de plomb. Elle regarda la dernière créature quitter la zone et l’éclairage diminuer. Elle s’approcha de la rampe ouverte qui était restée abaissée après leur arrivée, se baissa autant que possible et se déplaça lentement afin de pouvoir entendre le moindre bruit.
Elle s’accrocha au bord de la rampe et bascula dessous afin d’être à couvert. Elle jeta un coup d’œil autour d’elle et quand elle fut certaine d’être en sécurité, elle se déplaça furtivement pour rejoindre la pile de boîtes de marchandises la plus proche et se faufila entre deux d’entre elles. Elle progressa dans le passage étroit entre les piles de caisses jusqu’à être dans l’ombre sous les passerelles menant au système de ventilation.
River pivota, attrapa les tuyaux et commença à escalader. Elle espérait qu’il n’y avait pas de caméras de surveillance dans la zone. Si c’était le cas, elle aurait déjà dû avoir de la compagnie.
Elle roula sur la passerelle et prit les escaliers jusqu’au niveau le plus élevé avant de saisir les tuyaux et de grimper jusqu’au conduit d’aération. Il était étroit mais elle n’aurait aucune difficulté à s’y glisser. Ils n’avaient même pas mis de grille devant. Elle prit le tuyau à deux mains, tendit les jambes jusqu’à pouvoir les glisser à l’intérieur, puis se poussa et laissa le reste de son corps suivre. Elle avança sur environ trois mètres dans le conduit avant de s’adosser et de prendre une profonde inspiration pour calmer les tremblements de son corps. Elle n’avait jamais eu aussi peur de toute sa vie. La seule chose qui la faisait avancer, c’était de savoir que Jo et Star devaient avoir encore plus peur qu’elle.
River rampa jusqu’à une intersection dans le conduit. La hauteur y était suffisante pour qu’elle puisse se tenir debout. Elle se dit que quiconque les avait construits devait être bien plus petit que les créatures qui se trouvaient actuellement à bord.
Ils auraient eu du mal à y ramper car chacun d’eux devait mesurer plus de deux mètres soixante de haut et presque autant de large. Elle prit à gauche en espérant que c’était la direction prise par les créatures qui détenaient Jo et Star, suivit le système de ventilation pendant des heures et marqua les intersections au fur et à mesure qu’elle les croisait avec un marqueur indélébile. Par chance, elle avait toujours été douée pour se repérer, sans doute parce qu’elle avait passé sa vie à voyager. Cela lui rappelait presque les catacombes sous Paris que Star, Jo et elle avaient explorées un été.
River poussa presque un cri de soulagement lorsqu’elle vit un plan du vaisseau à l’une des intersections. Elle l’arracha du mur à l’aide de l’un de ses couteaux avant de s’asseoir pour l’étudier. Il semblait y avoir des espèces de cellules de détention deux niveaux plus haut.
Si elle suivait le système de ventilation sur encore trente mètres sur la gauche, elle devrait trouver un conduit montant au niveau supérieur. Elle devait répéter l’opération au prochain niveau pour se rendre à celui qu’elle voulait. Après avoir glissé le plan rigide dans son haut, elle partit à gauche.
Comme elle s’y attendait, elle arriva à un conduit vertical. Il était étroit, mais comportait ce qui ressemblait à des prises pour les pieds. Elle attrapa le premier barreau et commença son ascension.
River passa la majeure partie des trois heures qui suivirent à se déplacer dans le système de ventilation. Elle avait réussi à atteindre le niveau des cellules de détention. Elle avait mis plus de temps à s’y rendre que ce qu’elle avait imaginé. Il était bien plus éloigné qu’elle ne s’y était attendu. Lorsqu’elle avait atteint le niveau voulu, elle avait fait une pause pour se reposer et boire quelque chose.
Au début, elle se méfia du contenu de la bouteille, mais après l’avoir senti et en avoir finalement bu une gorgée, elle fut soulagée de découvrir que c’était de l’eau. Elle but la moitié de la bouteille avant de réaliser qu’elle devait économiser ce qu’elle avait. River ferma les yeux et sentit l’épuisement submerger son corps.
Elle avait besoin de se reposer avant d’aller plus loin. Entre son retour aux États-Unis, son long vol et sa longue route, elle était debout depuis plus de soixante-douze heures. Puis il y avait eu l’attente dans la navette jusqu’à ce que tout le monde soit parti.
River sentit un frisson la parcourir quand elle s’adossa contre le métal froid. Elle n’avait aucune idée de la façon dont elles allaient bien pouvoir rentrer chez elles. Personne ne commencerait à les chercher avant au moins trois mois, quand ils verraient qu’elles ne revenaient pas des montagnes. D’ici là, qui savait où elles seraient.
River repoussa les pensées déprimantes et se concentra sur le fait de retrouver ses amies en premier lieu. Elle devait s’assurer qu’elles étaient saines et sauves. Alors que son corps cédait à la fatigue, sa dernière pensée fut qu’elle se préoccuperait du reste plus tard.
River se réveilla désorientée. Elle n’avait pas prévu de s’endormir. Elle but et se frotta les yeux pour essayer de les amener à se concentrer. Elle n’était pas très loin de la première rangée de cellules. Elle décida de laisser son sac de voyage et de vérifier chaque cellule à travers le conduit d’aération jusqu’à ce qu’avec un peu de chance, elle trouve Jo et Star. Elle fit glisser le sac de son dos et vérifia que tous ses couteaux étaient bien accrochés et qu’ils ne feraient pas de bruit.
Elle se releva et se dirigea vers la première cellule. Elle y jeta un coup d’œil et vit qu’elle était vide. Elle se dirigea vers la suivante et la découvrit vide, elle aussi. Dans la troisième, elle vit un édredon rose et blanc familier sur ce qui ressemblait à un genre de lit. River continua d’observer la pièce et attendit cinq bonnes minutes, aux aguets.
— J’ai peur, Jo, murmura Star. Tu crois qu’ils vont nous faire du mal ?
— Je ne sais pas, ma chérie, répondit doucement Jo. J’espère que non.
— Psst. Jo, Star, appela doucement River.
— River ? murmura Star avec excitation.
River tira sur la grille d’aération. Décidément, quiconque avait conçu ces cellules devait avoir pensé que ce qui allait se retrouver dedans serait trop gros pour passer par l’ouverture. C’était parfait pour les silhouettes menues de Jo, Star et River.
— Vous êtes seules ? demanda River à voix basse.
— Oui. Ils ne viennent qu’une fois par jour. Ils nous apportent à boire et à manger, puis ils ne reviennent pas avant le lendemain à la même heure, répondit Jo.
River fut surprise. Elle n’avait pas réalisé qu’elles avaient déjà passé tant de temps ici. Elle s’était endormie plus tôt, dans le système de ventilation, mais n’avait pas pensé que tant de temps s’était écoulé. Elle se sentit coupable à l’idée d’avoir dormi si longtemps.
— Quand vont-ils revenir ? demanda River d’une voix rauque.
— Pas avant huit heures, d’après mes calculs, dit Jo.
River rit doucement. Jo avait toujours été la plus réfléchie des trois. River descendit lentement par l’ouverture du conduit et atterrit sur ses pieds avec légèreté. Star sauta de son lit et étreignit fermement River.
— Oh, River, tu ne devrais pas être là, dit Star en pleurant doucement.
— Oh ? Et où devrais-je être selon toi ? la taquina doucement River en repoussant les cheveux de Star. Peu importe l’aventure dans laquelle on se lance, on y va ensemble, dit-elle doucement, répétant un mantra qu’elles se disaient depuis qu’elles étaient devenues amies.
Jo sourit à travers ses larmes.
— Ouais, mais même nous ne sommes pas assez stupides pour t’avoir invitée à te joindre à nous pour celle-là.
— Eh bien, je ne voudrais me trouver nulle part ailleurs sans vous, dit River. Maintenant, on doit réfléchir à la façon dont on va sortir d’ici et rentrer à la maison.
— Qu’est-ce que tu suggères ? Si nous sommes à bord d’un vaisseau spatial, et je crois bien que c’est le cas, Dieu seul sait où nous sommes. Même si nous parvenions à nous enfuir, où irions-nous ? Ce n’est pas comme si l’une de nous savait faire voler l’un de ces trucs, dit tristement Jo en se laissant tomber sur le lit.
— Est-ce que vous pouvez comprendre ce que ces créatures disent ? demanda River, essayant de trouver des façons de redonner leur combativité aux filles.
D’habitude, c’était Jo qui secouait tout le monde pour les tirer de leurs idées noires. C’était une nouvelle expérience pour River.
— Oui. Ils nous ont donné un genre de traducteur à porter, dit Star avant de tirer ses cheveux en arrière pour révéler un appareil qui ressemblait presque à un petit appareil auditif.
— Il m’en faut un. J’ai un peu exploré le vaisseau. Si les choses dégénèrent, on peut disparaître dans le système de ventilation jusqu’à ce qu’on trouve un moyen de nous tirer d’ici, dit River en tendant la main.
Star tendit son traducteur à River.
— Qu’est-ce que je vais leur dire quand ils découvriront que je ne l’ai plus ?
— Dis-leur qu’il est tombé dans les toilettes, sourit River. Je parie qu’ils y ont déjà fait tomber des trucs.
Jo rit.
— Tu es si vilaine.
Elle soupira et ne put s’empêcher d’admettre :
— Je suis contente que tu sois là, River.
Cette dernière sourit doucement.
— Moi aussi. S’il faut que je reste ici plus longtemps, je dois utiliser votre salle de bain. J’ai laissé mon sac en haut dans le conduit, à quelques cellules d’ici. Je me suis dit que je pourrais passer une partie de la journée avec vous et l’autre partie à faire de la reconnaissance. Il faut que vous restiez là au cas où quelqu’un déciderait de faire une visite surprise. Je vais vous laisser quelques-uns de mes couteaux au cas où vous en auriez besoin. Quoi qu’il arrive, n’ayez pas peur de vous en servir, ajouta River d’un ton sérieux.
Jo et Star hochèrent la tête tout en prenant les couteaux que River sortit de ses bottes et leur tendit. Elles savaient que ce n’était pas une blague et qu’elles n’auraient pas de seconde chance si elles hésitaient. River utilisa la salle de bain pour se rafraîchir et remplir sa bouteille d’eau.
Elles passèrent les heures qui suivirent à discuter toutes les trois et à élaborer différentes stratégies. River fit recopier à Jo le plan du vaisseau qu’elle avait et elles définirent un point de rencontre pour le cas où elles devaient disparaître dans le système de ventilation. Elles établirent trois endroits où se retrouver si elles venaient à être séparées les unes des autres.
Jo insista pour que River dorme deux heures et lui promit qu’elle la réveillerait une heure avant la prochaine visite de leurs ravisseurs afin qu’elle puisse se cacher. River resterait à proximité pour s’assurer que le traducteur fonctionnait avant de partir explorer.
Pendant les deux semaines qui suivirent, elles gardèrent la même routine. River commença à envoyer Jo et Star explorer les conduits pour se familiariser avec le vaisseau pendant qu’elle restait avec l’une ou l’autre. Elles s’étaient dit qu’elle pourrait se recouvrir de l’édredon et prétendre qu’elle dormait si les créatures revenaient plus tôt.
Jusqu’à présent, elles avaient été laissées tranquilles. Ce ne fut qu’au début de leur troisième semaine de captivité qu’elles comprirent que quelque chose d’important se passait. Le vaisseau fut ébranlé et trembla, ce qui les projeta au sol tandis que les lumières de la cellule faiblissaient.
— Qu’est-ce qui se passe ? demanda Star, effrayée.
Elle s’agrippa au bord du lit pour essayer de ne pas tomber à nouveau.
— Je ne sais pas. Je vais aller voir, dit River. Aidez-moi.
Jo et Star firent la courte échelle à River pour l’aider à remonter dans le conduit. Cette dernière referma la grille d’aération avant de murmurer :
— Je ne serai pas longue.
Les sœurs hochèrent la tête tandis qu’elles titubaient sous l’effet d’une nouvelle secousse. Le vaisseau gémit puis tout sembla plonger dans un silence de plomb. Elles se dirigèrent vers le lit et s’y assirent, se tenant l’une à l’autre en attendant le retour de River.