Chapter 4

2994 Mots
III Mardi 5 juin, midi et demi. Étel. Nathalie Bramant retrouvait Corinne pour un petit repas entre copines au Salon de Morgane, un des rituels qui entretenaient leur amitié. Située à deux pas du musée des Thoniers, l’enseigne élégante du Salon de Morgane attirait infailliblement l’attention du passant. Dans une salle d’à peine vingt-cinq mètres carrés, dont les larges baies vitrées procuraient en toute saison une belle clarté, Morgane exposait plusieurs toiles d’artistes locaux, pour l’essentiel des marines, ainsi qu’un grand choix de peintures sur galets. Nathalie qui s’y était elle-même essayée depuis peu, non sans talent, fournissait à Morgane des galets joliment décorés de couleurs moirées qui rencontraient un franc succès. Les amateurs du genre pouvaient également louer ou acheter un roman policier dont l’imposante collection occupait tout un pan de mur. Mais surtout, le salon s’agrémentait de trois petites tables rondes sur lesquelles vous pouviez déguster une des succulentes tartes maison que vous servait, avec une extrême gentillesse, la maîtresse des lieux. Exception faite de leur couleur de cheveux : noirs pour Nathalie, blonds pour Corinne, les deux amies se ressemblaient étrangement : même silhouette harmonieuse sur une taille élancée, visage semblablement ciselé avec des pommettes légèrement saillantes. Elles allaient jusqu’à adopter le même style de vêtements, et pour cela il y avait une excellente raison : Nathalie se fournissait à la Brigantine, dont la propriétaire n’était autre que son amie intime Corinne Garec. L’essentiel du commerce était constitué par du prêt-à-porter féminin de qualité, mais les clientes pouvaient aussi y acquérir des pièces de lingerie fine et des foulards soyeux, des bijoux fantaisie, et même, si l’envie les prenait, des perruques ou des postiches aux coloris variés. Nathalie avait passé commande d’une tarte aux légumes, Corinne avait opté pour une tarte au saumon, chacune accompagnant son plat d’un verre de bourgueil. Corinne se montrait particulièrement enthousiaste. — C’est fait, j’ai réussi à vendre mon premier ensemble de plage. C’est Janine Lenoir qui me l’a acheté ce matin. — En voilà une copine ! Je t’avais dit de me le réserver, se récria Nathalie. — Elle m’a acheté le vert ; tu n’aimes pas cette couleur. Tu prendras le rouge. — Ah non ! pas question ! On va sur les mêmes plages. Je n’ai pas envie de me retrouver fringuée comme elle. Tu n’y penses pas ! — Ne t’énerve pas, Nat. Si j’ai fait affaire avec la mère Lenoir, c’est que j’ai mieux pour toi : une adorable petite tunique d’amour. Passe donc la voir tout à l’heure. Avec ça, tu seras irrésistible. Corinne s’interrompit brusquement. — Tu me parais soucieuse. C’est à cause de Georges ? — Oui et non. Georges a essayé de me joindre hier après-midi. Il voulait simplement m’annoncer le retour d’Angleterre de Sophie. Il n’empêche que… je suis sûre qu’il se doute de quelque chose. C’est tout, sauf un imbécile. Nathalie émit un profond soupir. — Je ne sais plus où j’en suis, Corinne. J’ai tellement peur de lui faire du mal. Je culpabilise à mort, surtout à cause de son état. Mais, d’un autre côté, je ne peux pas me passer de Julien, non, ça c’est impossible. Je me dis parfois que je préférerais… mourir. — Allez, ne dis pas de bêtises. — Tu ne peux pas comprendre. Toi, les hommes, ça va, ça vient. — C’est le cas de le dire, pouffa Corinne. — Idiote, sourit Nathalie à son tour. On ne peut pas discuter sérieusement avec toi. — Mais si ! répondit Corinne avec humeur. Mais je vois que tu t’emballes avec ton Julien, et ça m’inquiète. Es-tu vraiment sûre de lui ? — Évidemment. Il y a des signes qui ne trompent pas. Il m’aime et je l’aime, c’est aussi simple… et compliqué que ça. Corinne avala une gorgée de vin, et reprit. — C’est vrai que ton Julien, parole de femme, il n’est pas sans charme, mais moi, tu vois, c’est quand même pas mon type. J’aime pas trop les costards-cravates, je préfère le style sportif, décontracté. — Un directeur d’agence immobilière est bien obligé de porter le costume. Ça inspire confiance. — Oui, il paraît, fit Corinne dubitative. Et puis, c’est grâce à lui que vous avez eu votre maison. Tu lui dois au moins ça. Cette fois, ce fut Nathalie qui riposta aigrement. — Là n’est pas la question, et je ne comprends pas pourquoi tu te permets de me dire ça ! Mes sentiments pour Julien n’ont absolument rien à voir avec le fait qu’il nous ait trouvé L’Éolienne, je te prie de me croire ! Un répit suivit l’échange un peu vif entre les deux amies. Trois ans déjà, songea Nathalie, trois ans que Julien Daquer, agent immobilier à Belz, leur avait déniché cette jolie chaumière à la pointe de Gâvres. Georges, las de la vie parisienne, suite à une légère attaque cardiaque, avait démissionné du cabinet d’experts-comptables où il occupait les fonctions de directeur adjoint, pour, après quelques mois passés à Étel, s’installer à son compte à Gâvres, dont il était originaire. L’idée de Georges était de cibler sa clientèle parmi les PME locales. « Mieux vaut dégager une petite marge sur un grand nombre de clients que dépendre de quelques grosses boîtes qui peuvent vous laisser tomber à tout moment », avait-il coutume de dire à l’époque. Pour Nathalie, l’acclimatement avait été difficile. Elle trouvait qu’à l’instar des Groisillons, dont l’île faisait face à la commune, les habitants de Gâvres possédaient une mentalité d’îliens et qu’il n’était pas évident de forcer leur sympathie. Peu à peu et non sans mal, elle était parvenue à s’adapter au mode de vie local et à l’apprécier. Et, surtout, son amour de la mer et de la navigation à voile, qu’elle pratiquait depuis son plus jeune âge, avait été le plus fort. Elle était tombée sous le charme du port d’Étel et avait insisté pour que leur petit voilier y demeurât amarrer, malgré les réticences de son mari qui l’avait mise en garde contre la dangerosité de la barre. Georges avait su développer son cabinet, et ses affaires avaient plutôt bien marché jusqu’à cette nuit d’hiver où il avait perdu le contrôle de sa voiture. Son corps disloqué avait été extrait à grand-peine du véhicule. Après quinze jours de coma, il avait enfin repris connaissance. Il était hors de danger, mais resterait infirme toute sa vie. Le coup avait été terrible. « J’aurais dû mourir ! » avait-il plusieurs fois répété. À peine sorti d’une longue dépression, il avait presque entièrement renoncé à ses activités professionnelles, ne conservant que quelques clients soigneusement sélectionnés. Les indemnités perçues au titre de ses assurances ainsi que les revenus de placements particulièrement lucratifs permettaient de maintenir le train de vie du couple, et Georges s’était soudainement passionné pour l’histoire locale. « Une fois plongé dans mes recherches et dans l’écriture, j’oublie mon handicap », prétendait-il, mais jusqu’à quel point était-il sincère ? Julien, qui avait appris l’accident, leur rendit visite à plusieurs reprises. La prévenance dont faisait preuve l’agent immobilier ainsi que le charme qui émanait de sa personne ne laissaient pas Nathalie indifférente. Après une cour discrète qu’elle n’avait pas refusée, Julien s’était fait plus direct. Nathalie avait fini par céder quinze mois plus tôt. Entre les bras de son amant, elle avait découvert des joies nouvelles, et ce qui n’était au départ qu’un simple dérivatif s’était transformé en une passion dévorante dont elle se refusait à prévoir l’issue. Corinne rompit le silence. — Excuse-moi, je suis nerveuse en ce moment. C’est à cause du magasin. Si juillet et août ne marchent pas super bien, je serai peut-être amenée à mettre la clé sous la porte. Nathalie lui prit la main. — J’espère de tout cœur que tu vas t’en tirer, Corinne. Regardant son amie droit dans les yeux, elle ajouta gaiement : — En tout cas, tu peux compter sur moi pour développer ton chiffre d’affaires ! — Alors, croisons les doigts. — Corinne, crois-moi : le jour où tu seras amoureuse, tu verras la vie autrement. — Eh bien, compte tenu de ce que j’ai vu des hommes jusqu’à présent, je ne suis pas pressée. Corinne consulta sa montre. — À propos d’être pressée, il faut que j’aille ouvrir le magasin, il est bientôt quatorze heures. J’ai toujours plus de monde le jour du marché. Les deux femmes se levèrent, réglèrent leur note à Morgane, et se dirigèrent de concert vers la rue de la Libération, jusqu’au magasin de Corinne. — Tu viens voir la tunique ? — Une autre fois, Corinne. La marée sera haute dans un peu moins de trois heures, et je vais m’offrir une petite sortie en mer. Je comptais faire un tour à Rosavel, mais le temps est vraiment trop beau. — Veinarde. Je t’envie ! Avec ce ciel, tu vas te régaler. — Tu sais que tu peux prendre le bateau quand tu veux. — Oh la la ! je préfère que tu sois avec moi. Je n’ai pas ton expérience de « louve » de mer. — Mais si, tu te débrouilles très bien. Bon, je te quitte à présent. Ne manque pas de bonnes affaires par ma faute. À demain, pour la tunique, fit Nathalie en embrassant son amie. Corinne la laissa parcourir quelques mètres, puis l’interpella joyeusement. — Eh, Nat ! Encore une chose ! — Oui ? — Tu l’as fait dans le bateau, avec Julien ? Nathalie haussa les épaules, puis éclata de rire. — À toi d’imaginer. — Aïe, surtout pas ! Je vous laisse à vos turpitudes, fit Corinne avec une grimace comique. Et sur un dernier signe de la main, elles se séparèrent. * * * Nathalie ne mit qu’un quart d’heure pour rejoindre, à l’extrémité du port de plaisance le ponton, où était amarré le Genath, un petit voilier d’un peu moins de cinq mètres équipé d’une cabine où pouvaient loger deux personnes. Bien qu’il fît très beau et que la brise fût légère, Nathalie s’assura qu’aucune contre-indication à la sortie en mer ne figurait au mât du sémaphore. Quelques minutes plus tard, après le passage de la barre, Nathalie trouvait sur l’Océan une mer d’huile, avec juste ce qu’il fallait de brise. Elle mit le cap au sud-est vers la plage de Kerminihy. À mi-chemin de la pointe d’Erdeven, elle prit garde d’éviter le petit rocher de Niscobic qui pouvait se révéler traître. Elle s’approcha de la côte et jeta l’ancre. Le ciel était d’azur et la mer était belle. Pas âme qui vive. Comment résister, elle qui aimait tellement l’eau, au plaisir d’une baignade ? Nathalie se dévêtit entièrement et plongea dans le bleu turquoise de l’Océan. Excellente nageuse, elle ondoyait avec aisance dans les eaux encore fraîches de ce mois de juin. Au bout de quelques minutes, détendue, rassérénée, elle remonta à bord du Genath, et s’allongea sur le pont, goûtant la chaleur du soleil sur sa peau nue. Bercée par le mouvement lascif de la houle, elle ferma les yeux, savourant la quiétude de l’instant. Il ne lui manquait que Julien. Elle pensa à son amant en train de téléphoner dans son bureau ou faisant visiter quelque élégante demeure sur la côte. Ses pensées se firent plus précises à l’évocation de leur dernière rencontre. Elle, si prude jusqu’alors, se livrait sans retenue à Julien. Ce qu’elle avait toujours refusé à Georges, elle l’acceptait de son amant et même le lui réclamait. Silencieusement, elle l’appela en elle, éveillant toute sa sensualité qui couvait à fleur de peau, tandis qu’elle dirigeait sa main vers le milieu de son corps. Au plus fort de son extase, elle vit le visage adoré, penché au-dessus d’elle. * * * Peu avant dix-huit heures, Nathalie engageait sa Cooper dans l’allée de L’Éolienne. Cette fois, elle avait pris soin d’avertir Georges de l’heure de son retour. Elle le trouva assis dans son bureau, devant l’ordinateur. Il semblait, exceptionnellement, de très bonne humeur. — J’ai bien avancé. Le duc de Mercœur vient de céder Port-Louis aux Espagnols. — Voyons ça, fit Nathalie, posant la main sur l’épaule de son mari. Mon Dieu ! c’est toi Georges qui a fait ce tableau ? Tout ça m’a l’air bien compliqué. — Philippe-Emmanuel de Lorraine, autrement dit le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne, était le frère de Louise de Lorraine, la reine de France, et, donc, le beau-frère du roi Henri III. Ce que tu vois n’est qu’une généalogie simplifiée, pour résumer la situation. En fait… — Oh, je te fais entièrement confiance, l’interrompit Nathalie. Tu m’expliqueras tout quand tu auras complètement fini. Georges se mit à rire. — L’histoire et toi, ça fait deux. As-tu passé une bonne journée ? — Excellente. Après avoir déjeuné avec Corinne, j’ai pris le bateau jusque vers la plage de Kerminihy. Et il faisait si bon que je m’y suis baignée. — Toute seule ? Tu as plongé du bateau ? Voyons, ce n’est pas prudent. Tu nages comme une sirène, mais rappelle-toi ce qui m’était arrivé. Georges et Nathalie habitaient encore Étel. Un jour de bel été, ils avaient planté leur parasol à l’extrémité de la plage de Kerminihy, près de la silhouette massive du blockhaus posté à l’entrée de la rivière d’Étel. Malgré les nombreuses interdictions et mises en garde, Georges s’était baigné. Il avait nagé en direction d’un banc de sable guère éloigné de plus d’une trentaine de mètres du bord de la plage. Malgré le calme de l’Océan, il avait dû lutter contre un puissant courant. L’angoisse l’avait saisi si fort que parvenu au banc de sable, pris de nausées, il avait vomi. Il était revenu sans encombre sur la plage, mais s’était bien promis de ne plus recommencer l’expérience. — D’accord, le coupa Nathalie. La prochaine fois, je prendrai une bouée. Tu vois le tableau d’ici : moi à poil, avec une bouée autour de la taille. — Une bouée à tête de canard, ce sera encore mieux. Mais là, je veux une photo. Nathalie se mit à rire. — Sur ce, je vais prendre une douche. A-t-on reçu du courrier aujourd’hui ? — Juste une lettre pour toi. Il n’y a pas de timbre. Sans doute de la pub locale. Elle a dû être déposée cet après-midi. Tu la trouveras sur la table de la cuisine. * * * Corinne Garec referma la porte de La Brigantine. La journée s’était révélée fructueuse, grâce notamment à Soizic Morel, venue faire ses emplettes estivales. Comme d’habitude, Me Doucy ouvrait larges les cordons de sa bourse, et la jeunette y avait été de bon cœur. Corinne ne put s’empêcher de grimacer en évoquant la silhouette anguleuse du notaire. En voilà un qu’elle exécrait. Ce type possédait un côté reptile qui lui répugnait. C’est avec lui qu’elle avait traité lors de l’achat du pas-de-porte qui deviendrait La Brigantine. Même si cette fois-là Doucy s’était montré irréprochable et d’une extrême courtoisie, Corinne s’était tenue sur ses gardes. Ce que venait de lui conter la petite Soizic l’avait profondément meurtrie. Corinne essaya vainement de chasser le notaire de ses pensées, mais c’était peine perdue. Hâtant le pas, elle se dirigea vers son Berlingo Citroën. * * * Nathalie, douchée et rhabillée, était sur le point de préparer le repas du soir lorsqu’elle aperçut la lettre sur la table de la cuisine. Elle considéra l’enveloppe blanche sur laquelle ne figurait que son nom en capitales d’imprimerie. De quoi pouvait-il s’agir ? Nathalie ouvrit l’enveloppe à l’aide d’un couteau de cuisine. Elle ne contenait qu’un seul feuillet imprimé en traitement de texte. À mesure qu’elle en prenait connaissance, la stupéfaction, puis l’épouvante s’emparèrent d’elle. — Que t’arrive-t-il ? Quelque chose qui cloche ? À son habitude, Georges avait déplacé son fauteuil sans faire de bruit et faisait inopinément irruption dans la cuisine. Nerveusement, Nathalie froissa la feuille qu’elle tenait à la main et la jeta dans le sac poubelle. — C’est sans intérêt. De la réclame locale. — Tu es toute pâle. Tu ne te sens pas bien ? — Mais si, je t’assure que ça va, s’entendit répondre Nathalie d’une voix précipitée. Tout va bien. J’ai peut-être une drôle de réaction à cause de mon bain. L’eau n’est pas encore très chaude à cette époque. Laisse-moi, Georges, je t’en prie. Je vais faire à manger. Nathalie attendit que Georges eût rejoint le salon. Elle referma la porte, retira la lettre chiffonnée du sac à ordures et la relut : Chère Nathalie, Il serait, je crois, fort désagréable à votre pauvre infirme de mari d’apprendre que sa chère petite femme s’envoie en l’air chaque lundi après-midi au Cormoran. Je souhaite vivement lui éviter cette contrariété. Le prix de ma discrétion est modeste : 15 000 euros. Un seul paiement et vous n’entendrez plus jamais parler de moi. Vous déposerez les espèces dans une sacoche, derrière le calvaire de la chapelle de Kermaria dans les bois de Kerabus, près de Plouhinec. Voici comment vous y rendre : cinq cents mètres après la sortie de Plouhinec en direction de Pont-Lorois, vous prendrez à droite vers Le Magouër. Environ quatre kilomètres après le club privé L’Oiseau noir vous trouverez un petit chemin sur votre gauche avec l’indication « Chapelle de Kermaria ». Encore trois cent mètres et vous serez à la chapelle et au calvaire. La somme doit être remise le prochain jeudi, à minuit. N’est-ce pas une heure convenable pour ce genre de transaction ? Sincèrement vôtre. Nathalie, effondrée, s’appuya contre la table. Encore heureux que, par tacite convention, Georges et elle n’ouvrent jamais leur courrier respectif. Qui pouvait être si bien renseigné, oser écrire cet infâme torchon ? Seule Corinne était au courant de sa liaison avec Julien. Elle pensa aussitôt aux patrons de l’hôtel. Mais quel intérêt pour eux, si ce n’est, bien sûr, l’argent ? En avaient-ils besoin à ce point ? Leur affaire semblait bien marcher. Nathalie écarta cette hypothèse. Malgré toutes leurs précautions, Julien et elle avaient été repérés. Quelqu’un les aurait surpris entrant dans l’hôtel et décidé de tirer bassement profit de l’aubaine. Peut-être, sans s’en douter, étaient-ils espionnés depuis longtemps. Toute la prudence du monde ne portait jamais garantie d’un total incognito. Une chose était sûre, elle allait devoir payer. Si Georges apprenait sa liaison, le coup serait terrible ; non, elle ne permettrait pas que cela arrivât. Georges avait souscrit une assurance-vie à son nom, il y avait une dizaine d’années de cela. Elle disposait d’un capital de près de 140 000 euros, donc de quoi faire face. Nathalie se mordit le poing. Et après ? Ne dit-on pas que les maîtres chanteurs ne laissent aucun répit à leur proie ? En cédant à la menace, elle s’enfermait peut-être dans un engrenage infernal. Pourtant, elle ne voyait pas d’autre issue que le versement des 15 000 euros. Le s****d voulait être payé sous quarante-huit heures. Elle n’avait guère de temps devant elle. Tout d’abord, contacter Julien, le voir sans tarder. Elle se débrouillerait pour l’appeler après le repas. À la pensée du dîner qui l’attendait face à Georges, Nathalie se sentit soudain désemparée. Comment éviter de trahir l’angoisse qui la tenaillait ? Elle imaginait déjà le regard insistant de Georges posé sur elle, ses interrogations muettes. Il lui fallait absolument se reprendre, faire bonne figure, ne rien laisser deviner de son désarroi. Elle remisa la lettre dans la poche arrière de son jean, et, se munissant de tout le courage dont elle était capable, entreprit de préparer le dîner. * * * Une heure plus tard, s’étant assurée que Georges était occupé dans son bureau, Nathalie sortit et composa le numéro de Julien. Celui-ci répondit dès la seconde sonnerie. Nathalie se lança d’emblée : — Julien, quelque chose de très grave vient de se produire. Il faut que je te voie demain matin. Je n’ai pas le temps de t’expliquer de quoi il s’agit au téléphone. J’ai trop peur que Georges ne m’entende. — Oui, oui, bien sûr. Sois prudente. Je suis en rendez-vous toute la matinée de demain. Peux-tu passer à mon bureau sur le coup de midi ? À ce moment-là, je serai seul, la secrétaire sera partie. — D’accord, à midi sans faute. À demain, Julien. Je t’aime. — Tu m’inquiètes, Nat. C’est au sujet de Georges ? Et toi, tu vas bien ? Dis-moi… Mais déjà Nathalie avait raccroché. Elle jeta un coup d’œil tout autour du jardin. Elle était seule. Elle rentra et fut rassurée en percevant, venant du bureau de Georges, le cliquetis du clavier de son ordinateur.
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